Le 17 mars, à Montreuil [1], le collectif des « 39 » [Collectif unitaire de professionnels de la psychiatrie créé au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy du 2 décembre 2008.]] organise un meeting national pour poser la question de la psychiatrie dans le débat électoral, et envisager les moyens de la sortir de la « nuit sécuritaire » et gestionnaire où l’a plongée cinq ans de Sarkozysme.
Prise en étau entre les politiques sécuritaires et répressives et les contre-réformes du système de santé, la psychiatrie est en crise et seul un changement radical de politique peut aujourd’hui l’en sortir.
Sarkozy a utilisé sans vergogne des faits divers dramatiques pour justifier l’instauration d’une législation répressive. Citons la loi dite de « rétention de sûreté » qui permet de maintenir enfermée une personne jugée dangereuse, une fois sa peine purgée, et la loi du 5 juillet 2011 instaurant des « soins sous contrainte » non seulement à l’hôpital, mais aussi au domicile du patient. Or, assigner à la psychiatrie une mission de protection de la société en mettant en avant la « dangerosité » est destructeur de toute possibilité de soin.
La psychiatrie publique est également l’un des secteurs qui paie le plus lourd tribut aux contre-réformes de la santé des dix dernières années.
La prévention étant réduite à la « prévention de la délinquance », c’est-à-dire à l’enfermement et au contrôle social d’une population jugée « à risque », toute véritable politique de prévention disparaît : les lieux d’accueil et d’hospitalité dans la ville (les centres médico-psychologiques et les équipes travaillant sur le terrain) se réduisent faute de moyens.
Les seuls moyens nouveaux ont été créés pour renforcer l’enfermement (nouvelles unités pour « malades difficiles », chambres « d’isolement », équipements et personnels de surveillance).
Injonctions sécuritaires et transformations de l’hôpital en entreprise rentable convergent vers une standardisation des soins à moindre coût, orientés vers une normalisation des comportements « déviants » et non vers le mieux-être de personnes en souffrance.
C’est la nature même du soin et du travail des équipes, et pas seulement le manque de moyens qui est ainsi mis en cause. Le soin doit devenir « mesurable » en termes de rapport « coût-efficacité ». Tout ce qui est de l’ordre de la disponibilité, de la rencontre intersubjective, nécessairement imprévisible, perd sa légitimité au profit de traitements médicamenteux, de méthodes « éducatives » et de « thérapies comportementales » produisant des effets « objectivables ».
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la croisade actuelle contre la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle qui débouche sur de véritables tentatives d’interdiction professionnelle pour certaines équipes (avis de la Haute Autorité de santé, proposition de loi Fasquelle sur l’autisme).
Un choix politique
L’initiative du collectif des 39 permet de rappeler que la psychiatrie est d’abord une question de choix politique. Affirmant que « la tendance sécuritaire semble désormais contaminer les partis d’opposition » (le PS est nommé), le Manifeste des 39 affirme la nécessité de « mettre la psychiatrie à l’ordre du jour des élections présidentielles et législatives, pour questionner ses rapports avec la protection des libertés fondamentales, au sort réservé aux personnes à la marge voire exclues du fait de leurs rapports aux normes dominantes. »
Des représentants des candidats du PS, du Front de Gauche, d’Europe Écologie les Verts et du NPA participeront à ce débat.
Philippe Poutou, candidat du NPA à l’élection présidentielle s’est, dans un courrier, prononcé en faveur des différentes propositions de « l’appel des 39 ». Il conclut ainsi : « La défense des exigences contenues dans votre manifeste, nécessitera certainement, quel que soit le résultat des élections, la poursuite de la mobilisation. Cela concerne bien sûr les professionnels de la psychiatrie, mais au-delà, toutes celles et ceux qui sont attachés à une société refusant toute forme d’exclusion et de discrimination. Dans ces combats à venir, le NPA sera à vos côtés. »
J.C. Delavigne
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 140 (15/03/12).
Établissements psychiatriques en lutte
dimanche 4 mars 2012
À Sotteville-lès-Rouen comme à Rennes, les salariéEs des hôpitaux psychiatriques se battent pour que les patients bénéficient de conditions d’accueil dignes. Et il obtiennent des résultats.
Après trois jours de grève, les salariéEs du centre hospitalier du Rouvray (hôpital psychiatrique de Rouen) ont décidé de suspendre leur mouvement, certaines avancées ayant été obtenues.
Depuis le mois de décembre les actions se sont multipliées contre la « sur-occupation » des lits. L’hôpital étant sans cesse saturé, les malades sont accueillis en nombre croissant dans des conditions indignes (lits dans les couloirs, les bureaux…).
Le 21 février, le personnel se met en grève reconductible, un barrage filtrant très suivi bloque l’entrée de l’hôpital, provoquant des embouteillages massifs autour de l’établissement.
Après une entrevue infructueuse à l’Agence régionale de santé (ARS) le 22 février, le personnel organisé en comité de grève (syndiqués, non syndiqués) soutenu par les deux syndicats, CGT et CFDT, décide de durcir son action en bloquant le service des entrées (Unacor).
Ce durcissement a provoqué l’intervention du président du conseil de surveillance, affirmant son accord avec les revendications. Une négociation avec la direction permet alors de concrétiser des solutions immédiates par rapport à la sur-occupation (augmentation du nombre de places pour accueillir d’anciens patients dans une maison d’accueil spécialisée, réouverture provisoire de 20 lits dans une unité désaffectée).
Des perspectives sont ouvertes concernant l’hospitalisation des adolescents (élargissement de l’équipe mobile, perspective pour 2013 d’une unité de dix lits pour adolescents).
Sept places dans des appartements collectifs en ville seraient également créées.
Les grévistes ont souligné les limites de ces propositions qui ne résolvent pas les problèmes de fond. La crise de sur-occupation des lits est en effet la conséquence de l’abandon progressif du travail de prévention et de soins hors hôpital, mis en place au cours des 40 dernières années par la psychiatrie publique, dans le cadre des centres médico-psychologiques, des hôpitaux de jour, des équipes de soins travaillant à domicile. Sur ce terrain, les négociations se sont heurtées à un mur.
De plus, les engagements de la direction doivent être confirmés par l’ARS jusqu’alors totalement fermée à la discussion.
Rendez-vous est donc pris pour le 13 mars, où une nouvelle assemblée générale constatera ou non les avancées effectives et décidera des suites à donner à la mobilisation.
Cette expérience de lutte, débouchant sur des avancées grâce à des formes d’action radicales a redonné confiance dans l’action collective, notamment pour de jeunes soignants dont c’était la première grève. D’autant plus que son organisation démocratique leur ont permis d’y trouver leur place. Un premier succès qui en appelle d’autres.
À Rennes, une victoire retentissante
« Nous avons obtenu la réouverture de 27 lits, l’ouverture de 20 nouveaux et la création d’un hôpital de jour de 10 places ouvert 7 jours sur 7 » triomphait, à juste titre, Michel, responsable syndical de SUD de l’hôpital Guillaume-Régnier de Rennes.
Il aura fallu cinq jours de grève reconduite en assemblée générale, à l’initiative de l’intersyndicale CGT, CFDT, SUD. Malgré un froid vif, le piquet de grève bloquait symboliquement l’entrée jour et nuit. Cet hôpital a donc connu une lutte massive et nécessaire, face la situation scandaleuse d’accueil des patients dont certains dorment sur des matelas et d’autres sont déménagés plusieurs fois par jour. Le personnel réclamait l’ouverture de 60 lits... Le scandale a été révélé par une photo de SUD transmise au ministère et à la presse locale et nationale. Tous les secteurs se sont mobilisés. Ce matin, les services techniques sont même venus distribuer des tracts à 6 heures du matin. Beaucoup de jeunes salariés inconnus des syndicalistes ont participé activement à ce mouvement sans précédent.
Les patients se sont également déplacés, certains ont été interviewés par les médias, d’autres ont fait signer une pétition pour dénoncer leurs conditions d’hospitalisation. La grève a été massive, de très nombreux soutiens extérieurs, citoyens ou militants, sont venus rencontrer le piquet de grève.
Le vendredi soir devant l’ARS, frigorifiés, nous étions une centaine pour soutenir les négociateurs syndicaux face à la direction du CHSP et de l’ARS. Ils sont sortis victorieux, fiers d’avoir mené un combat exemplaire et d’avoir retrouver leur dignité de soignants.
Une hirondelle ne fait pas le printemps… mais cette même semaine à Rennes, les cheminots ont aussi débrayé pour défendre 300 postes ; les salariés de l’inspection du travail pour leur condition de travail, idem les archéologues, enseignants et parents d’élèves, les ouvriers d’Eifage ont gagné une augmentation de salaire…
Correspondants
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 138 (01/03/12).
Victoire après six mois de lutte des urgences psychiatrique du CHU de Toulouse.
Après quatre jours de grève largement majoritaire et un piquet 24 heures sur 24 devant un de leurs foyers d’hébergement, les salariéEs de l’Œuvre hospitalière de nuit (OHN) de Rouen ont obtenu des réponses positives à l’essentiel de leurs revendications. L’ampleur de la mobilisation a mis la direction dans l’incapacité de poursuivre l’accueil des personnes hébergées, l’obligeant, sous contrôle de la préfecture, à mener des négociations. L’OHN (150 salariéEs) subit, comme tout le secteur social, la politique de désengagement de l’État et du conseil général. Les conditions de travail et l’accueil des publics sont devenues insupportables et indignes. Le conseil général a réduit d’un tiers le budget pour l’insertion en 2009, ainsi qu’en 2012. Au niveau national, 15 % de budget pour l’hébergement d’urgence ont été supprimés…
Pour l’heure, les grévistes ont obtenu le passage des CDD abusifs en CDI, la réintégration d’un collègue licencié, une part plus importante de l’employeur dans la cotisation de la mutuelle obligatoire et le paiement des jours de grève ! Rendez-vous a été pris le 3 janvier avec la Direction départementale de la cohésion sociale pour négocier les budgets de l’hébergement d’urgence, et le 4 janvier avec le conseil général pour les budgets des actions d’accompagnement des plus démuniEs. Ce dernier rendez-vous devait se faire avec la présence d’autres associations de l’agglomération (Inser Santé, l’Œuvre normande des mères…).
Les salariéEs de l’OHN ont suspendu le mouvement en attendant le résultat de ces négociations. Pour amplifier le rapport de forces, un appel a été lancé par des syndiquéEs et non-syndiquéEs de plusieurs associations (regroupés au sein du collectif 76) pour une « journée morte » dans le social le 10 janvier (appel co-signé avec Sud santé social 76, la CFDT et la CGT).
À suivre donc, la lutte paye !
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 130 (05/01/12).
« Des moyens pour soigner, pas pour entasser ! »
Mobilisation en psychiatrie à Rouen. À l’hôpital psychiatrique de Sotteville-lès-Rouen, on manque de plus en plus de lits pour accueillir les malades. La direction installe partout des lits supplémentaires, portant le nombre de patients accueillis à presque 600 pour une capacité normale de 550. Bien sûr, pas de renforcement du personnel ni d’ouverture de véritables chambres. Les patients sont simplement installés sur des lits de fortune, dans des pièces sans confort, avec le strict minimum d’attention que les équipes peuvent encore offrir. Après plusieurs assemblées générales, appelées par une intersyndicale CGT-CFDT, les personnels de l’établissement ont mené, le 16 décembre, une action gréviste consistant à bloquer les entrées de l’hôpital, pour empêcher de nouvelles admissions. De nombreux soignants ont participé à cette démarche symbolique pour commencer à se faire entendre de leur direction et de l’Agence régionale de santé. Au cours de cette journée de grève, un grand nombre d’entre eux ont investi en délégation le conseil de surveillance de l’établissement aux cris de « hôpital saturé, ça ne peut plus durer, ça va péter ! » et « des moyens pour soigner, pas pour entasser ! » Au-delà de quelques engagements de l’ARS pour les mois à venir, rien de concret ne leur a pourtant été répondu. Le président du conseil de surveillance précisait que, s’il partageait le souci des grévistes pour la qualité des soins, les mesures de rigueur budgétaire ne permettraient sans doute pas d’amélioration notable de la situation des hôpitaux psy dans l’immédiat, et qu’il fallait plutôt s’attendre à de nouvelles difficultés. Rendez-vous est donné à la rentrée pour remettre ça !
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 129 (22/12/11).