Sur les questions religieuses, François Hollande a choisi son camp. Durant la campagne électorale, tout au moins. Dès son discours du Bourget, le 22 janvier, le futur président de la République a donné le ton, rassurant le camp laïque, en annonçant son intention d’inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat dans la Constitution, pour renforcer « une laïcité qui libère et protège ».
Dans les semaines qui ont suivi, M. Hollande a multiplié les gages aux tenants d’une laïcité stricte. Sa promesse de réécrire la loi Carle sur le financement des écoles privées par les communes, sa reprise de thèmes tels que « le halal dans les cantines et leshoraires de piscine pour les femmes », lors du débat entre les deux tours, ont suscité chez les responsables des cultes et les partisans d’une laïcité plus ouverte un scepticisme teinté d’inquiétude.
On connaît le parcours religieux personnel du nouveau président, qui fut élevé dans la religion catholique avant de cheminer vers l’athéisme ; on connaît ses déclarations de principe. « Présider la République, c’est être viscéralement attaché à la laïcité », a-t-il rappelé en janvier. M. Hollande a précisé son échelle de valeurs : « La démocratie sera plus forte que les marchés, plus forte que l’argent, plus forte que les croyances, plus forte que les religions ! » « Les religions doivent rester à leur place, indiquait-il aussi dans La Vie en décembre 2011. Le respect de la liberté de conscience contribue au vivre-ensemble. En revanche, quand les expressions religieuses tentent d’investir l’espace public, le risque existe du différentialisme. »
Plus clairement encore, le 29 avril à Bercy, M. Hollande demandait aux religions - qu’il « ne juge pas » - « le respect de l’espace public et de la dignité humaine, de l’égalité entre les femmes et les hommes ». « Je laisse les religions tranquilles, a-t-il affirmé, car je ne voudrais pas qu’elles interfèrent dans le débat public. »
Au-delà de ses déclarations, on sait moins le type de relations que le président de la République entend mener avec les cultes. On le dit, jusque dans son entourage, relativement indifférent à ces questions. Un désintérêt doublé d’une certaine méconnaissance de ces sujets. Pierre Moscovici, alors directeur de campagne, nous assurait, en février, que M. Hollande se montrera « pragmatique, peu désireux d’ouvrir des contentieux, très laïque mais capable d’évaluer des situations complexes ».
Autour du président gravitent des personnalités aux lignes diverses. D’un côté, Manuel Valls, le nouveau ministre de l’intérieur chargé des cultes, défend une « laïcité exigeante », qui, sans être « fermée au spirituel et au sacré », renvoie plutôt les religions et leurs manifestations à la sphère privée. De l’autre, son ami Jean-Pierre Mignard, avocat catholique engagé et convaincu que les religions contribuent à la préservation du lien social, plaide pour une « laïcité moderne », plus axée sur l’égalité homme-femme que sur la séparation des Eglises et de l’Etat, fait historique « acquis ». Il faut compter aussi avec la « ligne Glavany », incontournable « M. Laïcité » du Parti socialiste, l’un des initiateurs de la proposition de sanctuariser la loi de 1905 dans la Constitution, ou celle de francs-maçons, partisans d’une remise en cause du concordat en vigueur en Alsace et en Moselle.
Difficile donc de savoir où penchera le futur gouvernement, face au libre exercice des cultes, aux réalités nouvelles induites par l’islam et à sa visibilité, au dialogue institutionnalisé avec les religieux ou dans ces rapports historiquement chahutés avec l’enseignement catholique. Un regard sur le passé montre que la gauche au pouvoir s’est montrée pragmatique et assez peu « laïcarde ». En 1993, Jack Lang signe les accords Lang-Cloupet, qui poursuivent l’alignement de l’enseignement privé sur le public. En 2002, Lionel Jospin instaure l’instance de dialogue entre l’Eglise catholique et le gouvernement...
En ce qui concerne M. Hollande, une chose au moins est sûre. Sur la forme, il fera en sorte de se démarquer du président sortant qui, tout au long de son quinquennat, a exalté la « laïcité positive » ou « les racines chrétiennes » de la France, tout en emboîtant le pas au Front national pour dénoncer des comportements liés à la pratique de l’islam.
La laïcité « à géométrie variable », « l’instrumentalisation » des religions, dénoncées par M. Hollande lui-même, pourraient laisser la place à ce que certains appellent déjà une « laïcité normale », logeant toutes les religions à la même enseigne. Quitte à y déceler les contours d’une « laïcité à l’ancienne », ignorante de l’évolution des religions dans leurs rapports à la République et du poids qu’elles ont désormais dans la constitution des identités. « Il lui faudra comprendre que sur l’islam l’enjeu dépasse le religieux », insiste, par exemple, un franc-maçon socialiste peu suspect de visée communautariste.
Mais, aux yeux du camp laïque, le dossier-test sur ces questions sera sans nul doute la concrétisation, ou non, de l’inscription de la loi de 1905 dans la Constitution. Le gouvernement passera-t-il outre les réticences et les difficultés juridiques déjà soulevées par cette proposition ? Ou son retour sur le terrain de la laïcité prendra-t-il d’autres formes ? Entre apaisement et mesure symbolique, l’attente est forte, tant ce thème, traditionnellement cher à la gauche, a, ces dernières années, été capté par l’extrême droite.
Stéphanie Le Bars, service Société du Monde