Chaque semaine qui passe confirme ce que nous pressentions, le projet du NPA, tel que nous l’avons pensé et construit, est aujourd’hui défait. Il s’agissait pour nous de doter les anticapitalistes d’une force politique nombreuse, utile aux mobilisations, capable d’imposer des marqueurs forts dans le débat d’idées qui traverse l’opinion et disposant d’un plancher électoral au delà des 5 % afin de stabiliser une présence visible dans le paysage politique. Aujourd’hui, le NPA est affaibli numériquement au point de se situer désormais à hauteur (et encore !) de la force politique qui l’a fait naître. Il n’est pas en capacité de faire levier pour les mobilisations sociales, de bousculer le jeu des grandes organisations qui structurent le mouvement ouvrier. Les idées qu’il défend ne sont presque plus dans le débat politique public sauf quand elles sont reprises par d’autres. Quant au plancher électoral, il n’existe pas. Nous avons tutoyé cette perspective à la Présidentielle de 2007 et aux Européennes de 2008, nous sommes descendus largement en deçà aux régionales et ça ne s’arrange pas car pour l’heure, les sondages promettent au NPA un score quasi nul à la Présidentielle 2012. Meeting après meeting, on est frappé de l’écart qui existe entre l’importance de ceux du cycle 2007-2010 et la confidentialité des réunions publiques actuelles.
Un tel bilan pour une organisation qui a été la principale organisation de l’extrême gauche (ou de la gauche extra parlementaire) depuis 1968 et sans doute celle qui s’est écroulée le plus vite mérite qu’on s’y arrête quelque peu.
Les raisons fondamentales d’un échec ou la crise de la perspective socialiste
Dans son texte paru sur le site ESSF, Christophe Armen (http://www.europe-solidaire.org/ spip.php ?article24053) insiste sur le fait que la crise du NPA serait « d’abord une crise de direction ». Évidemment, l’action d’une direction, ses choix de fonctionnement, les choix d’orientation qu’elle fait avec l’aval d’une majorité de militant-es, sont autant d’éléments qui peuvent à l’évidence jouer un rôle. Des erreurs peuvent se payer plus ou moins cher et des choix judicieux porter plus ou moins leurs fruits. Il est évident que, comme direction, nous avons fait preuve de triomphalisme et donc de cécité politique. Il semble clair que nous avons trop subordonné nos choix d’orientation à la popularité d’un porte-parole, en se dispensant d’une série de batailles politiques.
Mais il y a dans ce qui arrive au NPA quelque chose de plus substantiel, qui renvoie aux coordonnées générales de la situation politique. Jamais dans toute l’histoire on n’aura compté autant de salarié-es, de chômeurs et de précaires éduqués et informés, capables de percevoir la folle logique d’un système, le capitalisme, responsable de la dégradation de leurs conditions de vie et des menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité. Et pourtant, les organisations politiques de la gauche révolutionnaire n’auront presque jamais été aussi faibles. L’échec du NPA n’est pas un phénomène isolé. Paradoxale situation que celle qui voit un système capitaliste rejeté par d’amples fractions de la population dans le monde entier et des organisations anticapitalistes qui n’auront jamais été organiquement aussi faibles. Le paradoxe n’est qu’apparent et nous pouvons proposer quelques éléments d’explication.
En premier lieu, l’absence de crédibilité de masse d’un projet alternatif de société pèse lourd. On peut résister mais pour transformer la résistance en offensive révolutionnaire, il faut qu’une fraction significative des classes populaires croie en la possibilité d’un système de remplacement. C’était le cas dans les années 30, pour le meilleur et pour le pire. 20 ans après la fin de l’URSS, la perspective socialiste continue de porter le fardeau du totalitarisme stalinien. Le socialisme s’est vu durablement discrédité également par les courants de la gauche qui ont agi en son nom pour gérer le capitalisme libéral et offrir aux classes dominantes des solutions d’alternance.
Détruire le capitalisme, oui, mais pourquoi faire à la place ? Privées d’un projet de société séduisant, les victimes de la crise – disposant pourtant de la force potentielle du nombre et d’un niveau d’éducation inégalé dans l’histoire – en sont réduites pour l’essentiel, sur le terrain électoral, à sortir les sortants ou à choisir ce qu’elles perçoivent comme « le moins pire » ou « le plus protecteur » ou encore à s’abstenir pour protester. Pire encore, à se laisser séduire par l’ennemi le plus redoutable, les mouvements néo-fascistes, autoritaires ou nationaux-socialistes. Même limite imposée aux mouvements sociaux de contestation globale du capitalisme, de Santiago à Tunis, de Barcelone à New York. L’histoire nous a montré à de multiples reprises, et encore récemment dans le monde arabe, que les peuples en mouvement représentent toujours l’espoir de voir balayer l’ordre ancien, injuste, antisocial, destructeur de la nature et c’est à sa chaleur que l’on peut rénover et crédibiliser un programme révolutionnaire. Un espoir sur lequel il convient de s’appuyer mais encore faut-il savoir comment lui être utile.
Il faut à l’évidence reprendre le chantier de la crédibilisation de réponses radicalement de gauche, de réponses de rupture, d’un projet de société alternatif crédible et attractif. Mais pour avoir une chance d’être entendu, il faut une révolution culturelle, une aggiornamento politique et organisationnel, par rapport à la façon dont se sont organisés les mouvements d’extrême gauche issus de mai 68 et la façon dont ils conçoivent mode d’organisation, mode d’appartenance, mode de débat, mode de direction mais aussi agitation et propagande. Il faut rompre avec un décorum désuet, un vocabulaire pour le moins « chargé », une tendance à la surenchère revendicative qui place la barre tellement haut qu’elle apparaît inatteignable pour les larges masses, une conception du militantisme chronophage et fermée, toutes choses qui nous coupent de l’essentiel de la population et font fuir rapidement les quelques un-es qui nous avaient malgré tout rejoints. Enfin, il faut mettre à distance l’héritage bolchevik, ancré dans une période de brutalisation issue de la première guerre mondiale, et ce notamment sur un point essentiel, la défiance à l’égard de la démocratie qui en est issue.
Il ne s’agit pas de jeter l’eau avec le bébé et le bain. Il faut retenir, sans en faire notre unique source d’inspiration, le meilleur de la tradition du mouvement socialiste ou communiste et des fondamentaux :
– un marxisme en mouvement qui ne lâche rien, ni de la critique du capitalisme, ni de la perspective d’une société de la « mise en commun » ;
– une démarche transitoire rénovée qui parte des aspirations de la majorité de la population et des nécessités de l’heure pour énoncer un plan d’urgence crédible, fonctionnel dans les luttes comme dans les élections, faisant avancer la mobilisation sociale tout en étant le fil conducteur de l’action d’éventuels élus...
Et il faut, à partir de ce socle, actualiser, innover. La pensée socialiste doit intégrer en son cœur la question de l’écologie. A l’heure où Marx pense et écrit, le capitalisme n’avait pas fait les dégâts sur l’environnement et le climat que nous connaissons à notre époque et l’économie de commandement bureaucratique mise en œuvre par les staliniens n’avaient pas mis en lumière le fait que cet inconvénient majeur n’était pas réservé au seul capitalisme. Mettre au centre de notre projet de société l’exigence d’un mode de production qui tourne le dos au productivisme est central. De ce point de vue, les travaux de Mickaël Lowy (notamment Ecosocialisme, L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Editions Mille et une nuits) commencent cet indispensable travail intellectuel et théorique de rénovation, travail précieux qui doit nous inspirer.
Il nous faut travailler à déconstruire l’apparente contradiction exploitée par la société capitaliste entre revendications sociales et revendications écologiques pour proposer un projet alternatif qui conjugue les deux. C’est un travail de longue haleine. Il doit se faire au cœur des mouvements écologiques et sociaux. Il est d’autant plus nécessaire dans un monde en mouvement marqué par la mutation en profondeur du capital, la redistribution de la puissance à l’échelle mondiale, le transfert de celle-ci dans une phase d’affaiblissement de l’axe Union Européenne / Etat-Unis au profit des puissances émergentes et la crise climatique. Un tel reclassement, les conséquences qu’il a sur les conditions de vie de millions d’êtres humains, sur l’exploitation des richesses naturelles, ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur les luttes, sur les organisations qui structurent le mouvement social et écologiste, leur fonctionnalité dans cette période.
Tout ceci contribue à rediscuter des rapports possibles entre courants réformistes radicaux et courants révolutionnaires. Il faut rassembler celles et ceux qui, à gauche, n’ont pas renoncé à combattre le système capitaliste et le productivisme. Si les organisations de la gauche radicale ont toutes des difficultés dans la période, il n’en demeure pas moins que les organisations pluralistes, associant des courants plus ou moins « gauche », voire portant en leur sein des courants marxistes révolutionnaires, résistent mieux que les organisations révolutionnaires indépendantes qui sont toutes laminées. Malgré des difficultés plus ou moins importantes, le poids dont disposent le Bloc de gauche portugais, l’Alliance Rouge-Verte danoise ou dans un autre style en France le Front de gauche, est très supérieur au poids actuel du NPA. Un NPA dont un des principaux problèmes réside dans le fait qu’il n’a pas su et pu résister à la concurrence du Front de gauche qui s’est constitué en même temps que lui. La posture de plus en plus droitière des partis de l’internationale socialiste ouvre l’espace sur sa gauche mais il y a une lutte pour l’occuper. C’est par ailleurs un espace fragile et le risque est grand de voir la bipolarisation droite/gauche gagner encore du terrain avec pour seule concurrence aux partis de gouvernement les mouvements néo-fascistes ou nationaux socialistes. Sinistre et inquiétante perspective.
Errare humanum est, perseverare diabolicum
L’urgence climatique, le poids de la crise économique et des politiques d’austérité, les difficultés rencontrées par les résistances sociales pour engranger des succès, la morsure profonde du Front National dans les classes populaires et moyennes, tout pousse à opter pour la voie de l’unité durable à la gauche du PS. Une construction pluraliste est le meilleur outil pour aider le mouvement social et écologiste, permettre l’entrée en politique d’animateurs et animatrices de celui-ci, favoriser l’implantation dans les quartiers, les villes, les zones rurales voire les lieux de travail ou d’études, de couches nouvelles de militant-es.
Nous connaissons par cœur le risque que comporte une telle orientation, celui du renoncement par petites touches successives. Il faut nous en prémunir autant que faire se peut. Mais il n’y a pas d’issue sans prise de risque.
Quelle autre solution avons-nous ? Des camarades pensaient qu’à la racine de nos difficultés se trouvaient les hésitations, les doutes et les divisions de l’ancienne direction majoritaire. La nouvelle a au moins comme avantage de faire la démonstration que la rigidité et le rejet abrupt de toute forme d’alliance avec la gauche réformiste ou antilibérale, en dehors de l’union dans les luttes agitée comme un vœu pieu incantatoire, n’est pas très porteuse... Bien sûr, des voix s’élèvent déjà pour trouver des boucs émissaires à la crise du NPA et la direction de la Gauche anticapitaliste devient une cible, elle qui sabote, démoralise, savonne la planche ou se fait carrément 5e colonne de l’ennemi. Il est toujours plus facile de voir la paille que la poutre... Si les causes de la crise sont plus profondes, comme nous l’avons indiqué plus haut, il n’en demeure pas moins qu’au CPN de mai 2011 et à la CN de juin, de nombreuses erreurs ont été faites par les dirigeants qui ont formé la position « A » et nous n’avons pas fini de les payer. Grave erreur que de croire qu’il suffit de tirer à boulets rouges sur les forces qui exercent une concurrence dans son espace politique plutôt que de se doter d’une politique vis-à-vis d’elles. Grave erreur que de refuser de choisir une de nos porte-parole fraîchement désignées et de lui substituer dans l’opacité un candidat choisi parce qu’il est « ouvrier », au mépris des conceptions jadis communes sur la compréhension du monde du travail. Grave erreur que de l’avoir fait pour des raisons purement internes, c’est-à-dire avec l’objectif de « prendre la direction ». Grave erreur de penser qu’il suffit de lancer des appels incantatoires au rassemblement des anticapitalistes alors qu’avec une telle méthode on se met dans l’incapacité de rassembler déjà... son propre parti.
Soulignons néanmoins une continuité, celle des dirigeant-es de la P2, qui depuis le début n’ont pas la même vision du processus NPA que nous. Reconnaissons-le, les camarades ont bien plus d’influence sur le cours du NPA en 2012 qu’ils n’en avaient dans la période précédente. L’affaiblissement numérique de notre parti, la réduction de son périmètre politique, le recul électoral ne sont pas de nature à faire réfléchir les camarades parce que cela ne les effraye nullement. C’est même conforme à leur projet. Les camarades pensent – ils le disent et l’écrivent – que l’outil adéquat en période de crise aiguë (pré-révolutionnaire ?) c’est une organisation de militant-es actifs et soudés derrière leur direction, disposant d’une formation révolutionnaire classique et prêts à l’affrontement. Ce projet-là n’a jamais été le nôtre. Il l’est encore moins aujourd’hui tant la situation appelle plus d’unité et non plus de repli.
Une nouvelle politique pour tous les anticapitalistes
Nous nous adressons à tous les anticapitalistes. Celles et ceux qui sont au NPA et celles et ceux qui n’y sont pas ou qui n’y sont plus. Nous proposons une nouvelle politique, basée sur une double démarche simultanée :
– L’unification des forces anticapitalistes écosocialistes dans une nouvelle force politique.
– L’insertion de cette force au sein d’un bloc anticrise, alliance des anticapitalistes et de toutes celles et ceux qui refusent de gérer le système, de faire payer la crise à la majorité de la population, de miser sur le capitalisme vert pour sauver l’humanité.
L’unification des forces anticapitalistes, antiproductivistes et écosocialistes, consiste à la fois à tenter de réunifier et de réorganiser notre parti sur une ligne nouvelle, à s’adresser à celles et ceux qui ont quitté le NPA et en même temps à ouvrir un dialogue approfondi avec des forces organisées pour discuter projet, programme et organisation unifiée. Ces partenaires prioritaires sont les Alternatifs, le Forum Social des Quartiers Populaires (FSQP), les Objecteurs de croissance ou des mouvements politiques qui sont membres du Front de gauche.
Mais cette nouvelle force politique ne se suffit pas à elle seule. Elle doit opter pour un combat unitaire et chercher à exister, en conservant son autonomie, dans un front, un bloc ou une alliance plus large. Pour ce qui est de la constitution d’un tel front social et politique large à la gauche du PS, nous nous heurtons depuis longtemps au rapport avec le PS. A moins de considérer que nous ne pouvons nous allier ni avec le PCF, ni avec le PG parce que l’alliance est par nature impossible entre réformistes et révolutionnaires (c’est ce que disent à mots plus ou moins couverts les camarades de la P2 et une partie de ceux de la P1A), cette alliance apparaît pour ce qu’elle est : nécessaire et souhaitable. Il faut alors y mettre des conditions claires mais atteignables :
– un programme d’urgence répondant aux principaux enjeux des crises ;
– l’indépendance vis-à-vis d’un gouvernement issu de la victoire de Hollande.
Sur cette première condition, force est de constater, à la lecture du programme du Front de gauche et à l’écoute de la campagne de Mélenchon qu’une base commune est possible, au-delà de divergences maintenues. Un tel programme n’interdit nullement une alliance politique et électorale où chaque composante garde son autonomie, ses spécificités, affirme ses convergences mais fait aussi entendre ses différences. Les divergences qui existent entre les anticapitalistes écosocialistes et les deux principales formations du Front de gauche, notamment le PCF, empêchent pour l’heure la fusion dans une même organisation mais pas la participation à un Front politique commun. Un front nécessaire mais où nous savons que les divergences peuvent se réinviter dans le cours de la lutte des classes ou lors d’échéances électorales comme les municipales par exemple.
Sur la seconde question, celle du rapport à un gouvernement qui serait issu d’une victoire de Hollande, espérons d’abord qu’elle devienne concrète. Espérons, parce que si Sarkozy se succède, le rapport de force politique et social s’en trouvera fortement dégradé et le pire n’est jamais le meilleur. Si tel était le cas, cela n’invaliderait pas pour autant une politique de rassemblement. Elle l’encouragerait, pour favoriser la résistance. Si c’est Hollande qui l’emporte, pour notre part, l’affaire est claire : le front ou bloc auquel nous souhaitons que tous les anticapitalistes prennent part peut se constituer avec toutes les forces sociales et politiques qui, à gauche, rejettent la participation ou le soutien au gouvernement Hollande. Il ne faut opposer aucune autre condition à cette perspective politique et considérer que c’est une nécessité. Il faut considérer que ce serait une bonne nouvelle que l’opposition politique à l’austérité de gauche soit la plus large possible et ne soit pas l’apanage de la droite et de l’extrême-droite.
Vous avez dit congrès ?
La mise en œuvre de cette nouvelle politique serait plus aisée si elle l’était par le NPA tout entier. Face à la surdité d’une direction majoritaire unifiée par la méthode Coué, nous en appelons aux militantes et aux militants du NPA. Peu importe que nous ayons voté « A » ou « B » à la CN de juin. Nous pouvons toutes et tous ensemble corriger le tir, tenter de sortir le NPA de l’impasse. Il faut le faire sans attendre un congrès, par l’action sur le terrain. Et il serait sans doute préférable de l’entériner dans un congrès extraordinaire le plus rapproché possible, pour permettre qu’ait lieu le débat de bilan et que soient décidées les nouvelles orientations. Cela dit, en raison de l’orientation désastreuse mise en œuvre, les forces disponibles pour rectifier le tir se sont encore affaiblies depuis juin, ce qui a de quoi rendre pessimiste sur l’avenir du NPA. La GA est la force consciente porteuse de ce projet. Elle aurait tout à perdre à attendre un congrès pour mettre en œuvre ce qui relève de l’urgence. Parce qu’elle ne ferait pas ce qui est vital dans la période. Parce qu’elle participerait de la désespérance et de la déliquescence. Mais elle continue à tendre la main à tout-es les militant-es du NPA pour convaincre le plus grand nombre qu’il ne faut absolument pas rater une chance de donner un nouvel élan au projet des anticapitalistes écosocialistes.
Fred Borras (CE, Toulouse), Catherine Faivre d’Arcier (CPN, Vienne), Ingrid Hayes (CE, Paris), David Hermet (CPN, Montpellier), Stéphane Moulain (CPN, Montelimar)
Le 8 février 2012