Le 22 juin, le Sénat paraguayen a destitué le président de centre-gauche Fernando Lugo à la suite d’une procédure de « jugement politique en destitution » : une manœuvre parlementaire certes prévue par la Constitution, mais dont le déroulement express (en moins de 24h !) a été largement dénoncé par les organisations sociales paraguayennes, ainsi que par plusieurs gouvernements des pays voisins. Evo Morales (Bolivie) a conspué ce qu’il considère comme un « coup d’Etat parlementaire ».
Lugo, surnommé « l’évêque des pauvres », qui avait été élu en 2008 avec l’appui des classes populaires face aux candidats de l’oligarchie, a pris acte de cette destitution, tout en dénonçant un acte illégitime qui « meurtrit le Paraguay et sa démocratie ». La droite a ainsi cherché -et réussi- à instrumentaliser un affrontement sanglant dans le nord-est du pays, qui a fait récemment 17 morts (11 paysans et 6 policiers), drame dont plusieurs sources semblent confirmer qu’il pourrait s’agir du fruit d’une provocation policière.
A trois ans du coup d’Etat au Honduras, les classes dominantes cherchent là encore à garder l’initiative et surtout stopper les luttes sociales et paysannes : la clef dans ce pays reste la domination de la terre, alors que 80% des propriétés foncières appartiennent à 2% de la population, ainsi qu’à de puissantes transnationales de l’agrobusiness comme Cargill ou Monsanto. Le peuple paraguayen subit ainsi les conséquences écologiques, politiques et sociales désastreuses d’une économie d’enclave : les exportations de soja (souvent transgénique) représentent 40% des exportations nationales pour un chiffre de plus de 2 milliards de dollars annuels.
Le gouvernement Lugo avait été, dés le début de son mandant, marqué par la faiblesse et de nombreuses difficultés. Sa victoire électorale a sans aucun doute marqué un tournant politique et représenté une large aspiration à la transformation démocratique et sociale, en mettant fin à soixante ans d’hégémonie du Parti Colorado, pilier corrompu et réactionnaire de la dictature du général Stroessner (1954-1989).
Cependant, sans parti politique puissant pour l’épauler, sans base sociale organisée et largement minoritaire au parlement, Lugo avait choisit de négocier avec les élites libérales et des transfuges de la droite pour gouverner. Aujourd’hui, suite à cette destitution, c’est précisément son ex-vice-président Federico Franco, membre du Parti libéral radical authentique (formation conservatrice), qui assume l’exécutif pour le plus grand bonheur de l’oligarchie traditionnelle et du capital transnational.
Au final, Lugo aura opté davantage pour le jeu institutionnel et les négociations parlementaires, renonçant peu à peu à un programme de réformes ambitieux, plutôt que de s’appuyer sur un mouvement social, certes encore très affaibli et fragmenté, mais doté d’un immense potentiel d’organisation par en bas. Il s’agit là d’une leçon majeure pour les gouvernements progressistes de la région, alors qu’en Bolivie les tensions s’accumulent, avec -tout dernièrement- des mutineries policières que certains militants de gauche craignaient de voir tourner au coup d’Etat.
Tout en condamnant fermement le coup d’État « légal », ainsi que toute répression des luttes sociales, il est urgent de se mobiliser de manière unitaire pour dénoncer la situation au Paraguay et et l’existence d’un gouvernement de facto [1]. Nous appelons également à soutenir les mobilisations paysannes en cours en faveur d’une réforme agraire radicale, seule voie possible pour commencer à démocratiser réellement la société paraguayenne.
Franck Gaudichaud