Les morts qu’on honore, ceux qu’on salit
Aux cris de « Police partout, justice nulle part » et « Pas de justice, pas de paix », 200 personnes (dont une trentaine de membres du NPA) ont manifesté contre les violences policières à Paris, samedi 24 mars, à l’appel du collectif Vies volées.
D’Opéra à Châtelet, des représentantEs des comités construits autour des familles de victimes ont régulièrement rappelé les faits, précis, des crimes policiers et de l’impunité générale. Comme le disait le représentant du comité Abou Bakari Tandia, « il n’y a pas de différence à faire entre les morts, entre ceux qu’on honore et ceux qu’on salit. Alors à quand aussi une minute de silence dans toutes les écoles pour les victimes de crimes policiers ? » Un des représentants du comité Ali Ziri ajoutait : « C’est tout un système qui veut nous invisibiliser, nous humilier jusque dans la mort, les Noirs, les Arabes, les Musulmans, les pauvres, nous habitants et habitantes des quartiers populaires. Mais on ne veut plus être invisibles, vous allez nous voir ».
Outre les comités de la région parisienne (Ali Ziri à Argenteuil, Abou Bakari Tandia à Courbevoie, Mahamadou Maréga à Colombes, Lamine Dieng à Paris), étaient aussi présentEs une membre du comité pour Hakim Ajimi à Grasse, un des amis de Wissam El Yamni venu de Clermont et le frère de El Mahjoub Gmili de Bourg-en-Bresse.
En de longues litanies scandées par « Tué par la police » et « Vérité et justice » les noms d’une centaine de victimes de la police ont été régulièrement rappelés : vérité et dignité. Ramata, sœur de Lamine Dieng, rappelait régulièrement au micro qu’« entre 450 et 500 personnes ont été tuées à la suite d’interventions policières depuis l’abolition officielle de la peine de mort. Il y a une quinzaine de morts chaque année ».
C’est la deuxième année consécutive que les comités se coordonnent pour une journée dédiée aux victimes des violences policières. Le nombre réduit de manifestantEs montre la tâche à accomplir pour en faire un véritable enjeu. Mais la détermination de cette manifestation et la capacité à réunir des comités forcément concentrés sur des échéances très concrètes sont l’expression d’une volonté de construire un mouvement pour mettre fin à l’impunité policière. Outre cette manifestation, des rencontres nationales se préparent après la réunion à Grasse en février dernier.
Des discours et politiques menés au sommet de l’État jusqu’à la complicité judiciaire, les crimes et violences policières sont un des maillons d’un système policier, raciste et antisocial qui humilie et réprime dans les quartiers populaires pour mieux maintenir tous les exploités sous sa domination. S’attaquer à ce maillon, l’affaiblir, est dans l’intérêt de tous et toutes.
Denis Godard
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 142 (29/03/12).
« On n’enterre pas la vérité »
« Ali Ziri, 69 ans, mort le 11 juin 2009, suite à son interpellation par la police nationale, ici-même » : voici le texte de la plaque posée en hommage à Ali Ziri et qui a soulevé un tollé chez les syndicats de police, d’Alliance au SGP-FO, menaçant de manifester si la plaque n’était pas enlevée.
Et lorsque ces policiers à l’indignation sélective et déplacée sont en colère, ils ouvrent leur carnet d’adresses et utilisent la ligne directe pour s’adresser à leur sauveur suprême, Guéant. Il n’en faut pas plus à ce pourfendeur des « autres civilisations » pour appeler le préfet du Val-d’Oise qui, à son tour, met un coup de pression sur le maire d’Argenteuil, le menaçant de le poursuivre au tribunal administratif pour atteinte à la présomption d’innocence.
La municipalité avait dans un premier temps autorisé par arrêté la pose de la plaque, gagnée par les arguments de notre collectif « Justice et vérité pour Ali Ziri », composé d’une trentaine d’organisations politiques, syndicales et associatives et de citoyens ; mais elle a décidé de sa dépose le 1er février, alors même que selon plusieurs avocats, la plaque ne présentait rien de diffamatoire et ne portait aucunement atteinte à la présomption d’innocence.
L’affaire n’est pas seulement juridique, elle est d’abord politique : elle laissait entrevoir le retour dans notre ville de Sarkozy, dont la dernière visite s’était soldée par une reconduite à la frontière après les insultes qu’il avait proférées à l’encontre des habitantEs de des quartiers populaires. Mais là, le scénario était irrésistible pour l’UMP : chevaucher de nouveau les thèmes sécuritaires et racistes, remonter le moral aux intouchables que sont les policiers et dénoncer au passage le PS et son laxisme. Cela n’était évidemment pas trop du goût du staff de Hollande mis au courant de cette affaire Ali Ziri. Il n’en a pas fallu davantage pour que la municipalité jette l’éponge et scie l’arceau sur lequel était apposée la plaque.
Jacques Gaillot, qui l’a inaugurée, avait déclaré : « On n’enterre pas la vérité ». Chacun peut compter sur la détermination de notre collectif pour faire en sorte que cette vérité qu’ils ne veulent pas voir soit taguée sur les murs de la ville à coups de pochoir, et rappelée sur les badges que nous vendrons lors de notre prochaine manifestation, le samedi 11 février à 14 heures du parc de la mairie à la sous-préfecture.
Omar Slaouti
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 135 (09/02/12).
Debout contre les violences policières !
Un vent de dignité retrouvée a soufflé à Argenteuil lors du rassemblement contre les violences policières, organisé par le collectif Ali Ziri, samedi 14 janvier. Avec le père d’Hakim Ajimi et le porte-parole du collectif qui avaient fait le déplacement depuis Grasse, avec des représentantEs des collectifs « Justice et Vérité » pour Wissam El-Yamni de Clermont-Ferrand, Lamine Dieng de Paris, Mamadou Maréga de Colombes, Abdelilah El Jabri d’Aulnay-sous-Bois, avec des membres du MIB, du Collectif Anti-Négrophobie, d’Amnesty International… les témoignages ont été nombreux.
À chaque fois, l’occasion a été donnée de rétablir la vérité des faits, ceux rapportés par les témoins et les expertises médicales. Chacun aura pu constater les similitudes dans les méthodes d’interpellation, dans le traitement judiciaire et même médiatique, qui nous imposent une réaction unitaire et nationale structurée autour de la campagne « Police, personne ne bouge » et du collectif « Vies volées ». Cette rencontre, cet entre-nous, cette confiance, ont laissé toute la place qu’il fallait pour des émotions trop souvent contenues parce que non reconnues. Des douleurs ravivées lorsque la justice à son tour utilise à sa manière une clé d’étranglement, celle-là même qui asphyxie et qui étouffe ces affaires de meurtre. C’est le cas pour celui d’Ali Ziri, pour lequel le procureur requiert un non-lieu, en livrant des conclusions ahurissantes et sans appel : « Attendu que l’information n’a établi aucun acte de violence volontaire qui aurait été la cause directe ou indirecte du décès d’Ali Ziri, attendu qu’il résulte des expertises qu’aucune faute directe involontaire n’est imputable à quiconque, l’état d’insuffisance des moyens, des personnels et de leur compétence, des services de police ou d’urgence ne pouvant pas être retenu à l’encontre de ceux qui y travaillent dans des conditions difficiles. » Pour cette justice, c’est donc sans cause et spontanément que seraient apparus les 27 hématomes, dont l’un de 17 cm de diamètre, et « l’hypoxie suite à une compression sur la cage thoracique » rapportés par l’Institut médico-légal !
Déni, mensonges, falsification de preuves, pressions sur les témoins et la famille, sont des constantes dans les pratiques policières et judiciaires. Et à chaque fois, jouer la montre pour diluer dans le temps les mobilisations pour la justice et la vérité. C’est pour cette raison que le collectif a posé ce jour-là une plaque sur le lieu d’interpellation d’Ali Ziri. Gravé dans l’acier, on peut y lire : « Ali Ziri, 69 ans, mort le 11 juin 2009, suite à son interpellation par la police nationale ici-même ». Cela n’est pas sans rappeler la plaque posée pour Malik Oussékine qui incrimine elle aussi la police. Comme l’a souligné Jacques Gaillot, présent à notre rassemblement, notre combat doit se poursuivre pour infléchir la décision du juge d’instruction.
C’est l’enjeu-même de notre prochain rendez-vous pour Hakim Ajimi, vendredi 20 janvier en soirée, à la Fontaine des Innocents (M° Saint-Michel, voir le site du FSQP). On ne lâchera rien, « ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps ».
Omar Slaouti
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 132 (19/01/12).
Violences policières : la violence « ordinaire », terreau des violences meurtrières
Vendredi 6 janvier à 5 heures du matin, je suis interpellé en état d’ébriété par la BAC, alors que je cherche un taxi avec deux amiEs d’Act Up-Paris et que nous sommes en train de relever un scooter garé que j’ai involontairement fait tomber. Cela me vaut d’être emmené au commissariat du 3e arrondissement de Paris où, après les formalités d’usage, accomplies sans résistance aucune, j’attends, menotté, sans surveillance particulière, sur un banc dans le couloir des cellules du commissariat, séparé par une simple porte du hall public.
Je me mets à siffler l’Internationale en boucle. Un policier passe la porte venant du hall et me dit « Tu vas t’arrêter, tu emmerdes tout le monde, ceux qui veulent dormir [j’imagine qu’il a dû demander aux occupantEs des cellules] et ceux qui veulent travailler [!] ». Je continue de siffler. Il me dit que si je ne m’arrête pas il va me faire taire. Je lui demande comment, il montre sa main levée. Je recommence à siffler et je me prends une tarte.
Je recommence à siffler et il me demande si j’en veux une autre. Je lui dis « vas-y, ça va se voir ». Il me répond qu’il sait faire, qu’il fait ça dans la rue, qu’il n’a jamais eu de problèmes. Des policiers arrivent à ce moment pour m’emmener pour le contrôle de routine à l’hôpital. Jusqu’au lendemain matin, personne ne réagit quand je dis que je me suis pris une torgnole. Les autres flics baissent les yeux et parlent d’autre chose, le médecin de l’hôpital me regarde à peine et me dit que si ça ne se voit pas ça sert à rien. Je suis ramené dans ma cellule. Ce n’est que quand je sors, quelques heures plus tard que ma plainte est prise. Il faut dire que ça commence à se voir salement.
En ce qui concerne le savoir-faire du policier, on repassera : j’ai l’œil comme un œuf, la joue gonflée et surtout une fracture du plancher de l’orbite. Résultat, 12 jours d’ITT. Je ne saurai que dans un à deux mois si l’engourdissement d’une moitié de mon visage est temporaire ou définitif. Alors ?
Pour rien (à moins que siffler ne soit un délit), dans un commissariat, un flic se sent l’impunité suffisante pour claquer violemment quelqu’un. Si j’avais été énervé, si je l’avais insulté voire plus... cette impunité aurait conduit où ? Aux violences mortelles ?
Je suis blanc, de nationalité française, je ne suis plus tout jeune (j’ai 47 ans), je suis un homme, salarié... Si j’avais été jeune, arabe, noir, sans papier, si j’avais été une femme, un homo, un chômeur, on m’aurait fait quoi ?
Pour ne citer que l’actualité récente, Wissam est mort à Clermont-Ferrand, les policiers responsables de la mort de Hakim n’ont toujours pas été condamnés comme l’ont rappelé les manifestantEs à Grasse samedi 7 janvier et le parquet de Blois vient de requérir un non-lieu pour le gendarme qui a tué un jeune gitan en juillet 2010.
Ces cas sont les exemples extrêmes qui confirment dramatiquement une règle qui ne fait jamais l’actualité médiatique, celle des violences policières quotidiennes, de routine dans les commissariats comme dans les quartiers. Alors que des caméras de vidéosurveillance se multiplient dans nos rues, c’est dans les commissariats qu’il faut les installer.
Ne parlons plus de bavures : cette violence de la police est le produit d’une politique d’État, des discours des plus hauts responsables de l’État jusqu’à l’absence de sanctions des flics.
Beaucoup de ceux et celles qui sont victimes, au quotidien, de cette violence ne peuvent en témoigner pour de multiples raisons. Cette fois, moi je peux.
Alors, on va siffler la police. Et il faut que ça s’entende.
Denis Godard
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 131 (12/01/12).
Mort de Wissam à Clermont-Ferrand
Il y a désormais un mort de plus au compteur des victimes de violences policières. Wissam el-Yami est décédé lundi 9 janvier à la suite de son interpellation par la police lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. Cette nuit-là, à Clermont-Ferrand, menotté, plaqué et maintenu au sol, Wissam a subi des violences inacceptables. Le malaise cardiaque qui a suivi l’a plongé dans un coma dont il ne se réveillera jamais. Le quartier de la Gauthière, où vivait Wissam, est sous le choc face à une telle violence. Depuis cette arrestation révoltante, les habitantEs se sont rassembléEs à maintes reprises pour exprimer leur indignation.
Le samedi 7 janvier, ils étaient plus de 500 à marcher silencieusement pour que « justice soit faite ». La seule réponse qu’ils ont reçue a été le quadrillage de leur quartier par un hélicoptère et un déploiement des forces policières. L’interpellation de dix-sept personnes lundi soir ne fait que confirmer le climat ultra-répressif qui vise en ce moment tous ceux qui protestent contre la mort de Wissam et qui risquent aujourd’hui des mois de prison ferme pour jet de pierres.
Si l’information judiciaire requalifiée désormais en « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personnes dépositaire de l’autorité publique » est ouverte à l’encontre de ces fonctionnaires de police, il n’est hélas pas tout à fait certain qu’elle aille jusqu’au bout et en toute indépendance, à l’instar des autres affaires mettant en cause les forces de l’ordre. Le sentiment d’impunité de la police grandit, et les habitantEs des quartiers populaires en font de plus en plus les frais. Désormais, l’usage de la violence lors des interpellations se banalise et certains commissariats se transforment en zones de non-droit. Les passages à tabac, intimidations, humiliations, insultes racistes et violences en tout genre se multiplient quotidiennement dans le plus grand silence.
La France se transforme de plus en plus en État policier où toute forme de résistance et de contestation n’est plus admise. Combien de Wissam laissera-t-on encore mourir sous les coups de la police ?
Coralie Wawrzyniak
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 131 (12/01/12).
Combien de meurtres encore d’ici 2012 ?
Des Arabes, des chibanis, des vies brisées encore debout pour l’ami Ali Ziri. Ils sont venus samedi 11 juin, de leur foyer d’Argenteuil jusque devant ce qu’ils appellent le ministère de l’Injustice. Deux ans après son arrestation par la police nationale. Deux ans après les coups portés sur cet homme menotté de 69 ans. Deux ans après que des policiers l’ont étouffé par la méthode de pliage en écrasant sa poitrine sur ses genoux, une manœuvre interdite depuis 2003. Deux ans après qu’un policier s’est essuyé le pied plein de vomissures sur son visage inanimé. Deux ans après que les proches découvrent son corps tuméfié de partout avec des hématomes de 17 cm. Deux ans après que le commissariat exige son passeport pour renvoyer le corps le plus rapidement possible, afin d’éviter toute expertise médicale.
Deux années de combat du collectif Vérité et justice et deux expertises médicales qui démontrent sans ambiguïté que les policiers sont à l’origine de sa mort1, mais voilà, le juge d’instruction décide de clore le dossier sans même auditionner les policiers impliqués. Des policiers qui patrouillent encore à Argenteuil, et une justice qui se prépare à classer cette affaire de meurtre.
La même justice qui, le 10 juin, vient de classer sans suite la plainte déposée contre Guéant pour propos islamophobes, et qui le 9 juin voit le parquet réclamer la relaxe d’Hortefeux après ses propos racistes. Il faut préciser que le grand recteur de la mosquée de Paris Dalil Boubekeur lui a apporté son soutien et décerné un brevet d’antiracisme.
Qui peut douter encore qu’une fois de plus le centre des campagnes électorales pour 2012 à droite mais aussi à gauche se placera au cœur des quartiers populaires et visera les noirs, les Arabes, les musulmans, les Roms avec pour beaucoup la surenchère raciste et pour quelques autres le silence complice et approbateur ?
Il s’agit pour eux de masquer la question sociale. Oui, mais pas seulement, c’est aussi de distiller un racisme d’État par tous les pores de la société en s’appuyant sur des relents coloniaux, qui, en retour, légitiment toutes les discriminations et au passage justifie les guerres impérialistes.
Voilà pourquoi nous devons occuper pleinement et prioritairement ce terrain politique, comme avec le collectif D’ailleurs, nous sommes d’ici, et que nous continuerons à soutenir tous les collectifs contre les violences policières.
Ces collectifs Justice et vérité , un peu partout en France, qui eux aussi font de la visibilité un enjeu majeur. C’est l’objectif du collectif Vies volées qui se propose de regrouper toutes les familles victimes de violences policières.
Le prochain rassemblement se fera quatre ans après la mort de Lamine Dieng, lui aussi étouffé sous le poids de policiers qui l’immobilisaient, mains et pieds attachés. Des policiers toujours en fonction.
Omar Slaouti
1. « Les expertises anatomopathologiques permettent d’affirmer que l’inefficacité cardiaque constatée aux urgences du CH d’Argenteuil est secondaire à un trouble majeur du rythme cardiaque, lui-même secondaire à un épisode hypoxique en rapport avec les manœuvres d’immobilisation et les vomissements itératifs…le manque de discernement a conduit à des comportements qui n’étaient pas sans conséquence sur l’état de santé de M. Ziri. »