Tout s’écroule, le centre ne tient plus ;
…/…
La marée teintée de sang monte et partout les innocents sont noyés ;
Les meilleurs se découragent, tandis que les plus vils s’emplissent de passions.
William Butler Yeats, The second coming
Avertissement 1 : ce texte n’aborde pas la question des choix, cruciaux, que le NPA aura à faire dans les mois à venir En espérant déjà qu’il ne sera pas privé de ce débat décisif. Il est uniquement consacré à un début de bilan.
Avertissement 2 : Le recul fait apparaître dans tout bilan historique le poids, croissant avec le temps, des données de fond échappant en grande partie aux acteurs. Aujourd’hui il ne viendrait à l’idée de personne de chercher dans une résolution mal adaptée, ou dans le choix erroné d’une organisation révolutionnaire à l’époque du stalinisme triomphant, les raisons décisives de leur échec. Il n’y a aucune raison qu’il n’en aille pas de même pour le NPA. Mais en même temps cet « objectivisme » pris de manière trop systématique est désarmant pour les débats courants et, de plus, ces données de fond ne gagnent en certitude qu’avec un recul qui, par définition, ne vient que plus tard. Pour ne pas écraser les positions, débats et choix plus immédiats, j’ai choisi un mode d’exposition « montant », allant de l’immédiat aux éléments plus généraux. Mais il faut à chaque fois garder à l’esprit non seulement la spécificité de ces choix immédiats en débat mais aussi le fait qu’ils ne sont jamais explicatifs à eux seuls. Et que quand ils le sont plus ou moins, c’est d’une petite partie au regard des considérations plus générales, plus globales, plus profondes.
Ce jour là nous avions loué un bus entier pour aller participer à la réunion nationale des comités qui devait lancer le NPA. Notre camarade Emre, d’origine turque, me racontait par le menu comment l’extrême gauche de ce pays s’était déchirée, effondrée, puis avait disparu corps et bien. Médusé, j’écoutais le récit, entendu déjà des dizaines de fois pour d’autres pays. Les méandres sont différents, toujours, laissant croire que l’issue pourrait l’être aussi. Mais au bout du bout, le résultat est le même. J’écoutais donc, ému et solidaire de ces camarades inconnu-e-s qui nous ressemblaient tant. Mais nous, là, nous allions créer du neuf. Et de fait la réunion qui suivit fut des plus enthousiasmantes. Méandres que tout ceci et au final vers la même chute ? Mektoub ? C’était écrit ? Tout était-il dit dès le début ?
Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé ? Il ne manque pas de demi philosophes pour venir nous expliquer que la dialectique n’a plus cours. Ils devraient se pencher sur le cas du NPA. Voilà le projet d’un parti qui ouvre portes et fenêtres, et se tourne vers le grand large. Et voilà son contraire dialectique, un parti dominé au moins momentanément par des pensées et des pratiques les plus étroites que ce courant du marxisme révolutionnaire ait jamais produites. Il y manque encore le dépassement de la contradiction. Mais là, ruse de l’histoire, au lieu que la négation de la négation pousse vers l’avant, c’est retour vers le passé. Et encore cela voudrait dire une régression vers une étape d’avant. Mais non ! La dialectique, toujours aussi puissante, invente du spécial : un archaïsme qui n’a jamais existé ! Au moins dans cette partie du champ politique. Un nouvel ancien, si l’on peut dire. En bons révolutionnaires on espère toujours que la ruse de l’histoire jouera en positif et en notre faveur. On oublie, comble de la ruse, qu’elle peut enfoncer encore plus.
A chaque fois que les choses tournent vraiment mal, on ressort la citation de Spinoza dans son Traité Politique (1677), « Ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre ». A juste titre, évidemment. On se permettra pourtant de verser quelques larmes au passage quand même. Mais comprendre, c’est l’essentiel. Sinon comment gagner le droit d’essayer à nouveau ?
Et ceci permet aussi de se garder de travers trop évidents. Déjà, il faut réserver la haine aux vrais ennemis, à ceux d’en face. Le combat que nous menons contre des Himalayas d’exploitation, de dominations, d’oppressions est rien moins que facile. Toutes celles et tous ceux qui le mènent sont respectables. Disons la plupart. Et puis se souvenir que la vérité du jour n’est pas celle de demain. Guesde par exemple, qui n’avait pas de mots assez durs contre ce réformiste de Jaurès, finit dans le gouvernement d’union sacrée en 14-18. Avec lui Jouhaux qui débuta sa carrière en fringant syndicaliste révolutionnaire. Et avec le soutien des trois quarts de la CGT de l’époque. A l’inverse, Eduard Bernstein, le « révisionniste » que combattait Rosa, se révéla pacifiste et internationaliste. Comme quoi…
Pas de haine. Et pas plus de ressentiment. Il conduit à se contenter de penser que le méchant, c’est l’autre. Outre que, petitement, on s’exonère ainsi à bon compte de ses propres responsabilités éventuelles, il empêche un bilan plus équilibré. Ce à quoi veut tenter de contribuer le présent texte.
Un se divise en deux
Après avoir mené une enquête minutieuse, des camarades de tous bords tombent d’accords au moins sur un point. C’était écrit, dès le début. Parce que le ver était dans le fruit. Et pas n’importe où, au centre de la chaîne. Faut donc pas s’étonner que la dite chaîne casse en son maillon le plus faible. Et voilà exposée à la face du monde la vérité cachée ? Ah bon ? Oh là ! On vient dire qu’il fait jour en plein midi, et le peuple esbaudi d’applaudir l’artiste ? Dans la presse on a coutume de dire que si un chien mord une grand mère, ce n’est pas une nouvelle. Qu’une grand mère morde un chien, voilà qui en ferait une belle. Quand les organisations révolutionnaires cassent, elles cassent par leur milieu. Toujours. Sinon, ce ne sont que quelques maillons éloignés qui s’en vont sans trop de bruit. Et alors, comme dit Yeats, « Tout s’écroule. Le centre ne tient plus ». Toujours. Sans la moindre exception. Non, décidément, on ne voit pas l’originalité de l’analyse.
Dans des partis mieux installés, les divergences ne sont pas moindres. Souvent elles le sont plus. Mais d’autres soudures que la pure politique tiennent les maillons pendant un temps qui peut être très long. L’existence de partis révolutionnaires un peu influents tient au contraire du miracle et d’une volonté soutenue de tenir les bouts bien que tout pousse à la rupture. Comme le disait Mao (et il s’y connaissait), « Un se divise en deux, voilà un phénomène universel ». Si universel d’ailleurs que sitôt le maillon central explosé, il y a d’autres centres dans les chaînes subséquentes, eux aussi instantanément soumis aux mêmes tensions. C’est sans fin, comme le bout du bout de Raymond Devos.
Alors Mektoub ? Oui et non. Tout dépend des conditions générales qui potentialisent différemment les divergences, qui elles sont inévitables. Et aussi la force avec laquelle on tire des deux côtés sur les parties faibles. Il convient alors d’entrer dans le vif de ces divergences et débats puisque, d’un certain point de vue, il faut aussi se prononcer sur les choix et actes des uns et des autres. Impossible là de faire la part de l’objectif et du subjectif. Surtout sur le moment et avec un recul inévitablement trop limité.
Causes immédiates
Comme au Lycée en cours d’histoire, prenons les choses à l’envers, des causes les plus immédiates à celles plus lointaines et plus fondamentales. La campagne de Philippe Poutou posait deux problèmes. La forme, sur laquelle quelques progrès se sont révélés possibles. Et le fond, qui est la question principale. Beaucoup a été dit dans d’autres textes qu’il n’est pas utile de reprendre ici. La seule fonction politique revendiquée sérieusement pour cette campagne (en dehors des grandes proclamations propagandistes) est celle du « candidat ouvrier ». C’est un double contresens. Sur l’image de ce qu’est le prolétariat désormais. Et c’est surtout à contretemps. Alors que la crainte de la crise paralyse les consciences, que partout on est à la recherche d’issues crédibles et cohérentes, l’idée que la préoccupation principale soit au rejet des « politiciens professionnels » tape à côté. La question n’est plus qui parle (si ça l’a jamais été à ce point) mais ce qui est dit. Le fond. Le fond. Et encore le fond. Et les moyens politiques qui y sont liés, donc, pour nous, un programme de transition et le refus de la participation à une majorité Hollande. Plus la proposition de regrouper toutes celles et ceux qui n’en seront pas. Incontestablement la dérive de la campagne du NPA était écrite dans les conditions dans laquelle elle fut imposée et l’alliance qui l’a supportée. Là, c’est Mektoub.
La cassure du NPA était elle aussi enregistrée irrémédiablement dans le vote de la Conférence Nationale de juin 2011. Une candidature venue de nulle part, imposée contre deux porte parole féminines, en clivant le NPA en deux. Qui plus est en scellant une alliance nouvelle donnant une influence à un archaïsme new look, qui restera comme une des inventions du NPA. Mektoub aussi en ceci que la CN n’a fait qu’enregistrer pour l’essentiel l’envie d’en découdre des deux principaux camps. Clarifier disait-on. Sauf que l’eau trop pure ne peut plus abriter aucune espèce vivante, et n’est même plus en mesure de conduire l’électricité.
Remontons encore cette première chaîne des causalités. Tout ceci était contenu à son tour dans la décision d’Olivier Besancenot de refuser un combat pourtant vital pour la survie du parti qu’il avait porté en nom propre sur les fonts baptismaux. On reste ébahi du soutien que les arguments avancés en leur temps en faveur de cette décision ont pu trouver au sein du NPA, en dehors aussi et jusque… chez Jean-Luc Mélenchon (on comprend pourquoi là au moins). Mettons en effet à part les raisons personnelles dont nul ne dispose et que l’on peut sans aucune restriction juger à priori respectables. Or ce n’est pas ce qui fut mis en avant, mais la soit disant nécessité de ne pas personnaliser. Dans un parti déjà profondément affaibli, divisé politiquement, cette personne était pourtant la seule à même de maintenir un semblant d’unité en vue des débats à venir, inévitables en tant que tels. Avec la défection d’Olivier, le NPA venait d’inventer le suicide involontaire, un objet fascinant que la longue litanie des échecs n’avait pas encore recensé.
La suite peut sans difficultés se lire en effet à rebours comme le déploiement des conséquences de ce choix. Conséquences à la fois baroques et pourtant intelligibles à partir de ce point de départ. Mektoub ? Oui, mais encore faut-il rendre compte de comment il se fait que la survie d’un parti tienne à ce point à un choix individuel. Ce dernier a précipité la crise, l’a rendue irréversible. Il ne l’a pas créée. On le savait déjà : le bilan du NPA doit aller plus loin que ces causes immédiates.
Du NPA et de son projet
Parmi ceux et celles qui ont défendu mordicus le projet de dépassement de la LCR, nous étions un tout petit nombre à le faire tout en sachant que c’était un pari déraisonnable. Ou pour le moins extrêmement risqué. Difficile d’imaginer la réussite si, dans le même temps, on a un état des lutte sociales qui allait de demi défaites en défaites totales. Il ne fait plus guère de doute que le projet dit du NPA était diversifié selon les présentations, les histoires, les trajectoires, les visées politiques. Cela dit, même s’il est impossible de fouiller chaque conscience, il n’est cependant pas question à mes yeux de laisser s’installer des analyses qui ne reposent sur aucune base objective quant à la nature du projet, même pris dans sa diversité. Deux contre vérités en particulier demandent à être contestées. Répétées à l’envi, elles n’en deviennent pas vraies pour autant.
La première veut que le NPA s’est fondé sur une analyse qui avançait qu’entre le camp anticapitaliste et le PS, il n’y avait plus rien. Les principes fondateurs disent explicitement le contraire : « Dans et autour de ces partis de la gauche institutionnelle, nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas renoncé à changer radicalement la société ». Il ne faut pas confondre les débats et les choix concrets qui ont été les nôtres (par exemple aux échéances électorales) avec une analyse de fond de l’état de la gauche hors PS. Aucun texte, aucune déclaration au Congrès de fondation n’ont avancé une telle énormité. A l’inverse, la nouvelle majorité du NPA répète de son côté que le NPA aurait été destiné à être celui « des anonymes ». Ce terme, ou un quelconque équivalent, ne se trouvent nulle part dans les principes fondateurs. Comme rappelé ci-dessus, il est même dit le contraire. Il s’agit en l’occurrence pour cette majorité de rabattre le choix de procéder « par en bas » avec celui de s’adresser aux « anonymes », autrement dit à tout le monde et n’importe qui.
Le premier terme (par en bas) était justifié à l’époque par l’impossibilité avancée de trouver des partenaires prêts à se lancer dans l’aventure. D’où la décision de la LCR d’y aller toute seule, en dissolvant sa propre organisation pour favoriser le regroupement militant. Par en bas certes, mais « militant », que ceci s’ancre dans des expériences politiques, syndicales ou associatives. Le procédé était très original. Il a rencontré le succès que tout le monde connaît. Au point que l’on peut dire que les heures de gloire du NPA sont les mois qui ont précédé son congrès de fondation. Il faut dire que les autres forces de la gauche de la gauche étaient alors atones, plutôt en crise suite au succès relatif à la fois de la campagne de Besancenot puis de son appel à constituer ce nouveau parti.
Le succès a eu plusieurs aspects remarquables. L’élargissement géographique par exemple par rapport aux zones d’implantation de la LCR. Le fait de toucher de larges couches précarisées tout aussi bien. Enfin la coagulation de nombre de militant-e-s radicaux restés isolé-e-s pendant de nombreuses années. Mais « anonymes », point. En revanche il faut rappeler que le « par en bas » n’était pas seulement une donnée de fait (ce qu’il était principalement). Il renvoyait aussi à un débat plus général concernant les lieux et origines sur lesquels le projet pouvait s’appuyer. Le mouvement ouvrier « traditionnel », mais aussi (et pour certains c’est vrai prioritairement) les nouvelles sphères lui échappant en partie ou totalement. Et alors dans ses contenus comme ses formes de lutte et d’organisation. Mais là non plus, rien « d’anonyme » !
Bref, le processus NPA a rassemblé celles et ceux qui refusaient de baisser la tête, rejetaient la gauche social-libérale et affirmaient haut et fort leur anticapitalisme. Mais les difficultés ont commencé dès les mois qui ont suivi la fondation, en s’approfondissant sans cesse. Dans les débats à ce propos, ce sont la plupart du temps les questions directement politiques qui sont mises en avant pour expliquer les difficultés. On va y venir. Mais celles-ci se sont mélangées intimement à d’autres, au moins aussi importantes, produites elles par la nature du processus lui-même.
L’effet « auberge NPA »
Par définition ce processus a eu un aspect auberge espagnole. Comme on se le rappelle, celle-ci ne sert aucun repas à proprement parler. Chacun vient avec le sien et le consomme. Là où l’affaire se corse c’est que le NPA a inventé quelque chose de supplémentaire : une auberge espagnole, oui, où les personnes consomment leur propre nourriture, sauf qu’elles exigent qu’elle le soit par tout le monde. Se combinent alors deux difficultés qui se sont révélées difficilement surmontables. L’hétérogénéité du bagage apporté par chacun-e, la nature très diverse des espoirs mis dans le nouveau parti, et la volonté très répandue non seulement de ne céder en rien sur ses convictions mais encore de faire de leur prédominance dans le parti une condition au maintien de son engagement.
Ainsi si l’incontestable succès de l’appel initial tient à une conjoncture politique très particulière et fugace, il tient aussi à l’aspect profondément inclusif qu’il avait : venez comme vous êtes et l’amalgame se fera. Mais il ne s’est pas fait. Au contraire c’est son versant contraire de l’affrontement qui a pris le dessus. Et ce bilan là, peut-être plus profond que celui qui porte sur les aspects politiques généraux, eux beaucoup plus visibles, est une indication très précieuse pour les difficultés à résoudre dans les tentatives futures. Bien que ce ne soit nullement leur volonté, imaginons un instant que les Indignés se décident à traduire leur engagement par une nouvelle formation politique, on se heurterait aux mêmes problèmes.
En ce qui concerne le NPA on comprend alors que le succès fut au rendez-vous tant que les participants ne mesuraient pas à plein que ce qu’ils estimaient être les raisons prioritaires de leur présence, non seulement ne domineraient pas automatiquement les choix du parti, mais ne seraient peut-être pas pris suffisamment en compte. Alors les départs débutent et ne s’arrêteront pas, à la mesure d’une déception toujours fortement personnalisée. Dans l’ordre, cela a concerné d’abord les vrais « anonymes » qui avaient rejoint le processus. Car il y en a eu, pas mal, si on nomme par là des personnes dont c’était le premier engagement collectif. Eux-elles avaient peu d’exigences en propre, venaient « pour aider ». Mais découvraient vite plusieurs choses. La faiblesse du parti, sans élus ni moyens, une presse exsangue. Le fait qu’ils devaient donner beaucoup plus que ce qu’ils escomptaient tout en restant toujours très en deçà du temps de militantisme moyen des autres. Et les divisions permanentes du parti sur des sujets en nombre apparemment infini et toujours plus inattendus.
La deuxième vague, presque concomitante en fait, a concerné les syndicalistes. Déjà celles et ceux qui ont rallié le processus furent en trop petit nombre et ce renseignement est capital. De plus, issus d’une tradition où leur engagement, le style de leurs réflexions, leurs centres d’intérêt étaient fortement valorisés, ils-elles ont brutalement été mis à égalité (un vaut un). Plus généralement il a fallu noter la faiblesse numérique des militants associatifs implantés de longue date. Ce fut le cas typique des Quartiers Populaires, une des zones ciblées en priorité par le nouveau parti, mais où la réponse fut faible, et de plus, sauf rares exceptions comme dans le 13, avec des militants peu aguerris. Et là encore (un vaut un) sans que cette expérience soit considérée à la valeur qui eût été certainement reconnue dans une organisation comme la LCR. Or cette double faiblesse syndicale et associative « de vieille date » signait un premier échec sérieux.
Le parti, même nombreux au départ, n’a jamais pu compter sur des bases solides au sein du mouvement social. En fait, au moins en ce qui concerne les syndicats, un poids quantitatif sans doute arithmétiquement plus fort, mais qualitativement plus faible qu’à la LCR. On peut le mesurer en comparant l’influence externe de ces secteurs du parti lors de la lutte de 2003 et celle de la lutte de 2010 (même si évidemment toute comparaison a ses limites). Un poids différent, on le comprend aisément, aurait changé du tout au tout et l’aspect du parti et la nature de ses débats, comme enfin ses choix politiques généraux. De plus, comme on recrute classiquement à son image, tout ceci faisait cercle vicieux aggravant chaque mois un peu plus ce déséquilibre constitutif. En l’absence de ce socle indispensable, la dynamique a renforcé encore ce qui a été appelé ci-dessus le phénomène « auberge NPA », celui où l’on conditionne sa présence à la reprise de ses fondamentaux à soi.
Le débat sur le voile, majeur dans l’affaiblissement du projet, a été le plus révélateur. Inutile de revenir ici sur les questions en débat, nombreuses et délicates. C’est la forme qui compte. Qu’importe le déchirement du parti ou même l’image donnée à l’extérieur, il fallait obtenir une victoire par KO. Totalement impossible de plus car si les camps s’affrontaient sans retenue, dans chacun d’entre eux l’accord était inexistant en définitive et la bataille presque aussi violente. Cela jusqu’au piétinement sans pitié des procédures démocratiques les plus évidentes. Le Congrès du NPA qui a eu à en débattre n’a pas hésité à réfuter un vote pourtant très clair des comités (et qui, précision utile, ne fut pas le mien) en inventant pour cette seule et unique occasion qu’il n’était pas soutenu par une majorité absolue des votants (et non comme il va de soi dans tout congrès, des votants exprimés).
A des degrés moindres, toute question fut susceptible des mêmes confrontations sans merci. Ceci donne un signe triple.
Le principal étant la confirmation que le système fondamental des valeurs de référence était éclaté presque en autant d’adhérent-e-s, nonobstant l’accord abstrait avec les principes fondateurs. Fut importé au NPA le même éclatement des valeurs que celui qui divise en général une gauche déboussolée après le triple échec de la social démocratie, du stalinisme, de l’extrême gauche.
Le deuxième signe est que l’on peut constater en direct que rien ne conduit spontanément à la convergence de ces systèmes s’ils ne sont pas eux mêmes surplombés par des valeurs communes considérées comme de niveau supérieur.
Le troisième enfin, décisif lui aussi, indique que dans ces conditions aucun débat réellement démocratique ne peut avoir lieu. Non que la parole ait été bridée au NPA, mais qu’elle fut en général stérile. Les réflexions de Lénine sur ce point (pas toutes, et encore moins les durcissements sectaro-staliniens de celles-ci) eussent été bien utiles pour saisir que cette convergence, si elle a lieu, est un processus actif, nullement spontané et qui suppose des conditions préalables.
Ces considérations ouvrent sur l’échec d’une autre grande promesse du processus, l’invention de pratiques démocratiques nouvelles, respectueuses à la fois des individus et de leurs instances de base (les comités). Le principe, légitime et incontestable a priori, fut la liberté de choix, d’expérimentation et d’action. Mais comme il est inévitable que ces choix, souvent, engagent bien au delà du niveau où ils sont pris, la question se pose déjà d’une très difficile coordination entre des choix reposant sur des systèmes de valeur parfois opposés. Et comme de plus (effet auberge NPA) il est rare que la bataille ne soit pas portée au delà de l’instance concernée, elle fait rage en conséquence en sourdine et de façon constante de manière non maîtrisée. Ce n’est réellement supportable au quotidien que si les gens qui se ressemblent s’assemblent. D’où un effet souvent d’homogénéisation des comités eux-mêmes, dont la double contre partie est la mise à l’écart des déviants de la norme locale et le recrutement à son image. Rien qui empêche quand même le dépit quand est constaté que la conviction des autres n’est pas emportée aisément.
Au final, la large plage d’accord entre les membres du NPA ne soulève jamais débat, comme c’est logique : ça va de soi. Mais si les désaccords se manifestent, alors, comme les débats ne partent pas d’un système de valeurs commun sur beaucoup de points, les divergences ne sont pas aperçues pour ce qu’elles sont et immédiatement disqualifiées en magouilles. Puis vient la théorie du complot (comme partout : si ce qui m’apparaît évident ne passe pas, c’est que quelqu’un manœuvre en sous-main). Un ennemi masqué et insaisissable travaille dans l’ombre. Comme on ne le trouve pas (et pour cause il n’existe pas) on l’invente. Ceci sans éviter, dans ce climat profondément dépolitisé, les décisions finalement non contrôlées du sommet. Il est donc extrêmement rare que ces choix surviennent au bout d’un processus réellement démocratique. Le bout du chemin est enfin le départ au bout d’un certain temps, fin redoutée mais prévisible qui touche son lot de membres à chaque polémique.
Parallèlement, et contrairement d’ailleurs à cette tendance de fond à l’émiettement, l’organisation d’une confrontation sous forme de courants organisés nationalement peut apparaître comme un contre-feux. Mais si ces courants permettent de recaler un débat politique plus systématique, ils comportent des défauts bien connus déjà auparavant. Ils contraignent pour ainsi dire d’en passer par eux pour dire son mot et peser sur les orientations globales, écrasant au passage d’autres préoccupations que celles qu’ils mettent en avant en se distinguant.
Plus généralement la combinaison entre le fédéralisme constitutif du NPA (un poids important donné aux départements et aux comités) et cette manière héritée d’une certaine partie de la gauche (en France les socialistes et la LCR) est loin d’aller de soi. Non seulement le NPA n’a donné aucune indication positive pour résoudre cette contradiction, mais sa crise l’a pour ainsi dire portée à incandescence.
Ainsi donc on y revient. L’appel « par en bas » faisait implicitement fond sur une unité cachée, à révéler ou à construire, de secteurs et d’individus initialement très différents. Choix courageux, mais qui est venu buter sur une réalité totalement différente : un éclatement « postmoderne » des références de fond, lui-même conséquence directe, au moins, de la crise de la perspective socialiste. C’est une donnée sur laquelle devra se pencher en première priorité toute tentative ultérieure de nouvelle formation. Et dont il faut alors rendre compte au préalable vu qu’elle n’est pas propre au NPA, mais à la période historique plus globale. Et qu’on regroupe en général sous le vocable de « crise de la forme-parti », terme peut-être un peu trop facile. Point sur lequel on développera ci-après.
Au souffle des combats communs ?
Alors encore une fois à ce propos une évolution inévitable ? Mektoub ? Pas vraiment. La dispersion constitutive du système de valeurs au NPA pouvait se renforcer ou au contraire trouver le temps de s’atténuer. De construire des bases nouvelles et plus collectives au cours de batailles communes tournées vers l’extérieur. Ce qui fut le cas en partie au cours des deux grands mouvements sociaux de 2009 et 2010, le second sur les retraites. Mais ces mouvements furent des échecs, et sur l’échec il est difficile de bâtir du solide. C’est donc au travers de combats directement politiques que cela eût été possible. Et dans la période ceux-ci se sont résumés surtout à des confrontations électorales.
Même avec un faible recul il est clair qu’à ce propos la majorité du NPA a grandement sous estimé le retournement rapide de la conjoncture qui lui avait été très favorable pendant 18 mois. Deux éléments majeurs sont à retenir.
Le premier est très souvent mis en avant, celui de la constitution simultanée du PG et du FG. L’espace de la gauche réformiste radicale qui avait semblé atteint d’impotence avait trouvé un nouveau souffle. Et venait peu à peu (en fait assez rapidement) mordre sur un public qui sans rejoindre le NPA encore, le regardait avec intérêt, faute de trouver chaussure à son pied. Il eût fallu s’en rendre compte sur l’heure et adopter une tactique adaptée à la nouvelle conjoncture. La question s’est nouée dès les élections européennes. L’argument avancé pour refuser un accord électoral avec le nouveau FG (et sur lequel j’ai aussi une paternité il faut le reconnaître) fut qu’il fallait qu’il soit « durable ». En pratique, qu’il lie le FG et le NPA au moins pour les deux élections à venir, soit les européennes et les régionales. C’était un argument intrinsèquement sectaire, puisqu’il revenait à renoncer à un accord possible (la question des relations de second tour ou, encore plus, de gestion commune avec le PS ne se posait pas pour les européennes) au nom d’une demande difficile voire impossible à satisfaire ultérieurement.
On dira plus tard qu’il s’agissait là d’une arrogance juvénile. On peut surtout estimer que c’est une erreur d’analyse sur la capacité si rapide de cette partie de la gauche à retrouver une fonctionnalité. Rapidité qui à son tour ne pouvait se comprendre que par le fait que ça correspondait à une attente qu’on n’a pas su saisir. Le NPA a laissé donc se constituer sans combattre cette nouvelle alliance. Rien ne dit d’ailleurs qu’une politique différente eût été en mesure de gagner une majorité au congrès de fondation. Il n’empêche que ce fut une erreur révélatrice.
Il s’agit donc là du premier élément. Le second est plus rarement mis en avant et consiste à se demander comment il se fait que le succès du FG se soit révélé si rapide. L’argument de « l’unité » est réel. On est toujours plus « unitaire » à plusieurs que seul. Mais c’est insuffisant. On ne peut jamais séparer « l’unité » des bases sur lesquelles elle se constitue. Et sur ce plan le positionnement constant du NPA tient et tenait aux relations d’indépendance avec le PS. On ne peut saisir le retournement rapide de conjoncture politique à gauche de la gauche si on ne saisit pas que cette question mise en avant par la LCR puis le NPA avait fini par perdre de la force qu’elle avait encore en 2002, après 5 ans de gouvernement de la gauche plurielle.
Avec le recul on se rend compte que c’est cette année là, en 2002, que l’extrême gauche est au plus haut (LO et LCR). Dès 2004, après l’échec d’un premier combat sur les retraites en 2003, le vote PS retourne en grâce. Et c’eût été encore confirmé à coup sûr sans le coup porté par la campagne sur le TCE en 2005, qui mit le PS au supplice, en faisant revivre concrètement ce qu’était son social libéralisme. 2007 en garde encore la trace, mais atténuée. Ensuite l’état des choses est là : des années de pouvoir de la droite et d’une droite sarkozyste déchaînée. Il était logique soit que le PS retrouve de vraies couleurs (ce qui s’est passé aussi), soit/et que dominent à gauche de la gauche des politiques marquées par l’ambiguïté dans les relations avec le PS. D’autant que parallèlement l’issue des luttes d’ensemble devenait bouchée, après plusieurs tentatives (toutes entravées sans surprise par les directions des principales centrales syndicales).
Toutes choses égales par ailleurs, le même processus qu’en 1981. La victoire de Mitterrand représentait à la fois l’ombre portée de 68 et le fait que le mouvement social, défait, était canalisé dans le lit électoral. D’où l’incapacité où il s’est trouvé de résister au tournant libéral de 83. Le succès actuel du FG, enthousiaste et mobilisateur, est probablement du même ordre, l’espoir de suppléer par un bulletin de vote au mouvement social maquant. Avec la restriction des objectifs qui va avec : limités pour beaucoup de ses partisans (mais pas tous loin de là) à au moins peser, fusse un peu, sur le PS. Dans ces conditions le NPA se retrouvait inévitablement plus isolé, soupçonné de briser l’espoir renaissant d’une gauche unie, et qui serait en même temps enfin vraiment à gauche. Comme d’habitude, le passé passe et il faudra de nouvelles expériences, malheureusement.
De ces deux points de vue, le NPA aurait dû en tirer la conclusion que les choses avaient changé rapidement et s’y adapter avec plus de souplesse. Surtout avec la défaite des mouvements sociaux des années 2009 et 2010 qui a accentué encore ces données. Au final il eût fallu trouver les moyens d’un mouvement de retraite alors que le mouvement social lui même refluait. A continuer avec raideur sur le même positionnement tactique (on ne parle là que de ça, pas des principes de fond), on en arrivait à un gauchisme de fait, fut-il modéré. Sauf que l’on sait depuis longtemps que la retraite est la partie la plus difficile de l’art militaire si on ne veut pas qu’elle se transforme en déroute. Et qu’il y a une limite à la possibilité de refaire l’histoire même en pensée.
Mais justement ces choix, qui auraient du être faits mais ne l’ont pas été, ne peuvent pas ne pas être mis en relations avec les projets fondamentaux parfois différents au sein du nouveau parti, ce qui sera abordé ci-après.
On peut compenser des hétérogénéités profondes sur le plan des valeurs par le souffle de combats communs (et comme on le sait, le NPA sera privé de cette chance par la décision d’Olivier). On peut aussi résister à des revers dans des combats politiques et sociaux avec une solide base de référence commune. Sans l’un ni l’autre, les choses étaient mal engagées.
« La perte de substance »
Mais même dans ces conditions il y a encore une possibilité de résister aux vents mauvais s’il existe un secteur dirigeant uni dans sa volonté de surmonter les points de vue politiques différents, comme dans celle de conserver l’unité plus globale du parti. Et disposant d’une légitimité reconnue dans cette tâche. Rien de tout cela n’était disponible. La viabilité même du processus exigeait que la seule tradition qui pouvait abstraitement prétendre à cette fonction, celle de la LCR, soit mise de côté, sauf à empêcher le big bang en cours. Sans être remplacée par qui que ce soit et sans que le temps soit accordé au nouveau parti par l’état du mouvement social pour créer une autre légitimité. Là s’est vérifiée malheureusement la crainte principale exprimée par Daniel Bensaïd (fervent partisan du processus par ailleurs), celle de « la perte de substance ». Que l’on retrouve par ailleurs dans l’impossibilité d’engager le NPA dans un indispensable débat stratégique, pourtant annoncé par les principes fondateurs et réclamé de toutes parts.
Un processus « d’en bas » contradictoire et conflictuel ; des erreurs d’analyse sur la conjoncture ; un parti sans tête véritable. Ça fait effectivement beaucoup quand de plus la sidération sociale prévaut face à l’éclatement de la crise systémique du capitalisme et que, momentanément au moins, la peur remplace les luttes.
Le point où la rupture passa
Toutes ces considérations, si elles rendent moins inexorable dans le raisonnement ce qui conduisit à une rupture majeure, n’enlèvent rien au fait que oui, il y avait bien un maillon faible au milieu de la chaîne. Un lieu d’où les points de vue sur la nature du parti à construire se soutenaient l’un l’autre, puis se juxtaposaient à peine, avant d’évoluer en sens contraire.
Le NPA était présenté dès l’origine comme « un processus ». Mais vers où ? La forte influence aujourd’hui au sein du NPA d’une série de groupes dès l’origine hostiles à toute « ouverture » ne doit pas troubler la perspective. La crise du parti ne vient pas d’eux ; c’est au contraire la crise qui leur donne presque la majorité. C’est leur fonction constante devant l’Éternel de chercher à se greffer sur les processus vivants, et on ne peut guère leur reprocher d’agir en fonction de leur nature. On peut juste regretter une certaine naïveté et, surtout, que ces pratiques paraissent increvables. Mais même leur présence à l’origine du NPA prouve surtout le caractère vivant du processus. On ne va pas « faire son marché » dans un cimetière, même si une fois ce marché fait, il ne reste guère qu’un cadavre à dépecer. Non, le processus était bien réel et imprimait sa marque. Un « parti processus » dont la stratégie était en discussion, mais aussi les frontières. En aucun cas un parti « achevé ». Un parti fermement arrimé sur « la radicalité ». Ce qui en pratique signifiait fondamentalement deux éléments. L’insistance sur (et la confiance prioritaire dans) le mouvement des masses elles-mêmes. Et, sur le plan purement politique, une indépendance sourcilleuse vis à vis du PS. C’était peu et beaucoup à la fois.
Cette radicalité un peu vague se combinait, une fois ces frontières données, avec une volonté « d’unité ». Donc dans un champ associatif, syndical, politique travaillé plus ou moins par les mêmes exigences, mais de manière certainement pas aussi conséquente que le NPA. Et donc finalement, c’était la formule « unité et radicalité » comme aimait à le proclamer le NPA à ses débuts. Comme il était prévisible, ceci s’est révélé une ligne de crête plutôt qu’un boulevard malgré la relative simplicité de la formule. Comme souvent en politique, et encore plus pour des mouvements dont l’implantation sociale est faible, qui plus est s’ils sont révolutionnaires, les risques sont constants de tirer les choses de manière trop appuyée d’un côté ou de l’autre. Au risque donc de l’isolement au nom de la sauvegarde de ce qui apparaît non négociable de la radicalité revendiquée. Ou alors de la négociation à la baisse sans fin de celle-ci au nom de l’unité. Rien là de très nouveau, au moins pour une tradition comme celle venant de la LCR, où le jeu fin et complexe entre des impératifs contradictoires avait fini par devenir partie constituante du génome. Mais avec la constitution du NPA, les choses changeaient sur un point majeur, avec désormais un « processus » en œuvre concrètement.
Une fois regroupée la première vague des anticapitalistes, vers où se tourner ? Et à travers cette question, une autre, bien plus fondamentale. Non seulement vers où, mais pourquoi faire ? Selon la réponse à cette dernière question, celle donnée à la première ne pouvait qu’en être impactée. Pour certains (dont je suis, mais était-ce représentatif ?) il s’agissait au final de lutter pour regrouper un camp composite, celui qui avait manifesté son existence et sa portée à plusieurs reprises en France. Sous des formes toujours très diverses et dépendant des conjonctures : allant du « mouvement social » après les luttes de 95, à celle du TCE en 2005. Comme encore aux présidentielles de 95, 02 et O7. Mais de le faire à certaines conditions, dont celle, majeure, de l’indépendance vis à vis du PS.
Cette dernière condition faisait le partage avec les courants (dont certains issus aussi de la LCR) pour lesquels en définitive la partie « radicalité » de la position était fétu de paille devant l’exigence « d’unité ». Dit sous une autre forme, était-on prêts à une lutte pour l’hégémonie sur ce camp potentiel (« l’union est un combat » comme disait Georges Marchais…) ? Sans certitude de la gagner bien sûr ? Ou alors acceptait-on d’emblée (et donc pour toujours) une position subalterne face à des forces (le PC en particulier) dont l’ancrage réformiste était tout sauf superficiel ?
La position qui était la mienne consistait à garder en permanence en point de mire le projet d’un regroupement le plus vaste possible. Incluant donc incontestablement ce qu’en langage codé, et en fait très inadapté, on appelle « réformistes » dans notre tradition. Mais outre que tous ces termes ont vieillis et sont piégés, derrière celui-ci en particulier on regroupe des choses très différentes. Depuis le réalisme basique de tout un chacun, ou encore l’expérimentation limitée dans le temps et l’espace, mais très utile, jusqu’à des forces dont le « réformisme » n’est plus que discours du dimanche. Et dont la réalité est bien plus la cristallisation de liens très matériels avec telle ou telle branche de l’État. Plus évidemment tous les intermédiaires. Il y a donc derrière ce terme des contenus en fait bien différents, mais on sait aussi, depuis longtemps, qu’il est impossible de s’adresser à une partie sans aussi, et souvent d’abord, s’adresser à l’autre. L’idée apparemment séduisante de détacher une « base » saine de dirigeants « corrompus » (outre son simplisme constitutif) n’ayant jamais marché, nulle part.
Il découlait de cette vision que le « processus » commencé avec le NPA ne pouvait pas s’élargir autrement que vers des militant-e-s, groupes militants, formations politiques situés géographiquement moins « à gauche » sur le champ politique. Plus « à gauche », il n’y a que LO dont il est inutile de rappeler les caractéristiques. Tout ceci donc à certaines conditions politiques fermes, mais limitées.
Pendant un temps il apparaissait que c’est dans le jeu entre ces deux contraintes (toujours unité et radicalité) que se nichaient débats et divergences, inévitables et parfois âpres, mais dans un cadre commun. Il y a une vraie interrogation sur le fait de savoir si ce cadre commun était fantasmé, par moi entre autres, autrement dit s’il a jamais existé vraiment. La rupture à ce propos était-elle écrite ? Ou alors, dans l’ordre des choses de la vie, un se divisant en deux, ce qui n’étaient que postures différentes se seraient systématisées jusqu’à devenir opposées et incompatibles.
Un événement presque sans importance, passé à peu près inaperçu à l’époque, marque avec le recul quelque chose comme un point tournant, au moins un vrai révélateur. Il s’agit de l’attitude par rapport à l’accord électoral passé en Languedoc-Roussillon, principalement entre le FG et le NPA, à l’occasion des élections régionales de 2010. Dans le microcosme de la gauche de la gauche, et dans ces élections là, c’est plutôt ce qui s’est passé dans le Limousin qui a tenu le devant de la scène. Mais cette dernière situation était en fait bien moins révélatrice. C’est le PS qui en refusant le NPA sur des listes fusionnées a conduit en réalité l’ensemble de « Limousin terre de gauche » à entrer en opposition. Si bien que l’on ne pouvait pas tirer un bilan réel des conditions de l’accord passé. Celles-ci prévoyaient une liste commune de premier tour, mais des attitudes annoncées opposées ensuite, le FG dans l’exécutif, le NPA dans l’opposition de gauche. Impossible de juger en définitive la viabilité et la portée de la chose.
En LR (à cause des conditions particulières produites par la présence controversée du dirigeant socialiste local Georges Frèche), on aboutissait au contraire à une situation chimiquement pure. Un accord de « l’autre gauche » en rupture annoncée et collective avec le PS. Toute une partie de la majorité du NPA a pourtant refusé de considérer cet accord comme la réalisation (certes limitée et spécifique) de ce que pourquoi le parti se battait. Une révélation donc : en réalité, pour cette partie, il n’était simplement pas question, jamais, de passer à la concrétisation de ce qu’elle défendait pourtant publiquement. Autrement dit encore, il n’y avait plus guère de différence avec tous les « politiciens » que nous dénoncions par ailleurs à juste titre. Puisque nous aussi faisions des propositions que nous n’avions nullement l’intention de confirmer, même quand les conditions que nous avions nous-mêmes posées se réalisaient.
La même chose devait se développer en bien plus important par la suite. La victoire possible de Hollande allait poser concrètement une question demeurée abstraite pendant une décennie, celle de la participation à un gouvernement socialiste de tout ou partie de la gauche de la gauche. En toute logique, conformément à des déclarations répétées des centaines de fois, le NPA aurait dû annoncer sa volonté de s’unir solidement aux secteurs qui ne rejoindraient pas le PS. Mais (comme dans le cas du LR) la perspective se rapprochant elle s’est révélée insupportable à concevoir pour une partie importante du NPA.
En raisonnant à partir de là et en régression, cela signifiait que le « processus » NPA était abandonné ou changeait de nature. Et en fait, des théorisations complètement nouvelles sont venues confirmer une mutation surprenante. Deux principalement.
La première concerne la nature de ce qu’il faut comprendre par « unité ». Non au sens précis et situé de la manière, compliquée, dont la question se présente en France aujourd’hui. Mais dans la foulée d’un débat un peu daté, central tout de même, sur ce que notre tradition appelle « le Front Unique ». A l’appui du rejet de tout « processus » politique unitaire concret, même à nos conditions, fut défendue l’idée, sortie de nulle part, que le Front Unique « c’était pour les luttes », mais jamais « politique ». De nulle part, puisqu’une vérification élémentaire montrerait que lors de l’élaboration du concept dans les années 20 à l’intérieur du mouvement communiste, une telle séparation n’a jamais existé. Lénine par exemple a consacré une part de son livre « La maladie infantile » à la destruction pied à pied d’une vision aussi futile. Plus tard Trotski a multiplié en vain les appels angoissés à un front, y compris électoral évidemment, entre les communistes allemands et la social-démocratie (« les assassins de Rosa Luxemburg » comme les appelait le PC allemand stalinisé) pour contrer la montée de Hitler. Plus modestement, on aurait du mal par exemple à savoir si la campagne commune contre le TCE en 2005, c’était « de la lutte » ou « de la politique ». Le Front Unique appelle unité et aussi indépendance. Donc débats et luttes internes au Front s’il voit le jour, au moins sur l’orientation politique générale du front, et surtout sur la démocratie de son fonctionnement et l’appui sur des structures de base. Mais rien qui ressemble à une opposition naïve base et sommet et encore moins une division entre « les luttes » et « la politique ».
Mais quittons la théorie. Ceci venait indiquer que pour ces secteurs, par nature, un rapprochement électoral (et encore moins une alliance plus durable) ne pouvait s’envisager avec d’autres courants (sauf LO, et il n’est pas exclu que cette hypothèse reprenne de la vigueur). Par nature, cela veut dire jamais. Mais alors « le processus » ? C’est là que s’est forgée une deuxième invention : il devait se poursuivre, mais avec « les anonymes », loin des « politiciens professionnels ». Autrement dit, de « processus », il n’y avait plus. Le NPA, entité achevée, n’avait plus qu’à organiser son recrutement et son extension comme n’importe quel parti de la place, considérant définitivement toutes les autres formations ou bouts de formations comme des adversaires par définition, en nature. Pour cela, parer « les anonymes » de beaucoup de vertus était indispensable et…pas mal affligeant.
Une de fois de plus, il est vraiment difficile de savoir s’il s’agit d’une évolution, toujours possible. Ou d’une position présente dès le départ. Ce n’est intéressant que pour les historiens. Il est en particulier possible que des évènements lointains aient en réalité eu une influence importante. Entre autres l’expérience du Parti de la Refondation Communiste en Italie, où l’intégration de révolutionnaires n’a rien pu faire contre une évolution qui a conduit à la quasi disparition de la gauche elle-même. Et encore plus celle d’un courant trotskyste au Brésil, fondateur du Parti des Travailleurs de Lula. Et accroché en définitive jusqu’à la mort à ce même parti, même quand il révéla d’évidence sa conversion totale au social-libéralisme. Questions fondamentales d’ailleurs que je reprends plus longuement ci-dessous. Mais que de ces échecs on tire les conclusions que j’ai décrites, cela signifiait que le projet même du NPA était plombé dès l’origine.
Tout ceci va en fait bien plus loin. Pour la première fois dans sa déjà longue histoire, ce courant du marxisme révolutionnaire qui se retrouve au NPA ne dispose plus d’aucun projet de transcroissance. Il n’en a pourtant pas manqué. Depuis les « pans entiers » du Parti communiste qui devaient in fine se convertir à la bonne parole, jusqu’aux « partis larges » (comme le NPA, thème fondamental que j’aborde plus loin) en passant par des « recompositions », des « pôles de radicalité », des « reconstructions ». Tous projets qui ont été en définitive des échecs plus ou moins importants, sinon ça se saurait. Mais toujours ces « projets » conservaient un pied dans la réalité : il est impossible que le seul développement d’un noyau minoritaire ne parvienne à résoudre même très partiellement la question de doter les opprimé-e-s d’une représentation politique adéquate.
Voilà, mutation inattendue mais fondamentale, que cette partie du NPA s’est convertie à la théorie du « noyau » délimité au couteau et qui ne cherche plus que sa voie. Seul, mais bien accompagné par des « anonymes ». La même vision que LO. Sauf que ce n’est pas le même noyau. De plus il est acquis que parmi les partisans du « noyau » à développer, tout le monde ne part pas du même y compris au sein du NPA. Or l’expérience démontre aisément qu’à l’extrême gauche la pérennité de ces sectarismes n’est possible qu’adossée à un corps de doctrine immuable, alliée à une confiance aveugle dans une direction dotée de la légitimité en toute occasion, et – souvent mais pas toujours – l’existence d’un gourou. Rien de tout cela n’étant disponible d’une manière homogène au NPA, ce projet lui-même est voué à l’échec. C’est comme pour Dieu : vu l’importance de la chose, il importe de choisir le bon. Et comment faire ?
Sans chercher de fausse symétrie on ne peut que constater que « la ligne de crête » a été abandonnée par certains aussi de l’autre côté. L’abandon de « la radicalité » au profit de « l’unité » s’est révélé extrêmement imaginatif mois après mois. En plus du débat classique de l’endroit où passe le curseur (débats délicieux mais inévitables, dont il n’y a pas lieu de s’offusquer. Que n’a t-il pas fallu entendre sur nos camarades limougeauds, des demi-traîtres n’est-il pas ?) il y a un moyen imbattable de régler la question à la racine. C’est de décréter que l’unité réelle qu’on a sous les yeux est justement…radicale ! Coup de chance ! On est au port, finis les soucis. L’union n’est plus ce combat qui fatigue les plus endurcis. Pas allègrement franchi par certain-e-s. Concrètement, que le PC réellement existant soit au cœur du dispositif pourrait troubler ? Mais pourquoi se faire du mouron ? La dynamique y pourvoira.
Même si les arguments à l’appui de cette évolution sont parfois désarmants, ils n’ont toutefois pas les mêmes conséquences que les précédents. Parce que la volonté est quand même de se lier avec des phénomènes réellement existants et parfois très marquants (comme le rassemblement FG à la Bastille). Parce que cette même réalité amène tôt ou tard son verdict sur ce genre de questions. Soit effectivement le problème est résolu. Plus de ligne de crête, le repos enfin. Soit il ne l’est pas, et ce sera au su et au vu de tout le monde. Et il faudra alors reprendre le débat et le combat, pour celles et ceux qui en auront encore le courage. On revient de ces illusions, ou on les assume définitivement. Difficilement parfois c’est vrai. De l’autre voyage mutationnel, jamais.
La description est ici durcie, rabattue sur ses extrémités. En pratique les positionnements furent bien plus mouvants et plus divers. Comme d’habitude…
La LCR déjà ?
A ce point il importe de rappeler la thèse défendue depuis le début : l’explication de l’évolution des choses ne peut se résumer à une seule cause se manifestant sur un seul plan. Situation générale et données de période historique, difficultés de fonctionnement, diversité accentuée des systèmes de référence et de valeur, divergences sur le projet du NPA lui-même (et alors natives ou en évolution), volonté de casser « le maillon faible » du centre ou de le préserver, etc… A cela il faut ajouter maintenant la nécessité d’entrer dans « l’archéologie », la genèse de l’ensemble. Lesquelles prennent naissance au sein de la LCR.
Si l’on se reporte à la thèse de Florence Johsua sur la LCR de l’ère Besancenot, on pourra aisément constater que la plupart des caractéristiques décrites pour le NPA étaient déjà présentes dans la LCR d’après 2002 et la première campagne d’Olivier. D’ailleurs, fait symbolique, la LCR elle même avait connu en 2004 une première « crise du voile ». Cela amène plusieurs commentaires. Le premier est qu’en conséquence il faut bien faire l’effort de dépasser la conjoncture particulière qui a conduit à la crise du NPA pour analyser des contraintes plus globales. Le deuxième est que, probablement, le fait de conserver la LCR ne l’aurait pas protégée des mêmes difficultés au delà d’une certaine limite. Et le troisième est que nonobstant des éléments communs, elle n’a pas connu la même crise. Les points plus généraux de période seront abordés ci-dessous.
Mais pourquoi la LCR n’a t-elle pas connu une crise existentielle du même ordre que celle qui touche le NPA ? Il existe une première réponse à cette question qui réside dans le facteur que l’on pourrait appeler « subjectif ». L’attachement profond d’une nombreuse couche de cadres à ce parti, et, en conséquence, la prudence menant à ne pas aller trop loin malgré des polémiques constantes et parfois violentes. Comme il a été expliqué au début de ce texte, en effet, aucune organisation faible et marginale ne peut survivre sans une forte volonté de rester ensembles malgré tout.
Ceci fut conforté pendant longtemps par l’existence d’un encadrement central, une « direction », suffisamment consciente de la fragilité d’ensemble pour ne pas jouer avec le feu de trop près. Laquelle disposait de plus d’une légitimité pour cette fonction très limitée, mais capitale. Il existait en résumé une histoire reconnue comme un patrimoine commun. Une filiation historique, non d’un corps fermé de doctrine figé, mais d’un « espace de problèmes » travaillé ensemble avec prudence, toujours à la fois avec un esprit ouvert, de respect mutuel et d’inclusivité.
Évidemment tout ceci a volé en éclat avec le NPA, par le choix courageux (mais risqué donc) de cette même tradition. Cependant le fait bien plus saisissant est que ce ne fut pas sous l’impact, inévitable et souhaité, de la multiplication par trois des effectifs et par bien plus de trois concernant la diversité. Rapidement c’est le cœur de cette tradition qui ne s’est plus reconnue comme telle. Comme le dit PF Grond, le moment symbolique étant effectivement celui de la disparition de Daniel Bensaïd, le dernier à incarner, tout seul finalement, un point d’ancrage reconnu.
Il y eut donc là un éclatement généralisé du « facteur subjectif ». Généralisé parce que non limité, loin de là, à la direction centrale, dont on pourrait mettre en cause (certains y voient d’ailleurs l’aspect principal de la question ici discutée) le renouvellement trop rapide. Non, c’est bien la masse de l’ancien encadrement de la LCR qui s’est idéologiquement et psychologiquement dispersé avant de l’être politiquement. Comme si le couvercle avait été maintenu trop longtemps, et que l’appel du grand large qui a accompagné le lancement du NPA avait d’abord valu autorisation pour ces militant-e-s à rompre enfin avec ce passé qui ne passait pas. Que l’heure était venue (ou alors elle ne viendrait jamais) de faire jouer son propre particularisme. Passé se révélant un carcan donc, mais en même temps indéniablement une protection qui a volé en éclats contre les vents mauvais que comprennent aussi les vents du large.
Signe de plus que la LCR était arrivée au bout de son cycle. Mais il reste à expliquer pourquoi à ce moment là précisément. Et pour ce faire, l’explication trop interne est insuffisante. Une crise latente qui ne trouve jamais matière à se développer totalement peut très bien ne pas se développer du tout, ou être contenue. Pendant des décennies la LCR a vécu de projets qui ne se réalisaient pas, ou très partiellement. De changements dans la continuité. Le choix de lancer le NPA signifiait un bouleversement capital d’échelle et de responsabilité. Surtout il potentialisait, par la nécessité de choix enfin pratiques, des éléments de divergence dont il était difficile de mesurer l’importance tant qu’ils restaient en fait assez abstraits. Et donc là encore on ne peut pas dire que la crise du NPA fut seulement inscrite dans celle plus diffuse de la LCR. Cela dit c’est quand même un bilan assez sévère qui apparaît. La LCR a eu suffisamment de ressources pour donner au courant qu’elle incarnait la possibilité, rare en fait à l’extrême gauche, d’une mise en pratique. Mais c’est à l’épreuve de celle-ci que cette tradition n’a pas résisté.
Et c’est donc à nouveau ce qu’il convient d’expliquer, par un autre changement d’échelle.
Aux racines des « partis larges »
En 1987, j’ai été un des premiers à avancer l’idée qu’il fallait abandonner le projet d’un strict « parti des révolutionnaires ». Les considérants étaient multiples. Je reprend deux d’entre eux en particulier. On était (déjà) dans la constatation de l’impasse de toutes les issues avancées à gauche. La destruction de la gauche entamée par Mitterrand donnait clairement l’indication que ce qui finira par s’appeler « social-libéralisme » signait la fin de la possibilité d’évolution positive de la social démocratie. Non à nos yeux (c’était fait depuis longtemps), mais d’une manière généralisée. Le stalinisme était affaibli par les choix de la direction Marchais, et surtout, plus globalement, apparaissait en crise et discrédité à une échelle de masse, même au niveau international. Et enfin (c’était la question la plus controversée) la gauche révolutionnaire non plus n’avait nulle part fait la preuve de son efficacité.
Ce jugement précis était mis en relation avec (déjà) la nécessité de mettre sérieusement à la question l’expérience d’Octobre. Ce que la Quatrième Internationale avait commencé à faire à l’aide d’avancées programmatiques décisives (dont les considérations sur la démocratie socialiste ou sur le féminisme ; pas encore sur l’écologie mais c’était en marche). Cependant il convenait de faire des pas de plus, y compris par la remise en cause de la théorie dite « des États ouvriers dégénérés » concernant l’URSS, ce qui soulevait beaucoup plus de réticences (pour parler sobrement). De tout ceci une conclusion : les frontières allaient et devaient bouger.
Le deuxième considérant y était lié, mais avec une certaine autonomie, et, peut-être, engageait encore plus. Non seulement on ne pouvait prétendre que la stratégie fondamentale d’une éventuelle nouvelle force recomposée ne pourrait être que la nôtre, mais encore celle-là même (« la nôtre ») méritait une réélaboration dont l’horizon ne pouvait être donné à l’avance. Il dépendait de la réflexion et, surtout, du mouvement des masses. Ceci fut traduit par le terme « parti non délimité stratégiquement ». Mais…par les adversaires de la chose ! Ni moi-même, ni les camarades qui ensuite, ou/et en même temps, ont défendu grosso modo la même chose n’ont utilisé cette formule. Parce qu’évidemment elle ne veut rien dire.
Jamais on ne part « de zéro ». Nous conservions une masse de référents stratégiques (dont l’un, capital, qui était que l’on ne pouvait changer le système qu’essentiellement de l’extérieur de ses propres institutions et en s’appuyant sur le mouvement social). La bonne formule qui a fini par s’imposer (elle n’est pas de moi, mais je ne sais pas à qui l’attribuer exactement) est « stratégie non achevée » qui indique à la fois une base solide et des marges mouvantes. Certes ces marges se sont révélées au fur et à mesure bien plus importantes que pensées au départ, mais c’était l’idée.
La date importe ici, 1987. Avant donc la chute du Mur. La perspective souleva tout de suite des oppositions multiples, certaines farouches. Mais justement : avec la chute du stalinisme sans ouverture révolutionnaire, l’idée globale prenait inévitablement une ampleur non plus conjoncturelle, mais historique. Octobre se fermait pour de bon, et dans les pires conditions. De là l’idée, la formule et le contenu, en fait du même ordre, et le résumé dû à Daniel Bensaïd : « nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti ». Le parti en question était bientôt dit « large » en un double sens. Par l’ampleur des traditions politiques concernées ; et par le brassage programmatique annoncé, dont seul le processus pouvait indiquer les limites. Une partie du logiciel traditionnel de la LCR était compatible avec ceci, celle qui avait toujours refusé de se voir comme « le noyau » unique d’un futur parti. Mais quand même il s‘agissait d’un bougé tout autre chose que superficiel.
Le bilan global de ceci est difficile à tirer. D’un côté les considérants principaux n’ont cessé de se voir confirmés et approfondis (que l’on mesure ce que signifie pour ce nouveau programme la conversion à l’écosocialisme). De l’autre aucune des tentatives de concrétiser la perspective n’a abouti, en tout cas en France. Et de sérieuse déconvenues ont jalonné le parcours, dont les expériences du PRC italien, du PT brésilien (très différentes il est vrai dans leurs sources et leurs conditions). Et maintenant, le NPA.
Laissons de côté pour ce texte le cas brésilien, trop éloigné des conditions européennes et initié d’ailleurs bien avant ce débat là. Celui du PRC relève de ce qui fut appelé « la recomposition ». L’image est la suivante : comme des légos, des partis ou bouts de partis sont changés de place, recomposés autrement, pour faire ce nouveau parti. Avec en particulier les « bouts » produits par la crise du stalinisme. Au moins en Europe du Sud c’était bien sûr un chemin inévitable de la « recomposition ». Au début le succès fut notable. Il atteint son sommet dans la jonction presque réussie du PRC avec le mouvement altermondialiste des années 2000. Jusqu’à des déclarations fracassantes aux forum sociaux, où le chef du parti, Fausto Bertinotti, alla jusqu’à défendre avec emphase que le réformisme était le chemin le plus direct vers la défaite. En très peu de temps ensuite, tout s’écroula. La voie « mouvementiste » n’ayant engrangé aucun succès (ce qui était vrai), la direction du parti tourna cap sur cap, s’allia avec le centre gauche. Et le parti y laissa sa peau. A aucun moment il ne fut possible de peser pour bloquer l’évolution, ni d’ailleurs de sortir de l’affaire avec un parti de masse, même plus petit. Un échec proche du désastre.
Quand on se livre à un bilan du NPA il est impossible en toute honnêteté de ne pas aussi se livrer à ce bilan là. Même si les choses peuvent être différentes ailleurs et un jour, il est à peu près clair que la reconversion « radicale » des résidus institutionnels du stalinisme s’est pour l’instant révélée difficile, sinon impossible.
La majorité de la LCR a donc tourné le dos à ceci, en en tirant en particulier la plus grande méfiance quant à toute ambiguïté quant aux relations avec le PS et équivalents. Mais si « la recomposition » connaissait des difficultés la perspective globale était maintenue, remplacée par « la reconstruction ».
L’idée était d’aller chercher une refonte bien plus profonde que celle d’un jeu de légos. A la fois sur les contenus programmatiques, les forces concernées, le mouvement ouvrier lui-même. Par exemple la prise en compte plus vaste et plus nette de phénomènes nouveaux. Comme avec la montée des mouvements de type originaux, dont le prototype était l’altermondialisme. Le projet NPA était de cette veine. Il a abouti lui aussi à un échec. Il y a en effet une certaine difficulté avec cette notion, finalement assez vague, de « reconstruction ». Certes elle a le grand avantage d’élargir la perspective. De tenir compte de la crise globale du mouvement ouvrier « traditionnel » (terme commode mais qui demanderait des précisions). De comprendre les nouveautés post chute du Mur et post explosion du libéralisme mondial, comme aussi des éléments encore plus fondamentaux à l’instar de la question écologique.
Nouveaux thèmes, nouvelles formes de lutte et d’organisation cherchant la riposte à la destructuration du prolétariat imposé par le capitalisme globalisé. Si « nouveau programme » il doit y avoir pour une « nouvelle époque », alors le « nouveau parti » ne peut guère être un décalque des anciens. C’est à tout ceci que s’adresse le concept de « reconstruction ». Ce qui, en aucun cas, ne signifie qu’il s’agit en l’occurrence de zones politiques par nature « plus à gauche » que l’ancien mouvement ouvrier, ni que l’avenir en soit garanti (voir les difficultés des Indignés à résoudre le problème de la représentation politique, si même ils se la posent). Au delà, de plus, il faut tenir compte de la grande masse populaire qui se tient en dehors de toute organisation et de luttes, sauf exceptionnellement.
Le thème de la reconstruction désigne donc une mutation dans les préoccupations, nullement une solution miracle par elle-même. Elle se combine inévitablement avec des « recompositions » au lieu de seulement les remplacer. On a donc « deux publics », formule ramassée qui est plus une image qu’un concept, et c’est dans leur mise en synthèse que devrait résider une grande partie de la solution. Si elle est possible. Car le grand inconvénient du concept de « reconstruction » est de ne donner aucune indication quant aux moyens d’y parvenir. Et pour cause. Par définition il s’agit d’un synonyme de bouleversement général des conditions de la lutte et de l’organisation des combats émancipateurs. Si « reconstruction » il doit y avoir, l’essentiel ne peut venir d’épaules aussi frêles que les groupes révolutionnaires aussi « ouverts » soient-ils.
A ce point il faut revenir sur une question nouvelle, qui ne fut pas aperçue comme telle pendant longtemps, celle dite de « la forme-parti ». On l’a décrite dans le cas du NPA, mais elle est bien plus large et c’est une caractéristique de la période. Déjà les « partis » comme l’UMP ou le PS ont peu à voir avec cette « forme » militante du passé. Ils sont essentiellement, plus pour l’UMP que pour le PS mais quand même, des extensions de l’appareil d’État. Comme c’est déjà le cas, sous forme de prototype pour les démocrates et les républicains aux USA. Mais effectivement, même « militante », cette forme, centralisée, paraît avoir fait son temps. Sauf qu’en rester là semble indiquer que la solution est à portée de main. Mais par quoi serait remplacée cette forme ? Où sont les indications que sont résolus les problèmes de mise en convergence de sources d’engagements si différents ?
On peut tout aussi bien avancer que si la forme-parti est en crise, c’est autant pour son propre bilan que par la crise plus générale de l’engagement lui-même. Pour peu qu’on imagine celui-ci comme continu, donc porté par une visée commune et d’ampleur historique. Comme souvent on laisse entendre que la désignation du problème vaut solution. Mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Par nature les modes de mobilisation « postmodernes » sont contradictoires avec la forme-parti, c’est absolument vrai. Mais sont-ils compatibles avec un engagement politique tout court, voilà qui demeure une question ouverte.
Dans la plupart des cas en Europe, on a ainsi abouti à des échecs. Les considérants fondamentaux peuvent alors valablement être remis en cause. Mais pourtant ils demeurent convaincants. Il y a deux manières de s’en émanciper et d’abandonner le triptyque « nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti ».
La première est de considérer que non, décidément, rien de fondamentalement nouveau ne doit être produit. Mais ce n’est qu’un choix négatif, une impasse, et un échec, certain lui aussi.
La deuxième est d’abandonner le contenu révolutionnaire potentiel de ce programme éventuel à bâtir. Se contenter de l’accessible, des partis réformistes existants en les espérant les plus à gauche possible. Position à distinguer soigneusement de la collaboration momentanée au sein d’un même parti (comme Die Linke en Allemagne), choix qui pourrait découler de rapports de force circonstanciels précis. Mais les problèmes se feraient sentir, bien avant que les « grandes choix » se trouvent posés devant nous (s’ils le sont un jour). Déjà dans le quotidien des mobilisations, surtout si elles engagent comme possibilité celle d’un mouvement d’ensemble, appuyé sur les forces « d’en bas ». Comme, de manière plus générale, dans tout ce qui relève des relations entre les mouvements de masse (quelle que soit leur ampleur) et la fonction partidaire. C’est le « partage des tâches » de nature social-démocrate entre des luttes, limitées ou auto-limitées, et les « débouchés » institutionnels (en particulier électoraux) comme domaine exclusif de la sphère « politique ».
Surtout, ce faisant, ce n’est pas seulement la perspective de partis anticapitalistes qui est abandonnée. C’est tout simplement celle du renversement du capitalisme en tant que système, puisque jamais dans l’histoire une quelconque stratégie réformiste n’y a abouti. C’est vrai, rien ne dit qu’on sache comment s’y prendre désormais. Mais là, ce n’est pas la recherche diversifiée de la solution qui est en cause, mais l’abandon du problème lui-même. On se croit arrivés au Port. Mais c’est juste qu’on a changé de destination.
En France, au moment où ces lignes sont écrites, la manière dont la perspective peut être reprise dépend d’évolutions en cours et de la victoire ou pas du PS. Le choix du FG ou/et de ses composantes de rejoindre alors ou non une alliance avec ce dernier déterminera l’espace où un regroupement, une alliance ou un front pourront s’imaginer. Ceci d’une manière stable pour les quelques années à venir, dans une opposition de gauche à la nouvelle majorité. La possibilité dans ce cadre de regrouper dans une même formation politique les forces écosocialistes devra être explorée. Pour tout ceci, la crise du NPA nous laisse avec des rapports de force bien plus faibles qu’il y a quelques années. Mais qui peuvent demeurer consistants. Le NPA a en mains la réponse à donner, ceci dans un choix lucide et raisonné de ses militant-e-s. Celui en particulier de rejeter un isolationnisme mortel. Je ne développe pas sur ce sujet. Tous ces éléments sont à aborder en tant que tels, dans un cadre relativement autonome par rapport au présent bilan, c’est ce que j’ai précisé dans l’avertissement liminaire.
Pour revenir au bilan d’ensemble, si donc les considérants doivent être maintenus, et si, parallèlement des choix assez différents dans leurs pré-supposés n’ont pas abouti, c’est que manquent des conditions de fond qui auraient permis une autre issue. Il y a en effet une certaine contradiction à se proposer de former un parti qui aurait pour fonction d’élaborer la stratégie qui, en toute logique, devrait le précéder. Un parti c’est un programme dit-on souvent chez les trotskistes. Un poil étroite la définition. Elle ne correspond en rien à la réalité. Sinon on devrait considérer que le POI, LO, le NPA dans sa nouvelle majorité sont un même parti, ce qui n’est manifestement pas le cas.
Les partis sont d’abord des implantations sociales et/ou institutionnelles, des styles d’intervention et de fonctionnement, de lignes de réflexions, une histoire de luttes communes, ceci allié à une visée globale de la société souhaitée. Et…une stratégie. Autrement dit une réponse à la question de pourquoi faire l’effort de se regrouper (et de se maintenir regroupés) quand tout conduit à l’inverse. Réponse qui ne peut qu’être : voilà ce qu’on se propose de faire ensembles ; et, pour des partis révolutionnaires, voilà comment on pense contribuer à changer le monde.
Une stratégie donc. La contradiction est sérieuse, certainement à la source de la plupart des difficultés. En l’absence de réels processus dynamiques, ce sont les « stratégies » en place qui l’emportent en définitive. Elles qui n’ont aucun besoin d’élaboration nouvelle. Soit le repliement sectaire, soit un opportunisme sans rivage. Comme toujours. Une contradiction oui, mais pas insurmontable pourtant. Il y faudrait cependant des conditions bien plus favorables que celles que nous avons connues. Il faudrait que l’élaboration de cette stratégie puisse s’appuyer sur des expériences transformatrices réelles, donc sur une « reconstruction » non pas décrétée mais déjà tant soit peu à l’œuvre. Et en conséquence sur l’engagement de réelles forces sociales nouvelles dans le même processus global de refondation. Aux plans théorique, idéologique, syndical, associatif, comme au plan politique.
On peut considérer par exemple que si la séquence altermondialiste n’avait pas si rapidement montré ses limites le futur du PRC eût pu être différent. De même, en ce qui concerne le NPA les conditions eussent été bien différentes aussi si le mouvement social n’avait pas enregistré échec sur échec en très peu de temps et n’avait sombré dans une rare atonie. Si donc le projet, évidemment incertain, de mener de concert un regroupement de forces et l’élaboration stratégique qui permettrait éventuellement de le stabiliser peut avoir une certaine chance de réussite, il lui faut un soutien social. Que le projet peut favoriser, mais pas créer de toutes pièces. Et s’il n’est pas au rendez vous ? Maintenir la perspective quand même tant les autres choix ne sont même pas des paris : des impasses, avec une certitude à 100%.
Vae Victis
Le support social a manqué et manque encore. Et depuis très longtemps désormais. Le dernier mouvement révolutionnaire en Europe est celui de la révolution des œillets au Portugal. Défait en 1976. Déjà la chute des colonels en Grèce en 74 s’était ostensiblement limitée à des changements démocratiques. Et la fin du cycle fut marquée par le succès, contre toutes les attentes de la gauche révolutionnaire, de la « transition démocratique » dans l’État Espagnol à partir de 1975. Il y a moins d’écart entre Juin 36 et Mai 68 (soit 32 ans) qu’entre l’échec de la révolution portugaise et nos jours (36 ans), et encore la première période comprend la guerre et la résistance, la guerre d’Algérie et la chute de la 4e République. Nous sommes les vaincus de ce long délai. Et, comme dit le dicton, Vae Victis, malheur aux vaincus.
C’est une donnée incontournable. Et elle s’ajoute à d’autres qui l’expliquent en partie. La liste est longue, elle a été faite par beaucoup de personnes et dans nombre de contributions. Mettons en exergue au moins les éléments suivants.
– Les conditions de la chute de l’URSS (qui est bien autre chose que « les effets sans fin du stalinisme ») ;
– la défaite de portée historique des travailleurs, concluant l’épreuve de force engagée dès les années 1980, même si ça n’a pas été partout sous la forme brutale Thatchérienne ;
– le positionnement des pays émergents (la lutte anti-impérialiste des belles années – Vietnam, Cuba, etc. – remplacée par une adhésion enthousiaste au capitalisme – Chine, Brésil, etc. - et même à sa version la plus libérale) ;
– le bouleversement des rapports de force mondiaux ;
– enfin, le déroulement de la crise économique (qui illustre à la perfection nos dénonciations, mais ne nous renforce pas, bien au contraire, et aboutit, pour le moment, à une victoire de la finance).
Et ceci se combine avec (et ouvre sur) d’autres débats aussi profonds. Entre autres : quels sujets révolutionnaires ? Quel centralité pour l’écosocialisme ? Quelle démocratie construire ? Et (bien sûr) quelle stratégie pour un changement révolutionnaire de la société ?
Le NPA s’est révélé un cadre totalement inadapté à ces débats pourtant indispensables. Cette constatation désabusée ne peut sans doute pas ne pas être directement liée aux autres considérations développées dans ce texte. Comment entrer dans ces débats si tout un secteur du parti considère qu’il n’y a rien à débattre, les réponses étant déjà disponibles ? Comment entrer dans ce débat de manière collective quand la diversité des systèmes de valeur (et donc de préoccupation) est maximale ? Certes, ce défaut d’élaboration s’explique. Comme le reste. Il n’en reste pas moins un des points les plus décevants et les plus problématiques du bilan. Le nouveau parti aux « délimitations stratégiques inachevées » n’a réussi à consacrer aucun effort à en explorer les contenus et à progresser un minimum. Au contraire.
Mais au final on y revient quand même. Le NPA (et la LCR avant lui) ont toujours vécu avec d’étroites marges de manœuvre entre deux dangers, d’une part, l’appel incantatoire aux luttes et l’isolement déclamatoire et, d’autre part, la plongée dans des regroupements politiques plus vastes, hégémonisés par d’autres, des regroupements où LCR (et NPA après elle) risquaient, en quelque sorte, de perdre leur âme. Or, les éléments de fond qui viennent d’être décrits poussent tous dans le sens d’une restriction encore terriblement accentuée de ces marges de manœuvre. Une restriction qui conduirait presque à se demander s’il est désormais possible de tenir les deux bouts de la chaîne. Mektoub ? Peut-être pour le coup. La réponse n’est pas fondamentalement entre nos mains. Mais dans celles des contradictions systémiques du capitalisme (elles bien attestées). Puis dans les luttes de masse. Et dans l’engagement nouveau de celles-ci dans un espoir de changement révolutionnaire. Finalement, comme cela a toujours été. Ça au moins, c’est écrit.
Samy