Comment était organisée la lutte armée en Tunisie à partir des années 50 ? Existait-il réellement une Armée Nationale de la Libération ?
On ne peut pas parler d’Armée Nationale de Libération. C’était presque les mêmes catégories sociales qui ont formé le mouvement fellagha dont faisaient partie de petits paysans pauvres, sans terres ou des marginaux des villes et des campagnes ou d’ouvriers qui représentaient un pourcentage infime. Car la plupart des fellaghas étaient des gens ruraux, déclassés, pauvres, des bergers. Ajoutons à ces catégories certains éléments de l’armée beylicale qu’ils ont désertée, dont le nombre ne dépasse pas quelques dizaines et qui ont rejoint la Résistance vers la fin et aussi, comme je l’ai dit plus haut, quelques éléments pauvres des villes notamment du Cap Bon, du Sahel etc., qui constituaient cependant une bonne minorité. Sinon la majorité était constituée de paysans appauvris, dénués de terres et de gens des tribus etc, qui ont regagné les djebels. Il serait donc, à mon sens, pompeux de parler d’armée, même si les fellaghas ont essayé vers la fin de la Résistance, à partir de 1954, de mettre en place une sorte d’état-major après leur réunion du Djebel Samama du côté de Kasserine à laquelle étaient présents les principaux chefs du mouvement, à leur tête Lazhar Chraïti. Cette réunion a duré seulement quelques heures. Les participants y ont choisi comme chef de la résistance armée Lazhar Chraïti et comme adjoint Sassi Lassoued. Quant à Tahar Lassoued, il n’était pas présent à cette rencontre car il se trouvait à Rouhia dans les environs de Siliana. Toutefois il a été également choisi comme l’un des principaux chefs du mouvement. Mais le choix de l’appellation “ Armée Nationale de la Libération ” s’expliquait par des raisons politiques et de propagande. L’idée était venue surtout des politiciens du Néo-Destour qui cherchaient à faire appuyer leurs revendications face à la France. Mais, il est vrai qu’à un certain moment, les résistants ont essayé de s’organiser pour se donner l’air d’être une armée, en enfilant un uniforme. Or, une armée est bâtie sur une hiérarchie, sur des ordres, sur une logistique, sur un arsenal etc., qu’ils n’avaient pas. C’étaient plutôt des « bandes » qui combattaient chacune dans son fief, dans sa montagne, librement. Mais, parfois, il y avait une certaine coordination. Toutefois, pour la deuxième étape que les « néo-fellaghas » appelaient « la deuxième révolution », qui a commencé fin 1955 jusqu’à l’été 1956, ces derniers se sont organisés presque en armée parce qu’au niveau de l’armement, de l’entraînement, ils étaient formés, selon les témoignages de l’armée française, en Libye et en Egypte avec l’aide de Nasser, et en concordance avec des résistants algériens. Ils s’appelaient alors « Armée de libération nationale tunisienne », avec, de l’autre côté, l’Armée de libération nationale algérienne et l’Armée de libération nationale marocaine.
Ce qu’on appelait les “ néo-fellaghas ” étaient dissidents par rapport à Bourguiba et avaient rejoint la dissidence yousséfiste ?
Oui, ils étaient opposés à Bourguiba et plutôt partisans de Salah Ben Youssef. Mais ils n’avaient pas choisi Ben Youssef. C’était en réalité Salah Ben Youssef qui avait choisi ces résistants qui exprimaient tout un mécontentement contre les accords de l’autonomie interne, contre la présence française et aussi une appréhension vis-à-vis du projet de société et d’Etat à construire. Leur chef politique était donc Salah Ben Youssef et leur chef « militaire » Tahar Lassoued.
Comment expliquer le fait que nous avons tendance à garder l’appellation “fellaghas ” alors que le terme signifie, dans le langage des colonialistes français, “coupeurs de routes ”, “ bandits”, “ hors-la-loi ” et est, de ce fait, plutôt péjoratif alors que les “fellaghas ” préfèrent substituer à cette appellation celles de “résistants ” ou de moudjahidins ?
Le mot est pris de l’arabe et est loin d’être une appellation coloniale. Il est puisé dans la langue parlée tunisienne et vient de la langue littéraire arabe, de falaqa, yafluqu , c’est-à-dire “ se révolter contre la loi pour des raisons de répression, d’humiliation et d’injustice ”. Lorsque les combattants se sont appelés “fellaghas ”, ce n’était pas pour se mépriser eux-mêmes. C’était pour signifier leur refus d’un régime colonial fondé sur l’humiliation individuelle et nationale. Donc, le mot “fellaghas ” était répandu à l’époque non seulement chez les résistants mais également chez ceux qui ont chanté l’épopée de la Résistance, même si dans la bouche des colonialistes, il signifiait : “ bandits ”, “criminels ”, “ voleurs ”. Plus tard, la presse néodestourienne a exploité le terme pour dénigrer les “fellaghas ” et diminuer leur rôle dans la lutte de libération nationale. Le mot est à sa place.
Quels étaient les initiateurs de ces groupes armés ? Etait-ce Ahmed Tlili ? Farhat Hached ? Bourguiba ?
Il est difficile de dire que ce sont les syndicalistes ou les politiques qui étaient derrière les résistants armés. En travaillant sur cette question, je me suis rendu compte que la lutte armée n’était pas dans la logique ni dans la conception des politiques et des syndicalistes, pour qui la lutte anticoloniale était politique avant tout. Mais cela n’a pas empêché Bourguiba ou d’autres au Caire qui étaient autour de Habib Thameur de penser à la résistance armée. Toutefois, quand cette dernière s’est déclenchée en Tunisie en janvier 1952, elle a été la continuation de certaines révoltes antérieures qui étaient le fait de gens de la campagne. Aussi n’était-il pas nouveau de résister au colonialisme. En 1952, il n’y avait aucun mot d’ordre donné par la direction du Néo-Destour pour que la révolte s’organise. Ceci n’exclut pas les contacts pris par la direction du Néo-Destour avec les principaux chefs fellaghas. Bourguiba, en déplacement à El Hamma, a pris contact avec Tahar Lassoued qui était militant au Destour et par la suite au Néo-Destour pour fomenter certaines opérations, et aussi avec Lazhar Chraïti durant la même période. Mais la tactique de Bourguiba et du parti n’était pas de déclencher une résistance armée militaire mais d’organiser certaines opérations contre des poteaux électriques, des voies ferrées, des ponts etc., pour amener la France à composer. Mais après, comme par un effet de boule de neige, la Résistance était devenue indispensable parce que, selon les correspondances et les témoignages des chefs fellaghas, la France ne pouvait comprendre que le langage de la force. A la suite de cette vague de répression qu’ont subie différents nationalistes, chefs et militants, en janvier 1952, la Résistance s’est activée avant d’être récupérée par le Néo-Destour pour lequel elle devait constituer un appui à sa politique revendicative. Mais, en fin de compte, la Résistance n’a jamais été l’affaire des politiques, toutes tendances confondues.
Pourtant, on évoque souvent le rôle d’Ahmed Tlili dans la constitution de groupes, du moins de la région de Gafsa.
Oui, Tlili était le chef du Néo-Destour dans la région de Gafsa. Il a pris contact certes avec des résistants. Mais, il a été arrêté au mois de février 1952 et la Résistance a commencé en janvier 1952 et s’est développée après février de la même année. Ce qui limite son rôle.
Nous parlons justement de son rôle dans la mise en place de ces groupes.
Non, il n’y pas eu de mise en place des groupes. Lazhar Chraïti a été combattant depuis la guerre de Palestine. Il est vrai que Ahmed Tlili a contacté ces combattants pour que soit menée la lutte armée. Mais il n’y avait pas de plan préétabli pour la résistance armée.
Une fois que les fellaghas se sont constitués à travers le pays, quels étaient alors leurs rapports avec le Néo-Destour ? Recevaient-ils des ordres du parti pour mener leurs opérations ?
Les fellaghas ne recevaient pas d’ordres du Néo-Destour. Ils étaient, sans l’être tous, en contact avec certains dirigeants locaux du Parti. Selon les témoignages dont nous disposons, certains chefs néo-destouriens n’ont jamais accordé d’importance aux fellaghas. Au contraire, on a même essayé d’éluder la question de la lutte armée et de donner, au Néo-Destour, une image d’un parti respectable, légaliste, qui n’utilise pas la violence etc. Cela n’empêche pas le fait qu’il y ait eu des contacts directs entre certains chefs du Néo-Destour et des groupes de fellaghas, comme ce fut le cas de Taïeb Mhiri, de Mokhtar Attia, de Mongi Slim qui leur remettaient parfois des subventions. Mais les fellaghas demeuraient, dans l’ensemble, l’affaire du peuple, de gens modestes qui se sont chargés de l’acheminement des armes, de toute la logistique, etc. La majorité n’était pas membre du Néo-Destour. Les fellaghas étaient tout simplement nationalistes, opposés à la France parce qu’elle réprimait leur pays dont ils revendiquaient la libération, tout comme celle, d’ailleurs, de leur religion, comme ils le disaient.
Pourtant, la lutte armée a démarré à la suite des événements du 18 janvier 1952, qui a vu la répression des nationalistes.
Oui, il est vrai que la Résistance a commencé après cette date, mais le rapport n’est pas direct au point qu’on puisse parler d’ordres transmis par le Néo-Destour aux résistants. L’ambiance politique de cette période en a été le vrai détonateur. Savez-vous que, pendant le premier trimestre de 1952, la répression était totale dans les villes et que la Résistance s’est déplacée des villes vers les campagnes ? Pour la simple raison que la campagne n’était pas un espace aussi contrôlable que la ville. On pouvait y circuler et contrer la répression coloniale, d’autant plus que dans les villes il y avait le couvre-feu, la loi martiale, les perquisitions, le ratissage un peu partout, dans la région de Bizerte, au Sahel… et pas seulement au Cap-Bon. Les gens étaient alors acculés à résister de cette manière-là. Le processus des évènements a fait que la Résistance s’est déplacée sans que cela n’ait été d’ailleurs programmé. Par la suite, le Néo-Destour a récupéré la résistance armée et les fellaghas ont accepté cet état de fait parce que la bataille politique et la lutte armée avaient les mêmes objectifs.
Quel était le nombre de fellaghas ?
Les chiffres dont nous disposons sont toujours approximatifs pour la simple raison que le nombre des combattants qui ont remis leurs armes en décembre 1954 était autour de 2 713. Et en ajoutant le nombre des martyrs, qui s’est élevé à 300 ou 400, on pourrait atteindre le chiffre de 3 000. Mais les fellaghas de la « première révolution » (1952-1954) avançaient des chiffres inférieurs à ceux-là. Le 2e Bureau et l’armée française de même. Après le 31 juillet 1954, et donc la venue de Mendès- France, beaucoup ont regagné la montagne pour se faire oublier ou oublier la « lâcheté », voire la trahison de la famille, du arch ou d’eux-mêmes carrément, envers la patrie. C’était un bon nombre.
Est-ce que le mouvement fellagha s’est arrêté après le dépôt des armes ?
Oui, il s’est arrêté un moment : de décembre 1954 jusqu’à la fin 1955, année du conflit opposant Bourguibistes et Yousséfistes. Les Yousséfistes ont essayé sans réussir de faire réviser l’accord sur l’autonomie interne mais ils ont été empêchés de s’exprimer démocratiquement par les Bourguibistes, si bien qu’ils ont opté pour la lutte armée à partir de la fin de 1955, en coordination avec le Secrétariat Général de Salah Ben Youssef et les résistants dont le chef était Tahar Lassoued. Ce dernier n’a jamais accepté de déposer les armes avec soixante-dix de ses compagnons, et a repris la Résistance dans le cadre de ce qu’ils ont appelé « la deuxième révolution » qui a duré jusqu’à l’été 1956. Ce que les colonialistes appelaient « les Néo-fellaghas », ou ce que les résistants appelaient eux-mêmes « la deuxième révolution », étaient en rapport avec les Algériens qui étaient en pleine résistance, déclenchée depuis le 1er novembre 1954. Les bandes qui manoeuvraient en Tunisie sur toute la frontière tuniso-algérienne, dans le Sud tunisien et dans la région de Kasserine, le faisaient dans le cadre de l’« Armée nationale tunisienne » et en collaboration avec le FLN et l’Armée de libération nationale algérienne. Leur nombre, selon des estimations de l’armée française, était de 600 à 700 combattants bien armés et bien entraînés. Je pense que le chiffre dépasse dans la réalité ces estimations si on compte les autres résistants de Souk el Arba et jusqu’aux régions de Gafsa. Ils ont mené de vraies batailles et l’armée française est intervenue, surtout durant le mois de mars 1956, si bien que lorsque les Tunisiens fêtaient l’Indépendance, le nombre de morts avait considérablement augmenté, voire doublé par rapport à la première période, c’est-à-dire 1952-1954. On comptait plus de 600 victimes sur une population de résistants de 1 700 à 2 000 à partir du Sud tunisien, sur toute la frontière tuniso-algérienne et parfois sur la bande mixte. A Matmata, Bni Khdech, Chenini, Medenine, le nombre de victimes, au mois de mars 1956, était considérable. A Tataouine, le 29 mai 1956, soixante-treize Tunisiens sont tués. A Matmata, de janvier à mars 1956, il y a eu 250 morts et blessés. Certains étaient restés dans la montagne en proie aux charognards, sans être ensevelis. Donc, le nombre de morts tombés durant cette période était autour de 600 et plus. Ces hommes n’ont pas été reconnus comme des martyrs, ni par la nation, ni par les autres. D’ailleurs dans le registre des martyrs publiés en 1978 par le Parti Socialiste Destourien, aucun de ces noms ne figure.
Charles André Julien écrit que les fellaghas trouvaient en Tripolitaine (Lybie) bases et ravitaillement.
Oui, c’est tout à fait vrai pour les « néo-fellaghas ». Parce que Tripoli était une base non seulement pour les résistants tunisiens mais aussi pour les résistants algériens. C’était en quelque sorte un chemin obligé pour le transport des armes, qui venaient essentiellement d’Egypte. Des bases ont été mises, par le gouvernement de Tripoli, au service des résistants tunisiens et algériens qui s’entraînaient en Libye. D’ailleurs, les rapports du général De Guillebon, commandant supérieur des troupes de Tunisie mentionnent que c’étaient de vrais militaires bien armés et bien entraînés.
Le jeune Etat craignait-il ces combattants dont certains demandaient, dit-on, trop de faveurs ?
Le mouvement de la Résistance est passé par différents moments : les fellaghas ont été d’abord choyés et reconnus comme de vrais résistants. Ensuite, après les accords de juin 1955, on a commencé à vouloir se débarrasser des fellaghas, qui étaient considérés comme une charge.
Certains d’entre eux avaient, en effet, rejoint Tunis depuis le retour de Bourguiba, à sa demande et demandé, une « part du gâteau » en cherchant à être intégrés dans l’armée, dans la police ou dans la Garde nationale ou à obtenir des permis de conduire, des autorisations pour des projets, des terres et des fermes.
Le pouvoir a satisfait ceux qui lui étaient proches, c’est-à-dire les principaux chefs, surtout ceux du Sahel comme El Ouerdani ou Lazhar Chraïti etc. Cet état de fait a donné lieu à un mécontentement des combattants qui ont commencé à harceler les autorités pour avoir un travail, surtout que la plupart vivaient dans une grande misère. Il faut rappeler qu’à cette époque, la situation était grave en Tunisie pour tout le monde : chômage, famines etc.
Les fellaghas devenaient de plus en plus mécontents et contestaient ce qu’ils appelaient « les avocats », c’est-à-dire les notabilités du Parti qui avaient, selon eux, confisqué leur lutte. Aussi ont-ils commencé à réclamer leurs droits. Lazhar Chraïti et Sassi Lassoued ont dirigé des manifestations où il y avait des centaines de résistants, en prenant en otage le ministre de l’Intérieur à la Kasbah. Les fellaghas étaient immatriculés après avoir déposé leurs armes, et donc épiés et poursuivis par l’armée française. Ils étaient constamment sous surveillance et ne pouvaient se déplacer comme ils le désiraient. Ces gens se sont sentis spoliés de leurs droits. D’autant que pour eux, la situation n’a pas changé surtout dans le Sud tunisien et dans tout le pays où l’armée, la gendarmerie et l’administration française étaient toujours là. C’est bien beau qu’un nouveau gouvernement qui est homogène se soit constitué à Tunis mais, pour eux, la situation était la même. C’est ce qui explique qu’ils ont rejoint le « secrétariat général » de Ben Youssef.
Les plus disciplinés ont été intégrés dans l’armée ou la Garde nationale.
Oui, mais il s’agit d’une minorité, qui a été intégrée plutôt dans la Garde nationale. Et ce pour des raisons politiques. Bourguiba a toujours été méfiant d’une part vis-à-vis de ce qui est armée depuis qu’il était en Orient, et d’autre part des résistants algériens qui ne l’aimaient pas et réciproquement, surtout qu’un bon nombre d’entre eux avaient comploté contre lui parce qu’ils le considéraient comme un “traître” par rapport à la cause du Maghreb et à la libération de l’Algérie.
Ils avaient, à travers leur propagande, diffusé l’idée que Bourguiba a lâché la révolution algérienne. Propagande qui a été relayée par les Youssefistes et par l’Egypte de Nasser.
D’autre part, la majorité des fellaghas étaient analphabètes et donc ne pouvaient être dans l’armée, ni dans la Garde nationale, sauf une minorité. D’ailleurs le chef de la Garde nationale était, à l’époque, un ancien fellagha : Mahjoub Ben Ali.
Qu’est-ce qui explique le retournement de Bourguiba contre les fellaghas ?
Bourguiba n’a jamais respecté ces résistants pour lesquels il avait un grand mépris. Et ce dédain s’est affiché, par la suite, d’une façon flagrante puisqu’il les a traités d’« ignares », de « bergers », de prétentieux qui veulent prendre le pouvoir.
D’autre part, Bourguiba était très méfiant à leur égard parce que c’étaient des combattants comme lui. Lui était au niveau politique et eux étaient à un niveau plus dangereux, car ils mettaient leur vie en danger. La grande masse des résistants a été spoliée dans ses droits et écartée par l’Etat bourguibien. L’autoritarisme de Bourguiba n’a pas commencé avec le complot avorté de 1962 mais bien auparavant.
Comment appréciez-vous, en tant qu’historien, la participation des fellaghas à la lutte de libération nationale, surtout quand on sait qu’ils ont été au centre des négociations pour l’autonomie interne et l’indépendance ?
Bourguiba parlait d’« un coup de pouce » des fellaghas alors que Alain Savary, ministre français qui était impliqué dans les différentes négociations avec la Tunisie et le Maroc, a déclaré devant l’Assemblée nationale française que si l’Indépendance a été accordée à ces deux pays, c’était sous la pression des résistances armées. Qu’est-ce qui a amené la France à faire marche arrière en moins de dix mois entre juin 1955 et mars 1956 et de passer de l’autonomie interne à l’indépendance si ce n’était la résistance armée ? Rappelons qu’avant l’arrivée de Mendès-France à Tunis, le 31 juillet 1954, c’était l’enfer pour les colons français qui ont déserté leurs terres, qui ne pouvaient plus faire leurs moissons sauf sous la protection de leur armée. Chaque ferme était sous le contrôle d’un détachement militaire. Les policiers français et tunisiens n’osaient plus circuler librement parce que les fellaghas leur faisaient la chasse ainsi qu’à leurs collaborateurs. Le gouvernement français ne réussissait même plus à trouver des collaborateurs pour désigner ses ministres et former son gouvernement. Et cela, c’était sous la pression des fellaghas et des groupes « terroristes » en ville. C’était aussi la résistance politique et militaire yousséfiste qui a poussé la France à accepter l’indépendance.
* Amira Aleya Sghaïer est historien en Tunisie. Il était à l’époque de l’interview maître de conférence et responsable de l’Unité d’Etude et de Recherches Historiques à l’Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement national (ISHMN).
Auteur de plusieurs études dans le domaine des “ groupements politiques européens et du Mouvement National en Tunisie ”, il consacrera la plupart de ses recherches à la lutte armée en Tunisie, publiées dans plusieurs revues dont Rawafid (de l’ISHMN), les Cahiers de Tunisie et la Revue d’Histoire Maghrébine (de l’Institut Temimi pour la Recherche), ainsi que dans trois ouvrages en arabe :
– “ La Résistance armée en Tunisie de 1881 à 1939 par les textes ” (en collaboration avec Adnan Mansar), Pub. de l’ISHMN, Tunis, 1997 ;
– “ La Résistance armée en Tunisie de 1939 à 1956 par les textes ” (en collaboration avec Adnan Mansar), Pub. de l’ISHMN, Tunis, 2004
– “ La résistance populaire en Tunisie dans les années cinquante ”, Sfax, Ira, 2004.