L’espace Phénix avait été ouvert après le calamiteux congrès du NPA de février 2011, pour offrir un espace de réflexion, de débats et d’analyses en lien avec l’expérience du NPA. Il a, au moins dans une certaine mesure, rempli sa fonction. Les membres de l’actuelle Gauche anticapitaliste ne l’ont pas jugé « indigne », puisqu’ils l’ont largement et fort librement utilisé.
61 contributions ont été publiées sur Phénix, ce qui n’est pas si mal. Une dizaine d’entre elles ont été écrites par des tenants de la position A, une dizaine d’autres par des auteurs ne se situant (à ma connaissance) ni dans la position A ni dans la position B. Une quarantaine de contributions ont en revanche été présentées par des auteur.e.s se situant dans la position B au moment de la conférence nationale de juin dernier et/ou qui ont rejoint ultérieurement la Gauche anticapitaliste. Bien entendu, les auteur.e.s s’identifiant à un même « bloc » ont pu afficher des points de vue assez différents les uns des autres, et il était bien qu’il en soit ainsi. Mais je trouve assez mal venue la façon dont certain.e.s dirigeants de la GA crachent aujourd’hui dans la soupe, après avoir fait un si bon usage de cet espace – au point que, traditionnellement, c’était plutôt des « radicaux » de la A qui portaient un regard suspicieux sur Phénix et se retenaient d’y écrire…
Je suis, bien évidemment, seul responsable de ce que j’ai écrit [1]. La gestion de l’espace Phénix a été partagée avec Samy. La frontière entre ce qui était publiable ou pas a souvent été délicate à définir et nous avons généralement tranché les cas litigieux en faveur de leur publication (peut-être parfois à tort). L’entreprise devient plus délicate encore, avec l’aggravation des tensions dans la direction du NPA. Néanmoins, vu son utilité, elle mérite d’être si possible poursuivie.
Une fois que la mise en ligne du texte des trois avait été décidée, peut-être que je n’aurai pas dû expliquer qu’elle avait posé problème. Possible. Si je l’ai néanmoins fait (sous ma seule responsabilité, je le répète), c’est que nous allons entrer dans une période doublement tumultueuse : les législatives et la préparation d’une réunion nationale du NPA. Cela ne va pas être facile d’éviter que Phénix ne devienne que le théâtre-bis des conflits de fractions et, dans une telle dynamique, l’argument du précédent est redoutable. C’est cette logique du précédent que j’ai voulu prévenir.
Par ailleurs, j’ose espérer que la dénonciation d’un « site » indigne concerne le seul espace Phénix et non pas le site (proprement dit) d’ESSF qui l’a hébergé, avec ses quelque 25.000 pages, ses 9.500 auteurs et son millier de rubriques !
Vous trouverez ci-dessous la lettre d’H. Adam, F. Coustal et O. Martin, suivi de ma réponse qui, je l’espère, gardera une touche d’humour, tout en abordant le fond des questions en cause.
Pierre Rousset
La lettre d’H. Adam, F. Coustal, O. Martin
Nous avons pris connaissance de la « note sur le texte H. Adam, F. Coustal, O. Martin ou comment maltraiter l’histoire » rédigée par Pierre Rousset.
Et, notamment, de ses premiers paragraphes qui explicitent ses « réticences » à la mise en ligne de notre propre contribution.
Notre texte est polémique ? Comme d’autres, publiés sur Phénix (dont certains signés… Pierre Rousset) ainsi que tu le signales toi-même…
Il traite de questions en débat dans le NPA ? Ce qui n’est pas totalement incongru au regard de l’intitulé de la rubrique : « Evolution du NPA » !
Un parcours rapide révèlera d’ailleurs aux visiteurs du site et de la rubrique que, selon l’appréciation politique – et, donc, subjective - que chacun et chacune a sur les débats en cours, bien d’autres textes publiés dans cette rubrique relèvent largement autant que le notre du « recyclage des polémiques internes ».
Alors ? Quel est le problème ?
C’est que, apparemment, notre texte ne correspond pas à « l’esprit de Phénix » !
Que répondre à cela ?
Rien, évidemment !
Quand même ! La « crise de fondation du NPA » doit vraiment être profonde pour que notre pauvre texte ne puisse être mis en ligne qu’avec « réticences » et simultanément à une mise en garde solennelle et à une réponse pour le moins… polémique. Quelle urgence inédite à fournir immédiatement le contrepoison !
En matière de méthode de débats - fussent-ils polémiques - la « note sur le texte… » contient d’ailleurs un véritable retour en arrière : « au détour d’un paragraphe, un lièvre sort brusquement de son terrier ». Et quand le lièvre ne sort pas ?
C’est là une très ancienne – et très stérile – démarche qui eut son heure de gloire (douteuse) dans la gauche révolutionnaire autour de 68. Et même à la Ligue, sous la forme également animalière de « la queue du mammouth ». Le débat devient l’art de… débusquer l’hérésie.
Autrement dit : camarade, tu as écrit A. Mais, en réalité, tu voulais dire B. Et si tu voulais dire B, c’est qu’en fait tu penses C. Et, inévitablement, cela te conduira à faire D….
Quand le lièvre ne sort pas ? Il faut le débusquer !
Une dernière remarque sur la genèse de notre texte, plus complexe qu’il n’est dit.
Il a certes été publié dans un bulletin de débat de la Gauche Anticapitaliste. Mais, à l’origine, il n’a pas été écrit dans cet objectif. Et, encore moins, pour polémiquer « contre tous les secteurs qui, au sein de la GA, s’opposaient à cette perspective de rupture rapide ». C’est, pour le coup, une lecture très étroite à travers des lunettes exclusivement fractionnelles !
En réalité, si ce texte s’intitule « Comment ça va mal, saison 2 », c’est parce que – comme cela est indiqué au début - nous avions écrit un premier texte, en avril 2010, intitulé… « Comment ça va mal ». Et, cet hiver, des camarades nous ont suggéré de « faire le point », deux ans après. Ce que nous avons fait, lentement, sans précipitation et sans en indexer les formulations sur les débats conjoncturels en cours dans la GA ou le NPA.
De fait, Pierre Rousset nous a entièrement convaincus.
Nous ne voulons pas polluer « l’esprit de Phénix ». Nous nous rendons compte que nous ne partageons vraiment pas cet esprit-là. Notre texte n’a donc effectivement rien à y faire.
Aussi, nous te demandons de bien vouloir le retirer.
H. Adam, F. Coustal, O. Martin
La réponse sur le fond de Pierre Rousset
Je m’inquiétais d’une conception de partis « larges » où des Pierre-François Grond et Olivier Besancenot, des Christine Poupin et Myriam Martin n’auraient pas pu cohabiter. Patatrac ! C’est aussi Rousset qui devient infréquentable, ne serait-ce que sur Internet. L’unité est un long combat…
Comme votre texte doit disparaître du site, je vais devoir le citer assez abondamment.
J’ai un jugement assez sévère sur votre contribution, c’est vrai, et je vais m’en expliquer plus précisément. Mais ma « note » ne contient aucune des formules lapidaires qui égrènent votre texte : « Arrogance et sectarisme », « lente descente aux enfers », « la catégorie démago des « ouvriers » (d’industrie) » (en parlant du choix de Philippe Poutou comme candidat) [2] « agonie du NPA », « prendre le risque de détruire un capital de sympathie unique […] au nom de la pureté révolutionnaire, dépasse les bornes de l’admissible. », « cette politique sectaire, cette image rabougrie, cet ouvriérisme d’un autre âge (âge que la LCR n’a presque jamais eu, heureusement), ce gauchisme brutal dans les mouvements de masse », « S’emparer des clefs de la maison, tel était bien l’objectif explicite de la majorité », « agitateur en bocal, commentateur de la lutte de classe », « on se retrouve à Trostkoland ! », « le NPA est marginalisé et sa campagne inaudible ».
On peut discuter du bien-fondé du contenu de ces formules, mais elles sont inutilement brutales et blessantes, y compris pour les militant.e.s de la GA qui ont cherché les signatures pour la candidature Poutou et qui on fait la campagne présidentielle du NPA. Elles « blindent » et favorisent les rejets sectaires (de part et d’autre). Vous n’y trouvez cependant rien à y redire. En revanche, ma « note », écrite pourtant dix tons en dessous, suffit à susciter l’opprobre le plus total…
La question du parti indépendant
Le principal reproche que vous me faites est d’user de l’insinuation infondée, réutilisant la vieille méthode polémique de « la queue du mammouth ». Sourire : vous me renvoyez le chien de ma chienne, car j’ai moi-même et dans le débat de Phénix dénoncé cette tradition fractionnelle qui, dans mon souvenir, portait plutôt le nom de « poil de la trompe » du mammouth [3]. Pour les non-initiés : on décèle un soupçon de divergence (le poil), qu’il faut se dépêcher de tirer pour faire apparaître une divergence d’ampleur (la trompe) qui cache un désaccord proprement stratégique (le mammouth).
Est-ce que je me suis pris les pieds dans un piège que je ne cesse pourtant de dénoncer depuis pas mal d’années, en m’attachant comme je l’ai fait à un simple adjectif (« indépendant ») ?
Je rappelle que j’écrivais au conditionnel quand je posais la question d’une rupture avec notre orientation en la matière. Si la question ne se pose pas, j’en serais heureux et je serais tout prêt à faire amende honorable à ce sujet. Mais il me faudra un peu plus qu’une manifestation d’indignation pour être rassuré à ce sujet… Pour des raisons substantielles et pas un simple « soupçon » pervers.
1. Votre texte. J’avais cité le passage suivant : « nous sommes contraints d’interroger le projet initial du NPA lui-même, notamment dans ce qu’il avait de spécifique par rapport à d’autres tentatives. Parmi les particularités de l’expérience – complexe, enthousiasmante et… éphémère – qu’a représentées la fondation du NPA, il y a bien sûr le choix d’une organisation indépendante, la primauté donnée à la reconstruction sur la recomposition et tout ce qui tourne autour de l’idée du « parti des anonymes » (en soulignant l’adjectif « indépendant »).
Je n’avais pas cité cet autre passage : « Et, surtout, se poser la question suivante : quel est le périmètre exact de ce qui peut être construit de manière pérenne ? Peut-on toujours construire des organisations anticapitalistes autonomes ou doit-on plutôt envisager d’être un courant dans un parti plus large, dont les délimitations pourraient aller jusqu’au réformisme de gauche par certains aspects ? »
Et encore, à propos du « bloc social et politique unitaire anti crises autour d’un programme de rupture sur les questions sociales, démocratiques, internationalistes et écologiques face au libéralisme (avec sa variante extrême et autoritaire) et au social-libéralisme. » : « Ce bloc a vocation à poser des problèmes de résistances, de définition de revendications et de positionnements politiques, de mobilisation sociale et de réponse unitaire sur le terrain électoral. Ce bloc représente le « creuset » d’une nouvelle force politique » (je souligne).
« Nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de fixer les formes exactes que peut prendre ce « creuset » (alliance plus ou moins formalisée de forces nationales, ouverture à des « individus », à des groupes locaux, avec des « assemblées de base »...). Mais nous voulons y représenter un courant anticapitaliste conséquent (tant par le nombre que par nos propositions...). »
Laissons donc tomber l’image du lièvre et du terrier, de la trompe ou de la queue du mammouth. Comment, en lisant ces passages, ne pas avoir l’impression que vous remettez en cause (au moins à titre d’hypothèse) la construction d’une organisation révolutionnaire indépendante, d’une organisation anticapitaliste autonome, au profit d’un parti commun incluant une aile « réformiste de gauche (par certains aspects) », d’une « nouvelle force politique » au sein de laquelle vous existeriez sous forme de « courant » ? En quoi serait-ce calomnie honteuse que de demander clarification à ce sujet ? [4]
2. A la direction de la GA. Je ne vais pas reprendre ici les citations du texte de PF présentées dans ma « note ». Elles me semblent soulever exactement les mêmes questions. Et puis, je regarde ce qui est en train de se passer. Curieusement, vous dites dans votre texte qu’il « ne s’agira pas d’une insertion dans le Front de gauche ni d’un blanc-seing au candidat et aux partenaires actuels du Front de gauche. » On a quand même l’impression que des dirigeants de la GA sont en train de « s’insérer » dans le Front de gauche et que le projet de participer en son sein à la construction du « troisième pôle » (par rapport au PCF et au PG), implique d’en devenir une composante (« l’insertion »).
De même, que veut dire ne pas donner de « blanc-seing » aux candidats du Front de gauche et à ses partenaires (« actuels ») si des membres de la GA se présentent aux législatives sous les couleurs du FG ou font campagne pour ses candidat.e.s en distribuant leur matériel, en collant leurs affiches ? Je ne sais pas si cela sera le cas, mais en l’état j’ai du mal à exclure à priori de telles possibilités.
3. Dans l’air du temps. Enfin, il est normal que dans un pays comme la France et dans le moment actuel, la question d’une remise en cause de notre démarche historique de construction d’une organisation indépendante (révolutionnaire, anticapitaliste) ouverte et évolutive se pose : rupture de continuité politique ; inadéquation de l’héritage militant de la période antérieure par rapport aux exigences de la période à venir ; en l’absence d’alternative radicale crédible, effets contradictoires de la crise capitaliste sur les consciences (rage antisystème et peur) ; fragmentation des identités sociales liées à la diversification croissante du salariat, à l’extension de la précarité et à la déchirure du tissu social, à la virulence de la politique du « diviser pour régner » jouant sur toute la palette des oppressions ; etc…
Tout cela conduit à deux paradoxes apparents : la confiance dans la construction d’une organisation indépendante s’affaiblit alors même que la crise capitaliste confirme son actualité et sa nécessité ; le sentiment d’insécurité militante grandi alors même que l’extension du rejet du système confirme l’actualité et la nécessité d’ouvrir à de nouveaux secteurs nos organisations. Le premier paradoxe (apparent) nourrit l’adaptation au « réformisme de gauche » ; le second, le repli sur un territoire militant familier.
Je pense donc que cette question doit être débattue et je reproche au texte de nos trois auteur.e.s de la pointer du clavier, mais sans la traiter.
Les dangers de satellisation
Adaptation et repli peuvent chacun conduire à la satellisation de la gauche radicale par la gauche institutionnelle. La satellisation peut se produire à l’intérieur du Front de gauche, en subissant notamment une forte dépendance sur le champ électoral. La satellisation peut se produire à l’extérieure du Front de gauche, par impotence, les « révolutionnaires » ne pouvant que critiquer les abandons des « directions majoritaires » dans le mouvement syndical ou les partis électoraux.
Un autre reproche que j’adresse au texte des trois, c’est de ne pas aider à penser cette question de la satellisation et des moyens d’y résister. Si l’on veut réfléchir sur les leçons de notre passé, il faut analyser les dérives opportunistes et pas seulement sectaires. Dans la « descente aux enfers », et pour n’évoquer que la période récente, la responsabilité du courant qui a constitué la Gauche unitaire n’est pas relevée, pas plus que celle des alignements sur la campagne Bové, dont les tenants d’alors sont aujourd’hui bien représentés à la direction de la GA.
Je suis absolument d’accord avec l’idée selon laquelle les batailles de front uni se mènent sur le terrain politique et pas seulement social. Mais il s’agit bien de bataille. Le texte des trois occulte à quel point les forces dominantes dans le Front de gauche nous sont stratégiquement hostiles, et à quel point les divergences stratégiques ont des implications présentes (et pas seulement lointaines). Voir par exemple les réponses contradictoires données durant le mouvement sur les retraites, à l’automne 2011.
Plus on accorde de l’importance à la dynamique initiée par le Front de gauche, et plus il serait important d’armer politiquement l’organisation d’une critique de l’orientation du PCF et du « mélenchonisme ». Ce que la direction de la GA ne fait pas et ce que la direction du NPA ne fait que très peu (ce qui ne laisse pas de me surprendre ! La peur de paraître sectaire ?).
Plus on veut s’engager vis-à-vis du Front de gauche, et plus la question du rapport des forces et de la solidité de l’organisation se pose. Il ne suffit pas de dire que « la question du comportement politique d’indépendance vis-à-vis du gouvernement et de la majorité parlementaire socialiste reste primordiale. » Les déclarations de foi n’ont jamais empêché la satellisation ! Hétérogène, divisés, nous ne pouvons qu’être les perdants de l’unité. Retour donc à la question de l’organisation.
Regard sur l’organisation : pourquoi l’historien se rebiffe-t-il ?
Si le texte des trois avait pour seul objectif de traiter de la question de la politique unitaire, je le trouverais déjà trop indigent. Mais il est d’une tout autre ambition. Il tire un bilan global et définitif du NPA ; et se bilan se présente sans appel :
« En réalité, le mal était pire que nous ne pensions et que nous ne l’écrivions ! Nos conclusions appelaient à un redressement rapide afin d’éviter que ce projet novateur qu’était le NPA ne se termine en sinistre tragédie. »
« L’affaiblissement général qui en résulte – et qui se fait évidemment par départ successif des éléments les plus ouverts, les plus liés à la réalité, les plus intéressés aux nouvelles formes de radicalisation etc… - n’est ensuite plus surmontable. »
« Le NPA réellement existant est bien celui que dirige la P2 et ses alliés sectaires issus de la P1. Tel quel, il n’est plus ré-orientable dans un sens d’unité et d’ouverture. »
« Mais ce NPA réellement existant depuis dix mois n’a rien à voir avec notre projet… »
« Nous avons conscience que la rupture fondamentale opérée par la direction actuelle du NPA avec ce projet rend tout retour en arrière caduc. »
Avec en guise de conclusion : « Le résultat réel de toutes ces questions aboutira à des accélérations… ou à des obstacles plus grands à surmonter, dans la voie de la recomposition. Mais il faudra, dans tous les cas de figure, que nous soyons prêts à franchir un pas décisif.
La nécessité de franchir ce pas décisif peut s’imposer pour l’élection présidentielle, ou bien lors des élections législatives. Nous ne pouvons pas nous situer dans la continuité d’un parti sectaire, gauchiste et dogmatique. Une rupture est donc nécessaire pour rebondir. Naturellement, cette rupture n’est pas suffisante : en elle-même, elle n’offre aucune garantie sur la suite. C’est bien pourquoi, comme cela a commencé, le débat doit maintenant se focaliser sur les perspectives, le projet politique et organisationnel… Mais, quoi qu’il en soit, c’est bien d’une rupture avec la direction actuelle du NPA et ce qu’est devenu le NPA (au moins depuis un an) dont nous discutons.
Ce qui reste ouvert, c’est la date et la manière. »
La seule question qui reste ouverte, c’est donc « la date et la manière » de la rupture non seulement avec la direction actuelle du NPA, mais avec le NPA lui-même – « ce qu’il est devenu au moins depuis un an) » et qui ne peut être redressé. Et tant pis si l’on a pas encore commencé à discuter des alternatives (« le débat doit maintenant se focaliser sur les perspectives, le projet politique et organisationnel »).
« Le projet du NPA a échoué. », disent nos auteur.e.s, il faudra « en tirer toutes les leçons. » Mais lesquelles, au-delà d’un projet unitaire, politique et social ? Puis-je me permettre de rebondir à nouveau sur une « petite phrase ». Si vous n’avez pas « pris au sérieux les petits signaux émis pendant le congrès de fondation », indiquant « la divergence sur le projet », c’est que « [t]rop confiants, nous avons fait le pari que la dynamique et l’enthousiasme écarteraient et balaieraient ce danger. »
L’hypothèse politique sur laquelle la direction (collectivement) a fondé ses choix au moment du lancement du NPA était la plus favorable imaginable : que les conditions d’une « dynamique » et d’un « enthousiasme » dureraient le temps qu’il faudrait pour « balayer » les dangers. Or, l’hypothèse la plus favorable est aussi la plus improbable. C’est une erreur clé de direction qui a été commise au moment du lancement du NPA – et je le répète, par la direction prise collectivement, conjointement par les sœurs et les frères ennemis d’aujourd’hui. Une erreur qui n’est pas réductible aux clivages fractionnels actuels. Une erreur si évidente qu’elle pose de très nombreux problèmes fondamentaux. Comment a-t-elle pu être à ce point commise ?
Je ne m’y attarde pas ici. Je renvois à ce sujet à mes précédentes contributions [5]. J’y reviendrai encore dans un prochain texte. Ce que je veux seulement souligner maintenant, c’est que l’on ne saurait rechercher dans notre histoire certaines au moins des explications à la crise de fondation du NPA, sans traiter d’un éventail beaucoup plus large de questions ; c’est bien pourquoi l’historien se rebelle.
De la direction de la B à la direction de la GA
Un dernier mot, si je suis revenu dans ma « note » sur les positions défendues par la B au moment de la CN de juin, ce n’est pas seulement parce que sans cela, l’histoire des débats de l’an passé devient inintelligible. C’est aussi parce que je pense que la direction de la B/GA a changé de perspective en six mois de temps ; et assez radicalement. Je parle ici de la direction en tant que collectif. Il est possible que pour des membres individuels de cette direction, la continuité soit plus marquée.
Pour moi, elle ne défend plus la même orientation de fond. Il y a beaucoup d’éléments communs au discours politique d’hier et d’aujourd’hui. Mais ces éléments sont agencés, ordonnés, dans une perspective différente. Une perspective probablement en voie de systématisation (la dernière contribution de PF sur Phénix apparaît comme un texte de transition, d’où sa superficialité).
Contrairement à nos trois auteur.e.s pour le NPA, je ne dirais pas que l’évolution en cours est achevée, irréversible, sans possible retour en arrière. Mais je la crains dangereuse, et pour plus d’une raison. Je me trompe ? Peut-être. Espérons.
Pierre Rousset
Annexe : Une note sur le texte H. Adam, F. Coustal, O. Martin ou comment maltraiter l’histoire
Pour que le débat ci-dessus soit mieux compréhensible, nous reproduisons ci-dessous l’essentiel de la « note » de Pierre Rousset en date du 24 avril 2011.
[La contribution d’Hélène Adam, François Coustal et Olivier Martin a été initialement destinée à un bulletin intérieur de la Gauche anticapitaliste (alors un courant interne-externe au NPA), avec pour objectif] : convaincre qu’il était temps de rompre avec le NPA, avant même d’avoir discuté pour faire quoi, pour devenir quoi [6]. Le résultat, c’est un texte doublement polémique : contre la direction du NPA et contre tous les secteurs qui, au sein de la GA, s’opposaient à cette perspective de rupture rapide [7]
L’histoire de la LCR et du NPA est résumée avec pour seul objectif de justifier la conclusion : il faut rompre et rompre sans tarder. Cela donne une histoire monoplan (qui ne traite réellement que de la question de l’unité) et si réductrice qu’elle en devient fractionnelle – et invite en réponse d’autres histoires fractionnelles, un cycle polémique qui serait particulièrement stérile [8].
L’historien se rebiffe face à ce sort fait à l’histoire ; un sort qui n’aide ni à la réflexion (l’un des objectifs de l’espace « Phénix ») ni à la discussion politique. En voici deux exemples, le premier dans le temps court, le second dans un temps plus long.
Dans le temps court. En évoquant les débats de la conférence nationale du NPA de juin dernier, les auteur.e.s ne se privent pas d’une critique cinglante de la majorité d’alors (la position A). Ils oublient cependant de rappeler l’orientation avancée par la position B (la GA n’existait pas encore) : elle se défendait vigoureusement ne serait-ce que d’envisager de rejoindre le Front de gauche ou de mettre en doute le bien-fondé d’une candidature du NPA. Il ne s’agissait à l’en croire que de poursuivre un peu plus longtemps une démarche politico-pédagogique de discussion avec le FG et de choisir une candidature à même de porter un projet politique à la fois indépendant et unitaire. Je ne suis pas prêt de l’oublier, m’étant alors assez frontalement opposé à des tenants de la position A qui prétendaient que la direction de la B cachait son jeu et lorgnaient vers Mélenchon. Malheureusement, la calomnie d’hier et bien rapidement devenue vérité.
Si l’on ne rappelle pas cela – et si l’on ne s’explique pas sur cela –, l’histoire des débats de l’an dernier dans le NPA devient inintelligible.
Dans le temps long. On pourrait croire, à lire leur contribution, qu’il y a continuité entre les positions que les auteur.e.s ont défendues dans le passé et dans le présent ; que leur seul tort, en quelque sorte, est de n’avoir pas tiré plus tôt et plus fermement les conclusions des dérives sectaires qu’ils repéraient dans l’évolution de la LCR, puis du NPA. Pourtant, au détour d’un paragraphe, un lièvre sort brusquement de son terrier. C’est le projet de construction d’une organisation révolutionnaire indépendante qui serait en fait en cause. Je cite et je souligne : « nous sommes contraints d’interroger le projet initial du NPA lui-même, notamment dans ce qu’il avait de spécifique par rapport à d’autres tentatives. Parmi les particularités de l’expérience – complexe, enthousiasmante et… éphémère – qu’a représenté la fondation du NPA, il y a bien sûr le choix d’une organisation indépendante, la primauté donnée à la reconstruction sur la recomposition et tout ce qui tourne autour de l’idée du « parti des anonymes ».
Je souligne donc la présence pas anodine du tout de l’adjectif « indépendant ». Les auteur.e.s développent longuement la question du « parti des anonymes », mais restent curieusement discrets cette dimension essentielle du « projet initial » du NPA : une organisation indépendante… Dès que j’ai vu ce type de questionnement apparaître au sein de la GA, j’ai pensé que l’on touchait là à un point proprement fondamental.
Est-ce que je fais une montagne d’une souris ? Je crains que non, au vu d’autres arguments (donner la primauté à la recomposition et non plus à la reconstruction) et d’autres textes, dont celui, tout récent, de Pierre-François Grond, versé à Phénix, et qui contient beaucoup de « petites phrases » à ce sujet : il dénonce par exemple le choix d’une « pédagogie [jugée] plus ou moins nécessaire pour réactualiser le clivage entre réformistes et révolutionnaires. » (comme s’il ne fallait pas le réactualiser). Il en appelle à « repenser globalement notre stratégie, notre programme, mais également notre projet de parti ». Nous ne sommes « pas dans une période de montée révolutionnaire impliquant une démarcation nette avec les réformistes. » (comme si ladite démarcation ne s’incarnait « nettement » qu’en période de révolution). « Dans cette période le brassage, le rassemblement est déterminant ». « Travailler dans une perspective de reconstruction et de refondation implique [donc] de travailler avec des réformistes, des radicaux, des révolutionnaires, des écologistes conséquents... » [9]
Surtout, c’est l’évolution politique en cours, très brutale, de la direction de la GA qui nourrit ma lecture inquiète de ses textes. Certes, nos trois auteur.e.s affirmaient encore en mars : « Il ne s’agira pas d’une insertion dans le Front de gauche ni d’un blanc-seing au candidat et aux partenaires actuels du Front de gauche. La question du comportement politique d’indépendance vis-à-vis du gouvernement et de la majorité parlementaire socialiste reste primordiale. ». Ils avaient néanmoins prévenu : « des tournants brusques peuvent nous contraindre à aller plus vite que prévu. ». Où ?
Sur la question de la construction d’une organisation (« révolutionnaire » ou de « transformation révolutionnaire de la société »), il n’y a pas continuité avec les débats d’hier, mais rupture – et rupture radicale. C’est toute l’entreprise dans laquelle nous avons été conjointement engagés depuis près de 50 ans qui serait aujourd’hui jugée caduque.
Je trouve qu’il est assez paradoxal de décréter la mort de ce projet à l’heure de la crise capitaliste et alors que nous avions réussi à le maintenir en vie durant les décennies précédentes, mais c’est une question sur laquelle je reviendrais dans un autre texte. Je ne sais pas depuis quand lesdits camarades pensent ce qu’ils évoquent aujourd’hui, mais nous ne l’avons jamais discuté auparavant en ces termes. Or, ces termes changent beaucoup de choses.
Il y a bien des façons de se réfugier dans une posture d’attente du miracle de l’événement ; et je n’en goute pour ma part aucune. On peut aussi bien le faire de l’extérieur (la dénonciation impotente des trahisons des directions) que de l’intérieur d’une coalition de forces dominées par le réformisme, fut-il de gauche (en prétendant peser, mais sans être capable ou avoir la volonté de s’en donner les moyens).
Pour la conférence nationale de juin, j’avais décidé de ne pas prendre part au vote, car je considérais que les deux blocs A et B était l’un comme l’autre trop hétérogène et que l’ordre du jour officiel de la CN occultait les véritables questions politiques que nous aurions dû débattre [10] Je ne croyais pas si bien dire !
Une dernière remarque, en passant, qui vaut pour les « radicaux » de la B (devenue GA) comme de la A. Toutes et tous, ou presque, se réclament d’un parti « large » (qui défend la perspective d’un parti « étroit » ?). Pourtant, de part et d’autre, certains relisent l’histoire pour affirmer que le vers était depuis longtemps dans le fruit et que nous ne pouvions pas construire le NPA ensemble. A les en croire, en 2009 déjà, Pierre-François Grond et Olivier Besancenot, Christine Poupin et Myriam Martin ne pouvaient espérer construire un même parti anticapitaliste « large ». Pourtant, si ces quatre-là ne pouvaient participer à la même entreprise militante, on se demande quelle image d’un parti « large » les sectaires des deux bords peuvent avoir !
En réalité, l’invocation des divergences passées sert aujourd’hui à « fataliser » la crise de fondation du NPA [11], quasiment à la « naturaliser ». Une bonne façon d’éviter de se poser la question de ses propres responsabilités politiques dans la crise présente, ou de les réduire à peu de chose (ne pas tirer à temps des conclusions de son analyse) [12].
Pierre Rousset