Comme elle est amplement diffusée, la propagande est l’âme des affaires. Si on laisse de côté l’hypothèse selon laquelle cette affirmation constitue elle-même une pure propagande, il ne nous reste pas de doute que, si celle-ci vient à être répétée sans cesse, son effet est assez efficace. Et cela même si cette propagande se résume à de grossiers mensonges, selon ce qu’affirmait le ministre de la propagande de Hitler, Joseph Goebbels.
J’ai constamment défendu l’idée selon laquelle la popularité de Lula, l’ex-ouvrier et ex-président [1], n’aurait pu se consolider sans le très fort appui dont il a bénéficié de la part des médias dominants [2]. Médias non seulement nationaux, mais internationaux. C’est une réalité que les « lulistes » tentent de déformer, en prenant la question sous l’angle d’une supposée conspiration permanente qui aurait été menée par les médias contre Lula au cours de ses deux mandats.
Il n’y a pas de doute que la grande entreprise possède ses canaux d’information – le cas le plus notoire étant celui de la revue hebdomadaire Veja – qui abusent d’un certain sensationnalisme du scandale qui frise le ridicule. Pourtant, en règle générale, ce que nous avons de manière la plus ample, c’est un appui médiatique général et inconditionnel aux initiatives que Lula a prolongées dans le sillage de celles Fernando Henrique Cardoso ou à celles qu’il a entreprises, lui-même, sous ses deux mandats.
L’exemple le plus frappant de cet enthousiasme à l’égard de l’orientation économique adoptée par Lula et des effets du modèle économique en cours est cette prétendue vertu que celui-ci aurait eue de produire une nouvelle « classe moyenne », avec des millions de Brésiliens montant dans la pyramide sociale.
Depuis juillet 1994, date où fut lancé le Plan Real – un plan de stabilisation monétaire combiné avec la création d’une nouvelle monnaie nationale, attachée au dollar –, nous avons observé, de fait, une certaine amélioration de la distribution des revenus parmi les salarié·e·s et tous ceux et toutes celles qui vivent des revenus du travail.
Les raisons de ce fait, prouvé par l’évolution du coefficient de Gini (mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée) et calculé sur la base de données recueillies par des sondages à domicile menés à l’échelle nationale par l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGS), reposent sur certains facteurs facilement constatables. La réduction même des indices mensuels d’inflation, les réajustements du salaire minimum qui depuis 1994 se font toujours avec des indices de correction au-dessus de l’inflation, les effets de cette politique de valorisation réelle du salaire minimum sur les niveaux d’allocation des retraites ainsi que l’adoption et l’élargissement des programmes de transfert vers les plus pauvres [3], tout cela a produit cet effet consistant à diminuer la distance entre les plus pauvres et les segments à revenus plus élevés, à l’intérieur du monde de ceux qui vivent de leur travail.
Cependant, ces résultats ne doivent pas être utilisés en tant que tels à des fins d’analyse du cadre plus général de la distribution de la richesse produite dans le pays. Cela est dû au fait que les résultats de ces enquêtes n’ont pas mis en lumière les revenus dits typiques des capitalistes, à savoir les intérêts, les dividendes, les profits et les revenus immobiliers. Ces enquêtes, par sondages à domicile, recueillent avec une certaine précision les données en relation aux revenus propres des travailleurs, tels que les salaires, les paies des journaliers, les revenus des indépendants et des travailleurs informels. Ainsi, ce que nous pouvons affirmer, c’est que les revenus des travailleurs et travailleuses les moins qualifiés sont devenus moins éloignés de ceux des travailleurs et travailleuses mieux rémunérés. En effet, les salaires de ces derniers n’ont pas bénéficié des mêmes effets que ceux des personnes se trouvant à la base de la pyramide sociale.
Cela est sans doute un aspect positif, mais est très insuffisant pour pouvoir affirmer qu’il y a eu une amélioration substantielle dans la distribution générale de la richesse dans le pays. L’aspect qu’il est le plus important de souligner est que nous continuons à avoir et à cohabiter avec une structure fiscale extrêmement régressive, où, proportionnellement à ce qu’ils gagnent, les pauvres sont plus pénalisés que les riches et où, en même temps, les dépenses du gouvernement privilégient les versements sous forme d’intérêts [le haut niveau de rendement des obligations propres à la dette interne] qui bénéficient aux plus riches.
En termes de salaires, le fait est que presque 70% des salarié·e·s se situent dans la fourchette allant jusqu’à deux salaires minimums (1222 reais, soit 586 CHF), alors que le salaire minimum calculé par le Dieese [4] – qui se base sur le critère d’un revenu minimum devant permettre à une famille de deux adultes et deux enfants de vivre – devrait être, maintenant en mai 2012, de 2383 reais [1146 CHF]. Grosso modo, en termes de revenu per capita, le minimum nécessaire à l’entretien d’un membre de cette famille serait donc d’environ 600 reais [288 CHF].
Comment alors expliquer la mise en relief extraordinaire des prétendus effets distributifs du revenu qui seraient en train de se produire actuellement au Brésil et qui sont abondamment chantés par les médias, considérés par beaucoup comme « golpistes » ? Et comment, en particulier, l’avènement d’une dite nouvelle classe moyenne peut-il être expliqué ?
Le Secrétariat des Affaires stratégiques (SAE) de la Présidence de la République, dirigé par Moreira Franco, nous donne une piste. A la fin du mois de mai 2012, une étude a été publiée qui établit de nouveaux critères pour l’identification de ladite classe moyenne brésilienne. Selon cette étude, la « nouvelle » classe moyenne serait composée par des familles ayant un revenu per capita allant de 291 à 1019 reais [soit de 140 à 490 CHF], selon les données de la statistique des revenus portant sur l’année 2009.
C’est cela même. Et si le lecteur est effrayé par ces chiffres, je lui suggère une consultation de la page internet du SAE lui-même. Là, il lui sera possible d’observer qu’il y a eu un travail détaillé, qui non seulement classifie ce qui vient d’être décrit comme classe moyenne, mais également présente différentes tranches de revenus permettant de classer tous les types de revenus à travers le pays. Les pauvres, ou, selon la terminologie du SAE, la « classe basse », se divisent en « extrêmement pauvres », avec ceux ayant un revenu familial per capita allant jusqu’à 81 reais [soit 39 CHF], puis en « pauvres », avec ceux qui ont un revenu allant de 82 à 162 reais [soit de 40 à 78 CHF] ; et en « vulnérables », avec ceux qui ont un revenu per capita allant de 163 reais à 291 reais [soit de 79 à 140 CHF].
Quant à elle, la « nouvelle classe moyenne » se divise maintenant aussi en trois tranches : entre 292 reais [soit 141 CHF] et 441 reais [soit 212 CHF], on rencontre les composantes de la « classe moyenne basse » ; la « classe moyenne moyenne » possède, elle, un revenu familial per capita entre 442 reais [213 CHF] et 641 reais [308 CHF] ; et la « classe moyenne élevée » se situe entre les valeurs de 642 reais [309 CHF]et 1019 reais [490 CHF].
Pour compléter cette étude bizarre, des tranches de revenu de la « classe élevée » ont également été établies : de 1020 reais [491 CHF] à 2481 reais [1193 CHF], nous avons la « classe élevée basse » et tous ceux qui ont des revenus familiaux per capita au-dessus de 2482 reais [1194 CHF] appartiennent à la « classe élevée haute ».
Utilisant ces chiffres comme base, le gouvernement de Dilma Rousseff maintient son « information » selon laquelle, selon les critères adoptés, la classe moyenne brésilienne a crû de 10 points de pourcentage entre 2001 et 2009, passant de 38% à 48% de la population. L’estimation du SAE, sur la base de projections effectuées par la Recherche nationale par sondages à domicile présentées plus haut, est que la classe moyenne représenterait 54% des Brésiliens à la fin de 2012.
Je suggère qu’à partir de ces informations le lecteur fasse son choix : la propagande est-elle l’âme des affaires ou le mensonge répété jusqu’à plus soif devient-il une vérité ?
Paulo Passarinho