« Les irradiés de Béryl. L’essai nucléaire français non contrôlé », livre du chimiste Louis Bulidon [1] est sorti il y a moins d’un an. Il y raconte le « cataclysme » déclenché par le deuxième essai nucléaire souterrain français, au Sahara, le 1er mai 1962, qui fit peut-être plus de 5000 irradiés.
En septembre, nous avions publié la critique du livre dans les pages de Sciences et Avenir (n°775, accessible sur tablettes), pronostiquant « on doute que le cinquantenaire de Béryl, l’année prochaine, soit commémoré à la hauteur des doses jadis enregistrées, toujours gardées secrètes ». Tel a été le cas.
Juste avant de poster cette note de blog, nous avons constaté que les mots clés « nucléaire » et « 1962 » n’ont fait remonter sur Google que trois articles publiés en Algérie (El Watan, El Moudjahid, Maghreb Emergent) et un quatrième à Tahiti (Les nouvelles de Tahiti). C’est peu de dire que les vétérans de ces événements [2], qu’ils soient français, algériens ou polynésiens, ont l’impression de parler dans le désert, notamment pour se faire indemniser en cas de maladie radio-induite... Une semaine en retard sur cette date oubliée, nous re-publions ici l’article paru dans Sciences et Avenir.
"Ce 1er mai-là ne fut pas une fête. Par cette chaude journée de 1962 où de fortes rafales de vent balaient le Hoggar, l’essai nucléaire Béryl vire à la catastrophe. Mené par la France en Algérie [3], deuxième d’une série de 13 essais souterrains portant de jolis noms de gemmes (Agate [sic], Saphir, Améthyste…), la bombe atomique ébranle si bien la montagne Tan Affela qu’en sort « un nuage très noir […] qui grossit à vue d’œil ». Le nuage radioactif « atteint une hauteur égale à celle de la montagne » [4]. Il va irradier ceux venus assister à l’explosion, outre les deux ministres Pierre Messmer (Armées) et Gaston Palewski (Recherche scientifique), qui s’enfuient alors plein sud, vers la base-vie d’In-Amguel, à 45 kilomètres de là. Ce « cataclysme », selon le terme choisi par l’auteur, est « le plus grave accident au cours des 36 années » d’essais nucléaires français. Peut-être jusqu’à 5000 personnes, dont des villageois et nomades du désert, sont alors affectées par des « doses radioactives très handicapantes, voire mortelles ».
C’est pour « donner enfin la parole aux militaires du STA Y [5] présents sur le terrain et disposant des équipements […] capables de mesurer l’ampleur des fuites radioactives » que l’ingénieur chimiste Louis Bulidon publie ces lignes. Un demi-siècle après, l’appelé du contingent alors préposé aux mesures de radioactivité dénonce « le silence de l’Etat et de l’armée ». Veut témoigner, car « nous ne sommes que quelques dizaines aujourd’hui » à pouvoir le faire. De ces pages, on ressort effaré. Effaré d’apprendre que dans le périmètre fortement contaminé de la montagne, comme le dénonce le physicien nucléaire Raymond Sené, des équipes ont travaillé « jusqu’au dernier tir du 1er décembre 1965 ». Effaré d’apprendre que récemment, sur le site, des membres de l’Association des vétérans des essais nucléaires [6] ont relevé « avec de simples détecteurs “grand public” un niveau important de radioactivité à certains endroits ».
Dominique Leglu
07.05.2012
* http://sciencepourvousetmoi.blogs.sciencesetavenir.fr/.
VETERAN GERBOISE BLEUE
Si le terme de « victimes d’essais nucléaires »* n’a pas de réalité concrète pour vous, le film « Gerboise bleue », de Djamel Ouahab, qui passe actuellement dans une poignée de cinémas en France (dont l’Espace Saint-Michel à Paris, l’Odéon à Cherbourg…), vous en donnera une vision concrète et poignante, à travers au moins deux témoignages de vétérans, ceux de Gaston Morizot et de Lucien Parfait. [Gerboise bleue, ce fut le nom de code du premier essai atomique français, qui eut lieu le 13 février 1960 dans le Sahara, à Reggane, en Algérie].
Gaston Morizot n’avait jamais voulu parler avant ce film, et l’on y découvre, une fois encore, comment la victime d’un événement terrible –il souffre aujourd’hui de multiples maladies- se retrouve affligé d’une honte pesante… qui l’empêche de témoigner pendant des décennies ! Il raconte, et c’est proprement hallucinant, comment le piou-piou qu’il était alors, a été peu ou prou « abandonné » lors de l’explosion avec comme seule consigne de tourner le dos, de fermer les yeux et de se mettre la tête dans les bras… Quant à Lucien Parfait, le gros trou qu’il cache derrière un sparadrap (il a fallu lui ôter un oeil) et sa pudeur, aussi, nous arrachent le cœur.
Dominique Leglu
* L’actualité, c’est le projet d’indemnisation d’environ 150 000 civils et militaires, à hauteur de 10 millions d’euros, annoncé par le ministre de la Défense Hervé Morin.
24.03.2009
* http://sciencepourvousetmoi.blogs.sciencesetavenir.fr/archive/2009/03/24/veteran-gerboise-bleue.html