C’est dans l’épreuve que l’on reconnaît ses vrais amis, dit l’adage. En la matière,Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, n’a pas démérité. Depuis le début du soulèvement en Syrie, en mars 2011, il a multiplié les gages de soutien à Bachar Al-Assad. Et loin d’afficher une position plus réservée que les récents coups portés au pouvoir syrien par la rébellion auraient pu lui suggérer, Hassan Nasrallah a rendu un nouvel hommage appuyé, mercredi 18 juillet, à la Syrie des Assad.
Le leader chiite a estimé que les trois hauts responsables syriens, dont le beau-frère du président, tués mercredi dans l’attentat contre un bâtiment de la sécurité nationale à Damas, « incarnent la Syrie qui a soutenu la résistance ». De quoi fâcher parmi les activistes syriens, pour qui ces hommes représentent surtout la répression.
« PARTENAIRE MILITAIRE »
M. Nasrallah a aussi souligné le rôle majeur de la Syrie auprès des mouvements arabes de lutte contre Israël. Pour le Hezbollah, la Syrie est un « véritable partenaire militaire ». C’est elle qui a « offert » les « armes les plus importantes » utilisées par le parti chiite armé lors de la guerre de 2006 avec l’Etat hébreu.
Par de tels propos, Hassan Nasrallah relève, à son corps défendant, la vulnérabilité de son parti aujourd’hui. Le Hezbollah redoute l’effondrement de ce régime qui est « plus qu’un pont » ayant permis le transit de l’arsenal militaire iranien par son territoire. La perte d’un tel allié fragiliserait le parti chiite en cas de conflit avec Israël, en coupant les voies de réarmement. Le chef du parti de Dieu se veut pourtant confiant : il a promis aux Israéliens de nouvelles « surprises » en cas d’attaque contre le Liban.
Hassan Nasrallah rappelle aussi que la stratégie militaire prime sur tout autre aspect pour le parti, dans ses prises de position par rapport à la Syrie. Plus question de défendre les « opprimés », comme il l’a toujours fait dans ses chartes politiques ou en se rangeant aux côtés des Egyptiens, Libyens, Bahreïnis, Yéménites, depuis le début du « printemps arabe ». Conserver ses armes, maintenir« l’axe de la résistance » - Iran, Syrie, Hezbollah - contre Israël sont les priorités du Hezbollah.
Le prix payé pour son refus de condamner la répression du régime en Syrie, préférant appeler à la fin des « violences » commises par chaque camp, est pourtant lourd : sa popularité est entamée dans le monde arabe. Et Hassan Nasrallah, qui jouissait auparavant en Syrie d’une véritable aura pour sa lutte contre Israël, est dépeint par les activistes syriens, sur les réseaux sociaux, comme un petit homme bedonnant.
PRÉPARER LE FUTUR
Son appui jusqu’au-boutiste, sa perception de la révolte syrienne comme un « complot américano-israélien », sont-ils la marque d’un aveuglement qui placerait le Hezbollah dans le camp des perdants en cas de chute du régime des Assad ? « Soit Hassan Nasrallah est dans un déni de réalité, soit il n’a pas encore reçu d’ordres de Téhéran pour prendre ses distances. Il voit la fin des Assad comme un échec personnel », juge Hilal Khasan, directeur du département d’études politiques à l’Université américaine de Beyrouth.
« La Syrie n’est pas un allié parmi d’autres, mais un allié de premier ordre pour le Hezbollah, il ne va pas modérer son appui parce que le régime est en difficulté, estime pour sa part Talal Atrissi, politologue rattaché à l’Université libanaise. Le parti est sur la même ligne que la Russie et l’Iran, qui refusent qu’un régime pro-américain s’installe à Damas. On est dans un scénario d’affrontement avec l’autre axe régional, saoudo-qatari-turc. »
S’il n’en laisse rien paraître, impossible de penser qu’Hassan Nasrallah ne prépare pas le futur. « Comme les autres acteurs libanais, le Hezbollah sait qu’une page va se tourner en Syrie, mais personne ne sait quand », rapporte un diplomate européen en poste à Beyrouth. Peu sensible sur la scène régionale, cette prise de conscience se reflète clairement au Liban. Depuis des mois, divers observateurs étrangers notent que le Hezbollah joue profil bas.
S’inquiétant du « chaos » qui pourrait gagner le pays « comme en Irak ou en Syrie », M. Nasrallah a appelé mercredi à un « pacte d’honneur » entre les communautés libanaises, alors que les tensions confessionnelles et politiques sont exacerbées par la crise syrienne.
Celle-ci a ouvert une autre boîte de Pandore : le parti est de plus en plus contesté par ses opposants au Liban, galvanisés par la révolte en Syrie. A Saïda, un cheikh radical défie depuis début juillet le Hezbollah. Réclamant que la formation dépose ses armes, Cheikh Ahmad Al-Assir bloque l’un des principaux axes de la ville, porte d’entrée vers le sud, fief du Hezbollah. Ce trublion sunnite, qui dit agirau nom des « humiliations » subies, jure qu’il ne lèvera pas son sit-in tant qu’il n’aura pas obtenu gain de cause. Le parti n’a pas réagi.
Affaibli par les développements en Syrie, le Hezbollah garde cependant plusieurs atouts en main. Il continue de jouir d’un soutien massif au sein de la communauté chiite libanaise. Il a maintenu son arsenal militaire. Et reste, sur l’échiquier politique national, l’un des acteurs les plus puissants.
Laure Stephan