Vols, machinations, complots, trahisons, menaces : le Vatican aurait-il fait, ces dernières semaines, un saut dans les siècles passés ? Même la mort rôderait désormais dans les ruelles pavées de Rome, si l’on en croit l’ancien président de la banque du Vatican : promptement débarqué de son poste, le 23 mai, Ettore Gotti Tedeschi a assuré peu après « craindre pour sa vie ».
Pas une année, ou presque, du pontificat de Benoît XVI n’aura été épargnée par des scandales et des révélations, qui ont teinté de noir les méthodes de gouvernement et les pratiques de certains hiérarques de « l’Eglise universelle ». Ouvert en 2005 comme le règne de transition d’un pape âgé et peu entreprenant, ce pontificat confine, à certains égards, au tragique.
Après les affaires de pédophilie et les incompréhensions répétées entre le pape et le monde, les VatiLeaks, ces fuites de courriers confidentiels dans la presse, dessinent les contours d’une fin de règne paradoxale. Benoît XVI semble comme dépassé par l’étendue des chantiers qu’il a dû lui-même ouvrir, bon gré mal gré. Et il n’est pas certain que l’énergie et le temps qui lui restent lui suffiront pour remettre de l’ordre dans la curie, rétablir la confiance et restaurer une image brouillée.
Benoît XVI savait pourtant à quoi s’attendre. Peu avant son élection, le cardinal Ratzinger avait posé un diagnostic terrifiant. Ton Eglise nous semble souvent une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Eglise nous effraient, mais c’est nous-mêmes qui les salissons !« , avait-il lancé lors du Chemin de croix, en 2005. Las ! La politique de »transparence et de purification", revendiquée depuis par le pape en matière financière ou sur la question des moeurs d’une partie du clergé, se heurte à des résistances au sein de la curie et dans les épiscopats
Sans doute eût-il fallu pour que « la barque » retrouve des eaux moins troubles un pape politique, versé dans l’administration des hommes et à même de déjouer les combinazione vaticanes, un art italien dans lequel excellent les membres de la curie. Benoît XVI est tout sauf ce pape-là. Théologien avant tout, il a fait un autre choix. Avec une constance, qui force l’admiration de ses soutiens mais explique en partie les déconvenues du pontificat, l’octogénaire a préféré consacrer ses forces à la restauration d’une foi catholique qu’il estime en danger.
Sans relâche, le pape appelle donc les croyants à retrouver « la lecture de la parole de Dieu », à revenir « au sacré », à défendre des positions « non négociables » en matière de moeurs, à se montrer fidèles à la « tradition de l’Eglise », quitte à donner des gages aux intégristes contempteurs de la modernité... Cette stratégie convient au noyau dur des croyants. Mais elle s’accommode mal d’une gestion politique et humaine de l’Eglise, susceptible de la rendre plus efficace et plus attractive.
Aussi, après sept années de pontificat, les réformes en matière de transparence et de gouvernance, que son prédécesseur Jean Paul II n’a ni su ni voulu entreprendre, restent inachevées. Confronté à des scandales récurrents dans le fonctionnement de l’Institut des œuvres de religion (IOR), le Vatican a été poussé par les instances européennes à mettre sa banque en conformité avec les normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent, pour avoir une chance de rejoindre la « liste blanche » des pays vertueux. Les fuites récentes dans la presse et le limogeage surprise de M. Tedeschi laissent penser que tout le monde ne partage pas l’avis du pape et/ou les méthodes employées.
Le dossier VatiLeaks a aussi mis en lumière ce que nombre d’observateurs avaient déjà relevé : une polarisation sur la personne du cardinal Bertone, numéro deux du Vatican et fidèle de Benoît XVI, alimentée par l’importance croissante de ses amis italiens sur les affaires de la curie et les enjeux de succession. Si un conclave devait se tenir aujourd’hui, les Italiens y représenteraient 30 des 125 électeurs. Cette situation peine à sortir le Vatican de son italo-centrisme, à l’heure où la mondialisation et les défis qui bousculent l’Eglise (déchristianisation ici, corruption là, concurrence avec le protestantisme ou l’islam ailleurs...) exigeraient un regard pluriel, collégial et renouvelé sur les affaires de l’institution.
Mais l’Eglise demeure marquée par un centralisme mortifère ; le pape et ses proches évoluent dans un univers d’ancien régime, mâtiné de « bienveillance fraternelle » où l’on déplace les mauvais éléments sans jamais, ou presque, les sanctionner. Dans le même temps, une partie des fidèles et du clergé ont intégré les exigences de transparence, d’individualisme, de démocratie, de concertation des sociétés modernes et leur fonctionnement en réseaux.
Faute d’avoir pris en compte ces nouvelles réalités, des décisions prises à Rome sont contestées en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Japon. Des croyants s’évertuent à demeurer « catholiques » alors que le « catholicisme romain » vertical et tout-puissant ne leur convient plus. Des prêtres, même, se font officiellement « désobéissants ». A l’heure du bilan, « l’Eglise universelle », léguée par Benoît XVI à son successeur, pourrait bien se révéler plus fragilisée et fragmentée que profondément « purifiée » et renouvelée.
Stéphanie Le Bars, service Société du Monde