La Corée du Sud, qui rencontre de fréquentes pénuries d’électricité, a lancé vendredi 4 mai la construction de deux réacteurs nucléaires, une décision dénoncée par Greenpeace à la veille de l’arrêt du dernier réacteur japonais encore en activité.
Quatrième économie asiatique, la Corée du Sud possède 21 réacteurs nucléaires, qui couvrent environ 35 % de ses besoins en électricité. Elle prévoit de construire 11 réacteurs supplémentaires, dont les deux d’Uljin, d’ici 2020.
Les deux réacteurs dénoncés par Greenpeace, d’une capacité de 1 400 mégawatts chacun, seront installés sur l’actuel site nucléaire d’Uljin, sur la côte est, pour une mise en service fixée à avril 2017 pour l’un et février 2018 pour l’autre, a annoncé le ministère de l’économie.
« À REBOURS » DU DÉSASTRE DE FUKUSHIMA
Ce chantier de 7 000 milliards de wons (4,7 milliards d’euros) bénéficie des normes de sécurité les plus sévères, a assuré le gouvernement plus d’un an après le séisme du 11 mars et l’accident nucléaire de Fukushima. « La sécurité a été drastiquement renforcée, toutes les recommandations faites en ce sens après le désastre de Fukushima ayant été intégrées dans la conception » des réacteurs, a affirmé le ministère dans un communiqué.
Le ministère a bien pris soin de préciser que ces réacteurs sont de facture entièrement sud-coréenne, près de deux semaines après l’ouverture d’une enquête au sein de deux centrales électriques soupçonnées d’avoir utilisé des composants fabriqués illégalement selon une technologie française. Les réacteurs nucléaires sont notamment dotés d’un système d’arrêt automatique en cas de séisme, des générateurs électriques mobiles et des circuits d’évacuation de gaz capables de fonctionner même en cas d’interruption de l’alimentation électrique.
Greenpeace a fustigé la décision de Séoul alors que le Japon va arrêter samedi, pour maintenance, le seul des 50 réacteurs de l’archipel encore en marche. « Il est incroyable qu’à la veille de l’arrêt de tous les réacteurs japonais, le président Lee [Myung-bak] aille à rebours en en construisant deux nouveaux en Corée [du Sud] », a réagi un porte-parole de l’ONG, Lee Hee-song, dans un communiqué.
« Il est manifeste que la Corée [du Sud] a peu appris du désastre de Fukushima dont les conséquences continuent d’affecter des centaines de milliers de personnes » au Japon, a-t-il ajouté.
AFP, 04.05.2012
Silence nucléaire en Corée du Sud
Le nucléaire sud-coréen continue de se développer. Et pourtant, tout ne marche pas forcément bien. Il y a d’inquiétants couacs. Le 12 janvier, un réacteur de la centrale de Wolseong (est) a été stoppé en urgence, le troisième en un mois. Le 13, la société coréenne chargée des déchets nucléaires annonçait un nouveau report dans les travaux du site d’enfousissement de 100 000 barils des résidus radioactifs. Ils devraient se terminer en juin 2014 et non plus fin 2012, le tout pour un surcoût entre 30 et 100 milliards de wons (20 et 68 millions d’euros).
Malgré cela, le gouvernement sud-coréen veut pousuivre son projet de 2008, selon lequel le nucléaire représentera 59% de la production d’électricité nationale en 2030, contre 34,1% en 2010. Le 23 décembre 2011, KHNP, la société en charge du nucléaire, a annoncé la sélection de deux sites, Yamdeok et Samcheok (est), qui accueilleront chacun une nouvelle centrale.
La sélection de KHNP a été saluée par les médias dominants, majoritairement acquis au nucléaire car proches du pouvoir. Dans une analyse titrée « Développer le nucléaire est la seule option », le quotidien Joongang estimait le 26 décembre que « la population n’a que deux choix : accepter les nouveaux réacteurs ou subir une augmentation de la facture et du risque de perturbation de la distribution d’électricité ».
La politique en œuvre n’a que très peu été perturbée par l’accident de Fukushima. Evoquant l’arrêt en avril 2011 du réacteur numéro 1 de la centrale de Kori (est), construit en 1978, Ji Young-sun, de la fédération des mouvements environnementaux (KFEM [1]), estime qu’il « a été décidé uniquement à cause de Fukushima et d’une inquiétude de la population. Sinon, il ne l’aurait pas été ». Il a redémarré depuis et, pour Mme Ji, « les réacteurs connaissent des problèmes mais le gouvernement fait tout pour les minimiser ». De même, les quelques inquiétudes sur les retombées radioactives de Fukushima ont vite été oubliées.
Pour Yun Sun-jin, spécialiste de l’énergie et de l’environnement à l’université de Séoul, il y a une absence de remise en question qui s’explique car « l’instance de régulation du nucléaire dépend du gouvernement et la population est clairement désinformée, comme au Japon ». « Ici, ajoute-t-elle, les gens restent persuadés que le nucléaire est bon pour l’environnement et surtout pour la croissance. Plus de la moitié de la population y est favorable ».
Dans ce contexte et après avoir insisté sur la faiblesse du risque sismique en Corée du Sud et mené quelques inspections à la suite de Fukushima, le ministère des Sciences a fait savoir que les 21 réacteurs du pays étaient sûrs. Il a néanmoins débloqué 1000 milliards de wons (683 millions d’euros) sur cinq ans... pour améliorer leur sécurité.
Philippe Mesmer
* http://mesmer.blog.lemonde.fr/, 28 janvier 2012