Les remarques qui suivent s’appuient sur les documents suivants adoptés par le Parti de gauche (PG) : La société que nous voulons, Congrès de fondation, décembre 2008 ; Statuts du Parti de Gauche (adoptés au Congrès du Mans des 19-21 novembre 2010) ; Texte d’orientation du même Congrès ; Résolution politique de juin 2012.
La lecture des documents du PG confirme absolument l’idée que, la plupart du temps (mais pas toujours) le PG se situe sur la gauche du FG. L’essentiel tient en ceci qu’il est fermement calé sur la volonté d’une vraie « rupture », ce qui le conduit à une compréhension de l’existence de « deux gauches » (et même souvent, dans ses discours, d’une seule…). Sa position de juin 2012 refusant de se considérer « dans la majorité de Ayrault » et encore plus les arguments qui la fondent sont sans équivoque aucune. C’est donc une plage d’accord assez profonde, de moyen terme, avec la GA. Il faut y ajouter ceci que comme appareil, celui du PG est relativement restreint (en particulier dans les exécutifs) et, par défaut pourrait-on dire, sont faibles les liens concrets avec le PS (ou l’État lui-même). Éléments dont on sait qu’ils peuvent avoir tendance… à troubler la perspective. Avec le PG le débat « de fond » a ainsi un intérêt certain.
Je dois aussi souligner un point très important, c’est la conversion écologique indéniable de ce courant (à PRS [1], c’était peu présent). Il y a là une base solide de débats et pas de frontières a priori.
Maintenant, et puisque le PG a proposé à la GA une « confrontation » avec volonté de parti commun, il faut débattre aussi au fond non seulement de ce qui nous rapproche, mais de ce qui nous sépare et qui demande discussion. J’en parle ci-dessous en mon seul nom personnel.
Un anticapitalisme limité. Si les fondements du capitalisme (recherche du profit) sont clairement identifiés par le PG, tout comme les mécanismes globaux de la mondialisation, on ne voit nulle part surgir clairement comme issue une option socialiste (comprenant au minimum la socialisation des grands moyens de production). L’option de base est le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), ou quelque chose de comparable et mis à jour. C’est donc la perspective d’un capitalisme tempéré, et maîtrisé par le respect de « l’intérêt général ». Avec comme je l’ai déjà relevé, un élément vraiment nouveau, l’extension aux préoccupations écologistes. À ce titre, les comparaisons avec l’Amérique Latine ne sont pas seulement exotiques, mais révèlent une volonté de similitude. Mais sont-elles réalistes, c’est une autre question. Peut-on vraiment imaginer sortir de la crise du capital (ou de « la régression » qu’il produit pour reprendre les termes du PG) par un tel « retour en arrière » ?
Poser la question, c’est presque y répondre. De l’eau a coulé sous les ponts. Et même pour imaginer un nouveau compromis plus favorable au plan social (comme l’était le modèle fordiste, productivisme mis à part), il y faudrait des bouleversements qui toucheraient plus que la sphère financière. Ainsi de la circulation des marchandises et des mécanismes libéraux imposés par l’OMC. En sortir est un objectif commun à tout le FG. Mais par quoi les remplacer ? On sait qu’existe un débat parfois serré, même parmi les antilibéraux, sur l’ampleur de mesures qu’il faudrait prendre pour protéger une économie plus socialisée. Le PG rejette, comme la GA, le repli sur les frontières nationales, sans que l’on ait une idée claire du système proposé par lui au final. Mais reconnaissons que cette impasse est largement partagée, y compris à la GA, et qu’il nous faut tous approfondir la question.
Cela dit, retour à la remarque ci-dessus : il y a un vrai problème. Même comme héritier d’une tradition social-démocrate « classique », une telle élimination de la question même du socialisme montre un trou étonnant dans la perspective (si on se réfère à Blum, voire au Mitterrand d’Épinay).
Une vision plutôt « verticale » du pouvoir. Toute la révolution citoyenne décrite par le PG aboutit à la mise en place d’un gouvernement PG (ou FG), but à la fois central et unique. Ceci se lie à deux questions. Dans le fonctionnement de ce pouvoir, le point de vue est « d’en haut ». Il n’y a ainsi que très peu (voire pas du tout) de préoccupations sur la nature possible d’un pouvoir populaire décentralisé, rien sur la combinaison des pouvoirs, soit par des chambres multiples, soit/et avec les pouvoirs « d’en bas » (subsidiarité). Il ne s’agit donc pas du fait, revendiqué à juste titre, de la nécessité de vérifier à chaque étape la volonté majoritaire. Ce qui dans un pays comme le nôtre, certainement, ne peut que prendre la forme du suffrage universel. Mais il y a un débat sur la nature même de l’État correspondant à ce pouvoir issu de la « révolution citoyenne ». Quelle part de l’ancienne structure sera conservée et quelle part révolutionnée ? Plus généralement peut-on négliger la question plus globale de la nature de classe de l’État ? On pressent la permanence d’un modèle jacobin dans les principes du PG. En même temps, l’appel à une Constituante pour en décider montre que la question peut être plus ouverte.
La question n’est pas non plus de reconnaître que, toujours dans un pays comme le nôtre (et plus généralement hors des cas de dictature ouverte), dans une visée radicale il y a une certitude de mélange des processus électoraux (voire, si possible, d’un gouvernement de rupture qui y verrait le jour) avec les mobilisations extraparlementaires. Mais il est clair que le choix du PG est entièrement axé sur le premier terme de l’alternative. Si bien que dans la conquête de ce pouvoir, le partage des tâches est complètement figé. En bas, une nécessité de formation, d’éducation populaire et, très partiellement, d’élaborations alternatives. Et encore sont-elles limitées pour l’essentiel aux sphères « expertes ». S’y ajoutent les luttes populaires, mais dont on saisit qu’elles ne peuvent jamais dépasser leurs conditions de départ en vue de poser directement la question du pouvoir. En haut, le parti « traduit » électoralement les besoins.
Une fois encore, le débat ne porte pas seulement sur le rôle des urnes, dans le sens d’une rupture qui serait à la fois « radicale » et pacifique, sans confrontation majeure extraparlementaire, question à discuter en tant que telle. Mais ici, plus spécialement, dans le rôle qui leur est donné comme élément dominant et seul test de la volonté populaire.
II ne s’agit pas seulement non plus de la priorité à donner ou non aux mobilisations et expérimentations extraparlementaires, mais bien aussi de leur fonction. Ne sont en particulier pas mis en exergue leur rôle dans l’invention et l’apprentissage d’autres formes de démocratie (et pour cause, puisque celle-ci est uniquement au final concentrée sur les processus parlementaires), et, évidemment, rien n’est dit sur l’auto-organisation.
Le « partage des tâches » de type social-démocrate s’appuie formellement sur la reconnaissance de l’autonomie de la sphère associative, syndicale en particulier. Mais c’est du « chacun chez soi ». Comme si les stratégies de cette sphère n’étaient pas une combinaison de données spécifiques (dont la nécessité de l’unité entre les gens en lutte et de respect de leurs décisions) mais aussi de fondements stratégiques (lesquels, par exemple, distinguent la CGT, la CFDT, Solidaires).
C’est alors des deux côtés que la question devient problématique. Elle l’est dans la limitation, postulée a priori, pour la visée stratégique globale d’un syndicat (par exemple). Et de l’autre dans l’exclusion, tout aussi de principe, du débat entre partis sur le terrain même des luttes. C’est logique : les partis peuvent s’en dispenser et les syndicats laissés « à leur place » puisqu’en définitive rien de substantiel concernant le pouvoir ne se joue sur ce terrain.
« La République »
Comme j’ai eu l’occasion de le dire maintes fois, le rejet que cette référence suscite dans les rangs issus du NPA est tout simplement suspect. A mes yeux, il ne fait guère de doute que nous sommes, d’une manière générale, en faveur de cette forme d’organisation sociale (« La République Universelle » des chants révolutionnaires ou encore le « R » de URSS). Il est c’est vrai assez énervant de voir, dans les rangs issus du NPA, ignorés à ce point les éléments constitutifs de la vie politique et sociale du pays que donne « La Grande Révolution », lesquels exercent fortement leurs effets encore aujourd’hui. On ne comprend rien aux combats de la Commune de Paris sans ces références ! Sous cette tournure, le rejet ne dit pas autre chose que la négation de principe de toute démocratie représentative. De plus, en s’en tenant à ce simple terme comme marqueur définitif, on en fait à la fois une divergence capitale en tant que telle (ce qu’elle n’est définitivement pas ; par exemple pas de traces de « chauvinisme » dans les textes votés par le PG) et on rate les points précis de divergences réels possibles, qui ne manquent pas.
Concernant le PG, le débat est en fait beaucoup plus circonscrit. Il tient en trois points.
– La croyance plus ou moins implicite en un « âge d’or » où une République telle que décrite (assurant réellement le triptyque « liberté, égalité, fraternité ») aurait effectivement existé en France. Même la référence classique à la Constitution de 1793 (jamais appliquée en fait) ne va pas. Ce fut effectivement « la plus démocratique » : pourtant elle était compatible avec…le maintien de l’esclavage, ne comprenait pas le droit d’association, ni le doit de vote pour les femmes, etc… Sans compter, évidemment, que « le droit de propriété » y était confirmé comme « Droit de l’Homme » ; avec c’est vrai de fortes limites liées à « l’intérêt général ».
Avec l’utilisation qui est faite des concepts liés de « peuple », de « République », de « Nation », on a parfois l’impression que c’est la révolution de 1848 qu’il s’agit de réaliser, elle-même se donnant pour objectif de parfaire celle de 1789. Donc, sur ce plan, on reste en deçà de Marx. Sans compter que la révolution d’Octobre 17 n’est même pas mise en discussion (et pourtant les retours critiques seraient évidemment indispensables, le trait marquant ici étant sa « disparition » dans les textes).
Si le passé exerce toujours une influence de nos jours, la République comme forme ne prend sens qu’avec un contenu. « République sociale » était le nom du groupe fondateur du PG quand il militait au PS. Les deux ensembles. Et si on doit prendre les termes séparément, c’est le contenu qui doit dominer. A défaut le risque est patent de se considérer héritiers en bloc de l’histoire « républicaine » française. Y compris de sa période coloniale et militariste. Une deuxième mort de Jaurès. De toutes manières, notre projet ne peut pas être tourné vers le passé. Il doit être celui d’une République réellement nouvelle, abritant une démocratie socialiste à inventer.
– Ce qui ouvre justement sur le second point, la conception du pouvoir, implicite et explicite que j’ai discuté longuement ci-dessus. La référence générale (et mythique) à « la République » sert ainsi à fermer le débat sur la nature de ce pouvoir démocratique à bâtir. Et ceci au service d’options bien particulières sous ce couvert de « République ». Mais elles n’y sont pas obligatoirement liées, et autant les discuter en tant que telle.
– Le plus problématique est le troisième point. La référence conjointe à « l’intérêt général » et à « la République » permet de faire de ce point un marqueur d’identité non seulement à gauche, mais valable éventuellement pour « les deux rives » (c’est aussi le cas du livre consacré à cette question par Christian Piquet). Ainsi la droite est critiquée non seulement pour ses liens avec le patronat et la finance, mais aussi pour l’abandon de « l’intérêt général ». En quoi peut constituer ce dernier une fois posé le conflit de classes (qui divise par nature) ? Peut-on le trouver dans les intérêts « généraux » du pays, qui pourraient alors être fondamentalement communs ?
D’où le débat dont on ne peut négliger l’importance sur l’impérialisme français, « la grandeur de la France » sur tous les continents, la politique militaire. Bien entendu on comprend bien comment ceci peut être lié à la référence républicaine. Mais il n’y a pas de lien mécanique. C’est une question propre, spécifique. Avec la même référence générale (« républicaine »), le PCF par exemple ne partage pas aujourd’hui toutes ces positions.
Le régime interne
Je n’aborde là que les statuts votés, pas la réalité du fonctionnement. Comme ailleurs on trouverait certainement des écarts.
Le choix est fait de la parité de genre systématique, à tous les niveaux représentatifs. Ensuite les statuts comportent un mélange assez problématique entre fédéralisme et centralisme. Au niveau local et régional, il n’est pas question de représentation sur la base d’« orientations ». Plus généralement, entre deux congrès, c’est un CN qui a le pouvoir de décider. Il est élu chaque année sur une base purement fédérative : en fonction du nombre d’adhérents, avec une exigence explicite de parité de genre et des souhaits de représentations de toutes les diversités. Mais pas, statutairement, en fonction des « orientations ».
Parallèlement, le Congrès élit directement un Bureau National assez fourni, de 60 membres. Lui tient compte des votes par « orientation » (il y a un seuil pour présenter un texte et une prime de 10 au texte arrivé en tête). Rien n’est dit sur le droit d’expression (et encore moins d’organisation) en dehors de ce vote existant uniquement lors du Congrès. Le BN a le pouvoir entre deux CN. En pratique (c’est ce que je pense d’expérience) ce système fonctionne sans à coups tant que les divergences ne sont pas trop fortes. Le pouvoir effectif (parce que donné par le Congrès) est au BN, le CN faisant fonction de rectification mineure ou/et de transmission. Ceci correspond bien à l’étape actuelle du PG. Au delà… En même temps, ce sont des questions compliquées. On ne peut pas dire que la LCR (et encore moins le NPA) ait donné les clés d’un fonctionnement plus démocratique. Là, pour des raisons inverses : l’écrasement de la diversité fédéraliste par le fonctionnement « en tendances » qui sont, rapidement, autant de partis en concurrence dans le même parti.
Samy Johsua, membre de la GA