La question des relations au FG comporte des aspects théoriques et d’autres d’opportunité (en particulier de rapports de force). Il faut traiter des deux, mais (je pense que tout le monde en sera d’accord) il est difficile de ne pas commencer par les premiers.
Théorie 1
Des camarades avancent que tout front permanent avec le PC, le PG (en fait Mélenchon, puisque ce parti se résume beaucoup à sa personne pour le moment) tout front donc est impossible du fait de la nature de ces partis. C’est évidemment problématique.
Dans les approches de Front Unique (FU) c’est vrai que les fronts sont plutôt conjoncturels. Unité d’action, bien entendu, qui ne fait pas problème (encore que, même ça ne va plus de soi au NPA quand on en discute précisément, voir les débats sans fin quand il faut signer tel ou tel communiqué avec Attac ou sur la Syrie…). En tout cas pas de problème théorique proprement dit. Frapper ensemble, marcher séparément. Il y a cependant, comme je le l’ai souligné à plusieurs reprises un débat nouveau qui s’est installé (et puissamment) sur le fait que cette unité était seulement « dans les luttes » et ne pouvait jamais s’étendre aux aspects politiques, par exemple électoraux. Qu’est ce qu’on fait des cas, nombreux, « intermédiaires » ? Par exemple la lutte contre le TCE de 2005 ?
Cette position a été officiellement celle de la nouvelle majorité du NPA. Surprise passée, on peut effectivement en saisir les racines, qui sont les mêmes que celles des débats de l’Internationale communiste, quand s’élaborait la « tactique de FU », quelque part entre les congrès 3, 4 et même 5 en fait. C’est, explicitement, contre ce type de positions que Lénine écrit Le gauchisme, maladie infantile du communisme. Où, en particulier, il détaille longuement les raisons en faveur de (et le type) d’accords électoraux possibles avec les réformistes.
Dans le débat qui nous anime, et toujours seulement à mes yeux, ce genre de positions sort des limites de l’épure. Non seulement elles ne sont pas miennes, mais je ne me vois même en discuter. Perte de temps et d’énergie face à ce qui n’est plus alors qu’un gauchisme sénile. Et il faut y ajouter que si ces positions sont confirmées majoritaires (et elles l’ont été sans résistance notable), ce ne plus même être un parti commun avec mes propres positions.
A ma grande surprise aussi (mais finalement la constitution du NPA ça a été ça aussi, de grands malentendus et la boîte à surprises ; je conçois aisément que mes propres positions sur le fond aient été une – mauvaise – surprise pour d’autres secteurs) cette position gauchiste et sectaire s’est combinée sans grande difficulté avec une autre, basiste et anarchisante. Celle qui a été au centre de la campagne de Philippe Poutou, « le candidat ouvrier ». Où de combat politique, il n’y avait plus ou presque (et donc encore moins de place pour un débat sur le FU). Les déclarations, bienvenues, sur la nécessité d’un bloc anticrises et d’une opposition de gauche à Hollande ont dans ces conditions été bien peu audibles. On pourrait gloser sur le fait que le refus de présenter Olivier s’est fait au nom de celui de « la personnalisation » quand la campagne de Philippe s’est faite au seul titre de sa personne ! Sacré retournement dialectique, mais ce n’est pas l’objet principal de ce texte. Cet aspect là, je m’en suis expliqué ailleurs. Mais pas assez un autre, le refus obstiné du combat politique comme séparé du combat global, le combat des partis ne pouvant en aucun cas être ramené au combat social en général.
Cet aspect là, issu de Lénine, ne peut pas être abandonné au risque d’abandonner aussi la politique tout simplement (et même si nous savons bien que Que Faire ? comporte des exagérations et des déviations avant-gardistes très dangereuses). Plus inquiétante encore si possible fut la conception de la société socialiste qui a affleuré à maintes reprises, de la démocratie comme « directe », le « se représenter soi-même », etc. Un conseillisme paresseux qui annule des décennies de réflexion sur la nature de la démocratie socialiste. Et sur le pluripartisme (qu’on m’explique comment il peut subsister dans une société socialiste des partis différents s’ils ne se confrontent pas concurremment au suffrage universel et donc au titre de « la représentation »).
On comprend comment ce basisme anarchisant peut se combiner avec la raideur sectaire : dans le rejet « des partis institutionnels » et donc de tout accord avec eux. Comme les points de départ sont très différents, il n’y a aucune chance qu’une telle alliance survive longtemps. Cela dit, toujours à mes yeux, non seulement on sort alors dans ce deuxième cas des limites de l’épure, mais on est sur une autre planète que la mienne.
Car si on se souvient de la bataille désespérée menée par Trotski contre la politique dite « de la troisième période » de l’Internationale communiste stalinisée qui refusait tout front commun (en particulier électoral dans l’élection de 1933) contre la montée de Hitler, on conçoit qu’on touche là à des questions vraiment vitales. Ces orientations là, c’est pas pour moi, alors que la menace du FN devient tout sauf abstraite.
Théorie 2
Cette première partie de la discussion élève donc un mur infranchissable sur le plan théorique. Mais une autre partie reste ouverte. Avec celles et ceux qui ne sacrifient ni à ce basisme ni à ce gauchisme, qui restent donc dans le même cadre théorique que le mien tout en mettant au débat des situations plus particulières. Celles qui conduiraient à un front non conjoncturel, mais plus durable, entre forces révolutionnaires et réformistes. Là c’est vrai que la chose est beaucoup plus délicate, puisque le « marcher séparément » peut en être durablement affecté. La discussion (théorique toujours) porte alors sur le degré d’autonomie (en particulier la capacité d’initiative) des révolutionnaires, de la possibilité qui doit être maintenue d’une rupture dans le futur et autres considérations du même type.
Une partie de la polémique de Trotski contre le Poum en Catalogne porte sur des problèmes de ce genre. Au delà du ton (inacceptable) qu’il emploie, au delà même de la question du soutien au gouvernement mis en place à l’époque, la question phare est l’acceptation par le Poum du désarmement des milices et de leur intégration à l’armée républicaine officielle. Dans les conditions où elle fut acceptée, c’est bien la perte concrète de l’autonomie qui fut en cause. C’était et c’est toujours des questions de la plus haute importance.
En principe d’ailleurs ce type de front « durable » entre réformistes et anticapitalistes est justement destiné…à rompre, au moment où les exigences des confrontations valorisent des positionnements stratégiques différents. Et uniquement à ce moment, ce qui nécessite une grande souplesse dans les analyses et les décisions. Et il faut tenir compte en plus des transitions, des évolutions inévitables en fonction de la conjoncture. La frontière « réformiste/révolutionnaire » n’est pas figée, c’est même un des enjeux de ces fronts que de la déplacer dans le bon sens. Et ceci concerne les individus comme les organisations. De plus, il faudrait tenir compte de l’obscurcissement de ces définitions dans l’époque ouverte après 1989 (tous les mots-référence sont piégés), ce que je ne fais pas ici. En tout cas c’est tout ceci qui justifie le maintien de l’indépendance, même dans le cas d’un tel front « durable ».
On comprend bien que l’indépendance est bien plus facilement confirmée……s’il n’y a pas de front. Ceci résout alors ce problème là, mais évidemment, ça se paye du fait qu’on se refuse alors, par principe, à explorer les possibilités propulsives éventuelles de l’unité dans un tel front.
Est-ce bien le cas pour ces camarades ? Allons plus loin. Une série d’arguments entendus dans ce débat ne sont pas à ce niveau de généralité, mais tiennent (toujours au plan théorique) à la discussion sur la nature du PCF (en particulier) et secondairement (pour d’autres camarades, c’est en premier…) de Mélenchon. Même s’il y a un accord pour les qualifier globalement de réformistes (pour Mélenchon, c’est la lutte pour une sortie du capitalisme par la voie électorale ; pour le PC, en principe « révolutionnaire », et « communiste » comme son nom l’indique, « le passage pacifique au socialisme »), leur nature concrète rendrait à tout jamais impossible un accord durable avec eux.
Pour le PC (qui est quand même la question centrale) le débat est effectivement délicat. On ne peut pas juste discuter tranquillement de ce qu’il annonce comme « stratégie », étant donné qu’une bonne partie de celle-ci et de ses adaptations tient à la navigation pour maintenir son appareil (pris au sens large : élus et affidés, dirigeants syndicaux, permanents du parti). Si l’histoire stalinienne jette encore ses feux au niveau des mentalités, du type de relations avec le mouvement social ou avec les autres partis, ou encore au niveau du fonctionnement interne, cet aspect « bureaucratique » là tend à devenir central. Évidemment on sait bien (mais tellement de camarades l’oublient !) que ça ne résume en aucun cas le sous bassement militant réel (qui demeure sans comparaison avec celui de l’extrême gauche), ni même l’activité concrète de l’appareil en question qui peut aussi être tissé de dévouement et d’engagement. Et que donc il faut s’y adresser avec une préoccupation particulière. Mais effectivement on ne peut pas traiter le PCF comme si c’était une fraction d’un parti commun qui serait juste un peu plus à droite.
Mais (retour à la théorie) cela signifie t-il qu’il faut en déduire que jamais un front durable ne peut s’envisager (sous conditions, toujours) avec lui ? C’est ce que disent des camarades. Alors quelques questions.
– Supposons que le rapport de force permette un tel front, mais dominé par les révolutionnaires. C’est toujours non ? Parce que si c’est oui, on voit bien qu’on sort du domaine de la théorie pour en arriver aux questions concrètes d’opportunité. Pas du tout la même chose, même si c’est au final une question décisive.
– « L’accord durable » n’est-ce pas ce que le congrès de fondation du NPA avait avancé (et on peut en discuter d’ailleurs, je l’ai fait moi-même) ? C’était quoi ? Une tactique en carton, un faux nez ? Ou encore on s’est trompés et on n’aurait pas dû (se ralliant en disant ça de fait aux positions décrites au point 1) ?
– Plus que tout le reste. Si ce n’est jamais possible avec le PC (et, bonne mesure, avec Mélenchon), ceci par nature de ce parti, alors n’est-il pas évident que nous sommes seuls pour l’éternité ? J’ai bien compris qu’on serait « bien accompagnés » par « les anonymes ». Mais bon, arrêtons de plaisanter, seuls ça veut dire seuls. C’est le point, théorique toujours, où les choses se nouent. Si c’est vrai, il faut abandonner toute idée de recomposition comme absurde et aussi de « reconstruction » qui alors, politiquement, reposerait en totalité sur nos épaules. Ce serait un vrai abandon de l’espace de réflexion depuis au moins le Manifeste « à la gauche du possible » de la LCR.
Il faut des réponses à ces questions de fond avant d’aller plus loin. En effet les arguments d’opportunité (de rapport de force en particulier) prennent une toute autre couleur selon comment on y répond. Vraies préoccupations que les rapports de force ou alors seulement des arguments prétextes, extensibles à l’infini ? En gros, la réponse est non ; rappelez moi la question ?
Samy Johsua