Nicolas Sarkozy a suscité le courroux de tous les syndicats en décidant d’organiser, le 1er- Mai, à Paris, parallèlement aux défilés syndicaux et à la célébration de Jeanne d’Arc par le Front national, une fête du « vrai travail ». Le 24 avril, la CGT a dénoncé « la provocation » du président sortant, qui « n’a d’autre objectif que de diviser les salariés et de stigmatiser leurs organisations syndicales ». Dans cette même déclaration, la centrale de Bernard Thibault répète que « battre Nicolas Sarkozy en élisant un nouveau président de la Républiqueest nécessaire ». « C’est contribuer à créer un contexte plus favorable aux revendications et au progrès social qui nécessiteront toujours des mobilisations syndicales », ajoute-t-elle.
Comme en 1981, en 1988, en 2002 et en 2007, le 1er-Mai, date à laquelle les syndicats se plient au rituel, de moins en moins en vogue, de la célébration de la Journée internationale des travailleurs, tombe entre les deux tours de l’élection présidentielle. Et il est au centre de plusieurs OPA politiques. Un piège pour des confédérations qui affirment, au nom de l’indépendance syndicale, qu’elles ne soutiennent aucun candidat, même si la CGT invite implicitement à voter pour François Hollande. En appelant ses électeurs à participer massivement aux manifestations syndicales - sans doute en fin de cortège - Jean-Luc Mélenchon s’est fixé l’objectif d’« un1er-Mai stupéfiant d’unité et de puissance », ce qui ne manque pas d’indisposer la CFDT.
En s’inquiétant « d’entendre des responsables politiques s’autodésigner uniques représentants des travailleurs en voulant détourner l’objet du 1er-Mai », la centrale de François Chérèque vise d’abord M. Sarkozy, mais pense aussi à M. Mélenchon. Le 24 avril sur France Info, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a fustigé le « marketing politique » des deux finalistes de la présidentielle, même si le candidat socialiste entend se tenir à l’écart des défilés. « On est dans la récupération politique, a affirmé M. Mailly. Certains disent : il faut aller derrière certaines organisations qui manifestent, les autres faisant leur propre rassemblement. »
En 2002, déjà, après l’élimination, le 21 avril, de Lionel Jospin, et la qualification pour le second tour de Jean-Marie Le Pen, le 1er-Mai avait fait l’objet d’une OPA du politique. L’intersyndicale CGT, CFDT, UNSA et FSU - Force ouvrière restant, comme d’habitude, à l’écart - avait clairement appelé à « faire barrage à l’extrême droite ». Plus de 400 défilés, à l’appel des syndicats, d’une soixantaine d’associations et de la gauche, avaient rassemblé un million et demi de personnes, dont 500 000 à Paris.
En 2007, avant le duel entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, les manifestations avaient été modestes, et l’unité syndicale, mise à mal par les fractures apparues lors de la réforme des retraites de 2003, n’était pas au rendez-vous. M. Thibault, s’il n’avait pas appelé à battre le candidat de l’UMP, l’avait durement épinglé : « En disqualifiant Mai 68, M. Sarkozy s’en prend au syndicalisme qui, avant cette date, n’avait pas droit de cité dans les entreprises. » Bis repetita...
Après avoir affiché une unité d’action aussi inédite qu’exceptionnelle en 2009, juste après le déclenchement de la crise financière - où, pour la première fois, la CGT, la CFDT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, l’UNSA, la FSU et Solidaires avaient célébré le 1er-Mai ensemble -, et en 2010, au moment de la réforme des retraites, l’entente intersyndicale bat de l’aile. Les relations entre les deux pilotes de l’unité, la CGT et la CFDT, se sont sensiblement dégradées. Et le psychodrame qui se joue à la centrale de Montreuil autour de la succession de M. Thibault n’est pas fait pour arrondir les angles...
La suspicion s’est introduite dans les relations entre les deux alliés. Le texte commun sur la compétitivité, que la CFDT ainsi que la CFTC et la CFE-CGC ont signé avec le Medef, la CGPME et l’Union professionnelle artisanale, a accru la méfiance de la CGT. M. Thibault craignait que M. Chérèque ne signe avec le Medef un accord sur les contrats « compétitivité-emploi » avant le premier tour de la présidentielle. Mais, le 13 avril, la négociation a été renvoyée au 16 mai.
De son côté, la CFDT s’inquiétait de l’engagement électoral inédit d’une CGT qui a redit, le 24 avril, que la réélection de M. Sarkozy « ouvrirait, à coup sûr, une nouvelle séquence de reculs sociaux ». Vexé de ne pas avoir été reçu par M. Sarkozy, malgré ses demandes, M. Chérèque a dressé un « bilan globalement négatif » de son quinquennat. Mais, sans masquer ses convergences avec M. Hollande, il n’est pas officiellement sorti de sa neutralité syndicale...
En clair, la CFDT craignait un « 1er-Mai antiSarkozy ». Dans sa déclaration du 16 avril pour un 1er-Mai unitaire, l’intersyndicale CGT-CFDT-UNSA-FSU-Solidaires n’évoque pas directement la bataille présidentielle et appelle encore moins à voter contre M. Sarkozy. Même si les « priorités sociales » avancées au nom du « progrès social » et d’une « Europe solidaire » prennent le contre-pied de la politique menée depuis cinq ans et ne se retrouvent pas dans le programme du candidat de l’UMP.
Alors que selon un sondage Harris Interactive pour Liaisons sociales, 43 % des personnes proches d’un syndicat ont voté le 22 avril pour M. Hollande et seulement 14 % pour M. Sarkozy, le président sortant, après ses attaques répétées contre « les corps intermédiaires », souffle sur les braises en voulant fêter le « vrai travail ». « La tentation de dire le 1er-Mai, à travers les défilés,qu’il faut battre Sarkozy sera très forte, confie un dirigeant de la CFDT, y compris dans nosrangs. » Le 1er-Mai syndical de 2012 s’annonce, comme il y a dix ans, très politique.
Michel Noblecourt, éditorialiste