La conspiration contre le président paraguayen, l’ex évêque Fernando Lugo, a commencé le jour même de sa victoire aux élections présidentielles, car il n’avait pu vaincre que grâce à la mobilisation populaire. Sans parti propre ; sans assise parlementaire importante afin de le soutenir ; avec une vaste base sociale dans la paysannerie, mais dispersée et inorganisée ; forcé d’affronter l’opposition de la hiérarchie de sa propre Eglise ; Lugo a toujours été dépendant de son alliance fragile avec le parti du vice-président Federico Franco, le Parti Libéral Radical, foncièrement conservateur et représentant un secteur des grands propriétaires terriens.
Les partisans de la dictature de Stroessner, quand à eux, ont continué et continuent toujours à occuper les principaux postes dans l’administration publique, les forces répressives et la prétendue « Justice », ainsi que la Cour Suprême. C’est fort tardivement que Lugo a tenté de créer un parti-front : le « Front Guasú » (« Large », en langue guarani), qui n’a fait que poser ses premiers pas et est loin d’être homogène. Mais l’ensemble des forces de la droite paraguayenne, soutenues dans l’ombre par les Etats-Unis, n’a pas voulue attendre plus longtemps, malgré le fait que le mandat du président se termine dans un an et qu’il ne reste que 10 mois pour des élections présidentielles dans lesquelles Lugo ne pouvait pas se représenter. Elles n’ont pas voulu donner le temps aux forces de centre-gauche de s’organiser afin de se maintenir au gouvernement.
Sous la houlette d’Horacio Cardes, grand propriétaire terrien du Parti Colorado, lié en outre au narcotrafic, les forces de droite ont organisé une parodie de procès politique qui a duré une journée, sur base d’accusations sans preuves selon lesquelles Lugo stimulait les occupations de terres par les paysans ou se limitait à combattre timidement la petite guérilla paysanne existant dans le département où se trouvait son diocèse. Cardes, les « oviédistes » du parti conservateur Patria Querida et les libéraux, ont mené leur coup d’Etat parlementaire – en suivant l’exemple de leurs collègues au Honduras – sans avoir à séquestrer par les armes le président et à l’expulser du pays en pyjama, vu que Lugo s’est probablement réfugié dans l’ambassade d’Equateur.
Le prétexte utilisé pour précipiter le coup d’Etat fut le massacre de Curuguaty, qui s’est déroulé il y a une semaine et où les forces répressives ont attaqué des paysans, qui se sont défendus, laissant un bilan de 17 morts parmi les policiers et les paysans, ainsi que 80 blessés et des dizaines de prisonniers.
La destitution parlementaire de Lugo a été contestée par des manifestants qui se sont spontanément rassemblés devant le Parlement ; par des paysans qui, à l’intérieur du pays, ont coupé les routes ; par des émigrés paraguayens en Argentine, qui sont retournés par milliers au Paraguay afin d’empêcher le coup d’Etat ou qui ont organisé une manifestation devant l’Obélisque de Buenos Aires. Au Sénat, seuls quatre élus ont défendu Lugo, mais son principal soutien ne réside pas dans la capitale, où se concentre essentiellement la classe moyenne des fonctionnaires et des partisans du parti Colorado, mais bien dans les provinces paysannes de l’intérieur du pays où la résistance sera longue et dure.
Fernando Lugo, en outre, était président temporaire de l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) et le coup d’Etat dont il a été victime représente ainsi un nouveau coup porté par la droite paraguayenne contre l’intégration sud-américaine, après le refus du parlement du Paraguay d’accepter le Venezuela au sein du Marché Commun du Sud (MERCOSUR) et sa résistance à intégrer le Bancosur.
Les ministres des affaires étrangères de l’UNASUR qui ont visité Asuncion afin de tenter de dissuader les putschistes ne sont pas parvenus à empêcher ce coup d’Etat mal déguisé, tout comme l’Organisation des Etats Américains (OEA) n’avait pu empêcher la dictature de Micheletti au Honduras, quand le parlement de ce pays avait illégalement destitué le président constitutionnel Manuel Zelaya il y a trois ans.
Il se fait que derrière ces deux coups d’Etat – comme cela fut amplement démontré et documenté dans le cas du Honduras – se trouvent les Etats-Unis. Le Paraguay est un pays clé afin de contrôler l’aquifère de Guaraní, la plus grande réserve d’eau du monde, qui occupe une grande partie de son territoire et s’étend au Brésil, en Argentine et en Uruguay.
Au Paraguay se trouve également la base militaire étatsunienne de Estigarribia, qui permet de contrôler la zone de la Triple Frontière argentine-brésilienne-paraguayenne. Dans la province argentine du Chaco, touchant au Paraguay, les Etats-Unis veulent installer une autre base, plus petite, avec le soutien du gouverneur Jorge Capitanich – le même qui déclare que les chauffeurs de camions en grève sont anti-patriotiques -, mais la protestation populaire a empêché, pour l’instant, cette violation de la souveraineté argentine au moment même où la présidence de Cristina Fernández Kirchner prétend défendre cette souveraineté dans les Iles Malouines.
Un gouvernement paraguayen étroitement lié à l’UNASUR et particulièrement influencé par l’axe Brésil-Argentine est contraire aux intérêts des Etats-Unis. De là leur feu vert accordé à un coup d’Etat qui, sans aucun doute, a été discuté et élaboré en commun avec les diplomates étatsuniens à Asuncion et qui répète les mêmes méthodes, un peu améliorées, utilisées il y a peu au Honduras, un autre pays pauvre et faible avec un président hésitant.
Les pays de l’UNASUR pourraient aujourd’hui isoler économiquement le Paraguay, qui n’a aucune issue vers la mer, et lui retirer tout soutien à son économie. Ils pourraient également ne pas reconnaître le gouvernement fantoche de Franco, qui ne durera que le temps d’avancer les élections présidentielles ou de ne les réaliser qu’en 2013, en laissant sa place au Parti Colorado.
Mais les paysans ne vont pas attendre ces pressions diplomatiques et vont réagir en prenant les terres, en coupant les routes, en construisant des pouvoirs locaux et, probablement, au vu de leurs traditions, en recourrant aux armes afin de mener des actions guérilla qui pourraient compter sur la bienveillance des gouvernements de Bolivie, d’Argentine et du Brésil, qui ne peuvent accepter ce coup de poignard porté à l’UNASUR.
Les putschistes ont écarté le faible Fernando Lugo sans tirer un seul coup de feu, mais ils vont probablement devoir user des armes par la suite, particulièrement quand ils seront confrontés aux protestations sociales alimentées par la rage des mouvements sociaux et paysans du continent face à l’affront incarné par cette répétition des événements au Honduras.
Guillermo Almeyra