Le résultat des élections du 17 juin constitue une victoire à la Pyrrhus des forces établies qui garantissent l’application du « Mémorandum » et des politiques de « désinflation intérieure ». Après les résultats, destructeurs pour le système politique, des élections du 6 mai, cela signifie la continuation « sans pause », dans la période qui vient maintenant, de la politique qui conduit à la barbarie.
Le contenu des urnes a transcrit une polarisation inédite qui montre de nets clivages de classe, d’idéologie, de répartition géographique et d’âge. D’un côté, la masse des travailleurs et des chômeurs, des jeunes et des femmes, surtout des grandes villes, a pris le risque d’un vote que ses adversaires du régime présentaient comme « déstabilisant pour le système ». De l’autre côté, une masse de couches petites-bourgeoises de la ville, et surtout de la campagne, les paysans et les retraités, par peur et insécurité, se sont regroupés à nouveau autour des minorités possédantes et privilégiées qui ont investi politiquement dans la perpétuation du mémorandum et dans la perspective européenne du capitalisme grec.
Cette polarisation, bien que le rapport de forces politique constaté dans les élections du 6 mai entre les « camps » de la Gauche et de la Droite n’ait globalement pas évolué, a opéré une redistribution brutale au sein de ces camps socio-politiques, en faveur des pôles dominants qui se disputaient, sur un pied d’égalité, le pouvoir gouvernemental.
Le vote de gauche traditionnel et le vote anti-mémorandum protestataire de gauche exprimé le 6 mai ont été absorbés par le SYRIZA qui revendiquait avec des chances réelles l’élection d’un « gouvernement de gauche », pour la première fois depuis la période de la guerre civile (années 50). Le KKE n’a pas convaincu le peuple de « corriger le vote » dans sa double opposition aux forces du capital et à SYRIZA. Le KKE a aussi, par son attitude depuis deux ans et demi (sectarisme, enfermement, scissions syndicales), déçu une fraction des travailleurs, qui en sont arrivés à voter SYRIZA.
ANTARSYA, sans suivre la ligne sectaire du KKE, n’a pas convaincu – elle n’en était pas assez convaincue elle-même – que son programme devait être soutenu aux élections, comme contrepoids au glissement à droite du SYRIZA « de gouvernement », par la fraction de l’électorat qui s’était rapproché d’elle dans la période précédente. Le programme d’ANTARSYA était de plus marqué par un flou concernant la question du pouvoir, et incapable de représenter une alternative visible et praticable pour les couches sociales en butte aux attaques. KKE et ANTARSYA se sont repliés sur leurs forces organisées. Leurs électeurs ont choisi le vote utile qui pouvait amener un gouvernement de gauche au pouvoir et procurer un soulagement immédiat, une pause dans l’attaque incessante du système.
La ND a absorbé l’essentiel du phénomène du « centre libéral » des élections du 6 mai, tandis qu’elle réintégrait une partie des électeurs qui avaient « fuité » vers la droite radicale et extrême (’’Grecs Indépendants’’ et LAOS).
Le PASOK de Venizelos et la DIMAR ont conservé les forces qu’ils avaient obtenu le 6 mai, et ils dominent potentiellement un espace politique systémique à droite du champ que dégage l’effondrement de la social-démocratie telle qu’on la connaissait.
Alors que 5 partis de droite qui participaient aux élections du 6 mai ont à celles de juin été absorbés, écrasés ou fortement affaiblis en faveur de la ND, Chryssi Avgi (’’Aube Dorée’’) néo-nazie conserve ses forces.
Les éléments les plus attardés et lumpen des couches populaires éprouvées par la crise ont récompensé la ligne « de la poigne ferme » malgré le dégoût exprimé par le système après l’incident qui a impliqué Kasidiaris sur la chaine Antenna. L’adoption par Samaras d’une rhétorique carrément raciste et anti-immigrés, extrême même pour la ND, mais utilisée avant lui par le PASOK notamment par Loverdos et Chrysochoïdis (pogroms, mur frontière), n’a pas arrêté l’ascension de Chryssy Avgi, mais au contraire l’a légitimée et renforcée.
Les fascistes se présentent comme une force « anti-système » qui « débarrassera le pays des politiciens », mais ils sont déjà prêts et armés pour jouer le rôle d’une force de réserve du système contre la gauche et le mouvement ouvrier. L’« indignation morale », quand elle est exprimée par les porte-parole de la classe politique établie et des médias, ne fait que confirmer, aux yeux de secteurs petits-bourgeois et lumpen de la société, le caractère pseudo-antisystème du gang fasciste de Chryssi Avgi.
L’incapacité pratique de la gauche à soutenir les immigrés, jointe au fait que la gauche officielle se borne à demander comme « solution provisoire » l’abolition de Dublin 2, a favorisé les fascistes.
Le barrage contre la montée du fascisme dépend de la capacité du mouvement ouvrier, de la gauche et de la mouvance anti-pouvoir / anarchistes à répondre sur le plan politique et de manière organisationnelle, dans la rue, sur les places, dans le quartier et à l’école, à montrer aux partisans potentiels du fascisme en quoi consiste réellement sa « puissance », et ,en même temps, qui a vraiment la volonté de renverser le système établi.
Le nouveau gouvernement de coalition est d’évidence fragile, hétérogène et instable. Il rassemble la moitié exactement des votes dont pouvaient se targuer les partis qui ont soutenu le gouvernement Papadimos. Il a en face de lui un adversaire visible du mémorandum qui prétend au gouvernement, ce qui n’était aucunement le cas du gouvernement Papadimos. Par contre, il détient une sorte de « mandat populaire » encore frais. Il pourra ainsi pendant un moment se réclamer du fait que les Grecs « ont choisi de rester dans l’euro » et en acceptent les règles du jeu définies par les créanciers et les banques. Samaras ne gouverne pas seul, mais il a clairement montré qu’il entend réprimer le mouvement de résistance, s’appuyer sur la police, jouer à fond sur le racisme et la « sécurité ». Le tournant de la ND vers l’extrême-droite, le racisme et la répression favorise non seulement politiquement mais aussi opérationnellement l’action des fascistes, qui est déjà montée en puissance et s’affiche maintenant encore plus ouvertement comme complémentaire aux forces de répression.
Néanmoins, même les perspectives à court terme du nouveau gouvernement sont minées. Il compte sur un assouplissement du calendrier d’application des engagements qui découlent du nouvel accord de prêt, mais rien n’est moins sûr et cela ne pourrait en aucun cas atténuer la profonde récession de l’économie grecque au moins dans le terme de deux années que Samaras assigne à son gouvernement. Des « miettes de croissance » ne suffisent pas à faire reculer le chômage, l’effondrement des salaires, la crise humanitaire.
Dans le même temps, la crise destructrice de la zone euro bat son plein et atteint sa pire phase jusqu’à maintenant, limitant radicalement les marges de manœuvre des classes bourgeoises de la « périphérie européenne », tandis que les perspectives économiques mondiales restent menaçantes.
De plus, la nouvelle alliance gouvernementale marque au contraire l’épuisement des réserves puisables parmi les « forces politiques responsables et pro-européennes du pays ». C’est une sombre perspective aussi pour le PASOK « de gouvernement », mais le risque est aussi que la DIMAR (qui faisait figure, soi-disant, de partenaire d’un « gouvernement de gauche ») y perde son masque de gauche et de modération : cela tuerait dans l’oeuf la possibilité de renaissance d’une « social-démocratie » socio-libérale classique. Le slogan « renégociation du mémorandum », brandi pour faire face à la percée électorale de la mouvance anti-mémorandum le 6 mai, est une pierre au cou du nouveau gouvernement qui ne peut la porter longtemps et s’en débarrassera bien vite, non sans conséquences notamment sur la base « petite-bourgeoise » de la droite, mais aussi sur quelques fractions privilégiées de la population qui trouvent leur expression dans le PASOK et la DIMAR mais sont touchés par l’implacable mise en œuvre du mémorandum.
Cependant, le fait que le SYRIZA soit devenu un adversaire menaçant le nouveau gouvernement « mémorandesque » soulève des espérances, mais est aussi gros de dangers. Le coût politique de la gestion du mémorandum version 2 est à évaluer sur une nouvelle échelle quand un parti de gauche encore non usé se présente aux portes du pouvoir. Toutefois, la politique de « double langage » du SYRIZA entre mai et juin, s’adressant à des destinataires différents, à savoir d’un côté son noyau de gauche radicalisé et de l’autre non seulement les couches moyennes hésitantes, mais aussi la bourgeoisie, l’UE et les marchés, est ce qui l’a caractérisé pendant toute la période pré-électorale, le résultat étant que lors de la semaine qui a précédé le scrutin du 17 juin, le SYRIZA avait capitulé devant les attaques des forces bourgeoises, en reniant les « actions unilatérales » et en prenant le rôle de celui qui doit se justifier.
Ce glissement se poursuit de manière plus affirmée après les élections, surtout à travers les premières déclarations d’intention de Tsipras sur une « opposition responsable au parlement ».
Avec un SYRIZA qui a déjà abandonné certaines propositions radicales sur la dette, qui a accepté en pratique le fait accompli du « mémorandum 1 », qui a cultivé le flou sur toutes ses positions (que signifient réellement un « nouveau programme national de développement » avec accord des créanciers et une « solution européenne admise par tous » en ce qui concerne la dette ?), qui a laissé tomber la défense des immigrés et la lutte contre les fascistes, la perspective d’une issue politique pour le mouvement risque de se ramener à une ligne de défense continuelle, de neutralisation de la radicalité et d’attente passive des événements.
Si en plus cette évolution s’accompagne du réflexe réformiste classique « on a effrayé les gens en étant si radicaux », qui pourra s’appuyer sur une certaine déception de ceux qui se sont tournés vers la gauche, ce renforcement du SYRIZA peut se transformer en un éteignoir des tendances les plus radicales des luttes, en une prison réformiste de la protestation sociale, en une acceptation passive de la mise à mort opérée par le mémorandum 2 dans l’attente d’une victoire électorale de la gauche, d’un moment où l’ambulance du SYRIZA viendrait ramasser les morts sur le champ de bataille.
Dans cette optique, le mauvais résultat électoral de l’ANTARSYA apparaît encore pire : les perspectives politiques d’une stratégie de renversement par les luttes et d’organisation de la majorité opprimée, stratégie en faveur de laquelle ANTARSYA, quelles que soient ses faiblesses, s’est clairement prononcée, butteront sur de nouveaux obstacles. Reste que le séisme politique du 6 mai lui-même a été le résultat des grandes luttes sociales contre les attaques des capitalistes, et, notamment, une répercussion déformée de l’explosion du 12 février.
C’est la lutte des classes, l’action propre des masses travailleuses et leur avancée qui décideront si le gouvernement du front des ténèbres pourra imposer sa politique barbare ou si le SYRIZA aura le luxe de se reposer sur sa ligne, telle qu’elle s’esquisse déjà, du « pouvoir qui nous tombera dans la main comme un fruit mûr », de subordonner les mobilisations populaires à la perspective d’une solution gouvernementale dans le cadre du système, d’atteindre son objectif de social-démocratisation selon le plan de sa direction qui est de transformer cette formation en un « nouveau grand parti démocratique de gauche ».
Nous avons besoin d’une gauche qui soit responsable envers les intérêts des opprimés, à court terme, à long terme et à l’échelle de l’histoire, et non pas responsable devant les institutions politiques et supra-nationales de l’Etat et du capital.
Nous avons besoin d’une gauche qui relève le défi face à l’attaque que mène le capital sur tous les plans, économique, politique et idéologique, d’une gauche qui ne délivre pas de « doubles messages », qui dise la vérité aux travailleurs et aux travailleuses et qui s’appuie sur leur expérience de lutte et leur auto-organisation, car ce n’est qu’ainsi que les idées contestataires, anti-capitalistes et révolutionnaires peuvent devenir majoritaires.
C’est pourquoi, avec ANTARSYA, nous serons dans la période qui vient au premier rang des luttes contre tous les mémorandums, contre les funestes gouvernements du capital, contre la Troïka, contre les banquiers et les créanciers, au premier rang des luttes contre le gouvernement Samaras, pour le renversement de tous les mémorandums, de toutes les lois et mesures d’application qui les mettent en œuvre, pour que comités ouvriers et assemblées populaires se remettent en place et se massifient, pour une action anti-fasciste large, centrale et locale, unie, de toutes les forces politiques et sociales du mouvement ouvrier qui barrera la route aux néonazis et qui détruira leurs bandes criminelles. ANTARSYA doit prendre immédiatement l’initiative d’une action unitaire contre le serpent qui est sorti depuis longtemps de son oeuf. C’est le moment de bâtir un front massif et unitaire contre le fascisme et sa terreur.
En tant qu’OKDE-Spartakos, mais aussi au sein d’ANTARSYA, nous continuons à lutter pour un mouvement ouvrier massif et auto-organisé qui renversera non seulement les mémorandums et leurs gouvernements par des grèves de longue durée sous contrôle ouvrier, mais qui pourra revendiquer son propre gouvernement de guerre des classes, appuyé sur les formes d’auto-organisation des opprimés, et disputer non seulement le pouvoir politique aux partis bourgeois, mais aussi le pouvoir économique lui-même au capital.
OKDE-Spartakos