« C’est à ses risques et périls que, en Europe, la révolution négligera les travailleurs de couleur ». C C.L.R. James
Il y a malheureusement une longue tradition des principaux courants de la gauche française de considérer comme une question secondaire le problème colonial. Dans les années 50 du siècle dernier, le PCF avait traduit cela par une formule restée célèbre dans les milieux concernés. Il ne faut pas, disait-il, « sacrifier le tout à la partie ». « Le tout », c’était l’union avec la vieille SFIO ; « la partie » n’était autre que le droit à l’autodétermination du peuple algérien.
On a peu réfléchi sur les conséquences de cette orientation sur l’évolution ultérieure du nationalisme algérien, en proie lui-même à d’intenses luttes de courants.
Dans l’alliance du PCF et de quelques autres avec Jean-Luc Mélenchon, on peut se demander si la même maxime néfaste n’a pas été appliquée ! « La partie », ici, ne serait que la solidarité avec les Anticolonialistes de ce qu’on appelle, en langage officiel, les DOM-TOM. Il est vrai que ce vocable ne concerne que quelques petits millions d’indigènes, aux quatre coins de la planète, qui ne posent pas de bombes (sauf pendant un bref intermède) et ne monopolisent l’attention des médias que lors des éruptions volcaniques …ou sociales.
De ce côté-ci de l’océan, on ne peut qu’être frappé de la rareté des interrogations portant sur le programme colonial du Front de gauche ! « La partie » n’a vraiment pas semblé un cas de conscience pour le PCF, qui a classé sans bruit par pertes et profit la position abstentionniste du PC guadeloupéen, tout comme l’obligation du PC martiniquais d’ajouter au programme de Mélenchon, mais à ses risques et périls, des phrases rappelant vaguement qu’il est lui-même un parti anticolonialiste, pour s’embarquer dans le vote salvateur pour le FDG !
Il fut un temps, pas très lointain, où le PCF soutenait ouvertement la position autonomiste des PCM et PCG. Est-ce toujours le cas ? Faudrait-il alors se laisser aller à la nostalgie sur cette modeste audace d’hier ?
On a entendu ici ou là, en France, de vifs regrets sur le « jacobinisme » mélenchonien. Mais une petite question a été esquivée et il nous revient de la poser : Comment s’appelle, cher-e-s camarades de la gauche française le jacobinisme lorsqu’il prétend s’appliquer de façon indifférenciée à des territoires encore colonisés ?
« Je suis (…) républicain et français par passion » dixit J-L.Mélenchon. Nous ne nous permettrons pas de commenter. Mais, lorsque le même défend avec la même passion le caractère « un et indivisible » de sa France, lorsqu’il reproche vigoureusement à François Hollande d’imaginer un peu plus de pouvoir pour le Conseil régional de Corse, lorsqu’il peste contre la Charte des langues régionales, lorsqu’il prend des accents dignes de Jules Ferry sur ce que « la France a apporté à ces peuples », lorsqu’il nous bassine avec « l’atout que représente pour la France cette présence aux quatre coins de l’univers », nous sommes bien obligés de demander : mais où est la différence avec Sarkozy…ou pire encore ?
Faire l’impasse sur cette question reviendrait à affirmer que la gauche française serait congénitalement incapable de secouer l’héritage colonial de la social-démocratie d’antan. C’est déjà dur de l’imaginer de Hollande, mais à sa gauche ? Nous refusons une telle facilité. Elle serait mortelle pour toute idée d’alliance de l’anticapitalisme et de l’anticolonialisme.
Le célèbre intellectuel trinidadien C.L.R. James, auteur de l’inoubliable ouvrage sur la révolution haïtienne, Les Jacobins noirs, concluait un article sur le soulèvement des esclaves d’Haïti par ces phrases : « …le rôle joué par les Noirs dans le succès de la Grande Révolution n’a jamais été suffisamment connu. C’est à ses risques et périls que, en Europe, la Révolution négligera les travailleurs de couleur ».
Michel Onfray étale dans un ouvrage sur Camus son opposition aux Jacobins et sa préférence pour les Girondins. Nous, Antillais, nous nous souvenons que les premiers ont maintenu l’esclavage que la Convention a aboli, sous les coups de boutoir des esclaves en révolte. Les amis du Jacobin Mélenchon seraient bien inspirés de lui rappeler le conseil prémonitoire du merveilleux Trinidadien
Philippe Pierre-Charles