Les migrants ont toujours été désignés comme les boucs émissaires des problèmes sociaux et économiques traversés par le pays, alors que ce sont les politiques capitalistes menées par les gouvernements depuis plus de vingt ans qui en sont les causes. L’immigration, dans les économies capitalistes, doit être analysée de trois points de vue : économique, politique et idéologique. Économique, parce qu’elle a de tout temps constitué une main-d’œuvre bon marché. La nouvelle loi Sarkozy vient institutionnaliser la précarité d’une grande partie de ces travailleurs. La concurrence ainsi engagée entre les travailleurs permet de tirer vers le bas l’ensemble des acquis et des droits déjà bien entamés.
Politique, parce que les travailleurs immigrés sont utilisés pour affaiblir les résistances ouvrières. Les travailleurs immigrés vont être plus que jamais obligés de vendre leur force de travail à n’importe quelles conditions. Le projet de loi Sarkozy n’a d’autre but que de servir au mieux les intérêts de l’économie capitaliste. Idéologique : en affirmant que la France ne souhaite plus subir une certaine immigration, Sarkozy cache une réalité sociale, divise les travailleurs en fonction de leur origine et empêche leur unité pour lutter contre le capitalisme. Les médias montrent les travailleurs immigrés comme étant de passage en France, et donc sans avenir ici. Les régressions des projets de loi sur l’immigration sont légitimées par la propagation constante des idées racistes et par la stigmatisation des personnes issues de l’immigration avancées par les partis de droite. Cette stigmatisation trouve, malheureusement, un certain écho dans la population.
Les partis de la gauche traditionnelle sont en panne de projet alternatif et ne veulent surtout pas apparaître comme défendant l’ensemble des migrants. Face au projet de loi réformant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), ils n’osent pas pousser les revendications au-delà des cadres institutionnels, de peur d’effrayer les électeurs potentiels. Le PS, et notamment sa candidate vedette, va même jusqu’à tenir un discours proche de celui du ministre de l’Intérieur. La droite, elle, chasse sur les terres de l’extrême droite en instituant une volonté d’ouvrir le pays à une immigration choisie en fonction des besoins de l’économie - pour diminuer les flux d’une immigration de droit -, fabriquant de nouvelles catégories de sans-papiers, contraints d’enfreindre la loi pour continuer à vivre normalement.
Nouvelle conscience
Une partie des expulsions massives programmées concerne également des parents d’élève ou de jeunes majeurs scolarisés, raison d’être du Réseau éducation sans frontières (RESF).
Aujourd’hui, la conscience d’une grande partie de la population, et notamment de la communauté scolaire, sur la manière dont est « traitée » l’immigration en France passe par les cas individuels d’élève ou de parent que nous rencontrons dans les écoles ou dans les lycées, c’est un appui important. Il y a urgence, il s’agit plus que jamais d’enfoncer un coin dans l’ensemble du dispositif - notamment du dispositif juridique - mis en place par le gouvernement en matière d’immigration. Pour des milliers de personnes organisées dans le RESF, une nouvelle conscience émerge, pointant du doigt les conditions sociales dans lesquelles vivent les migrants, considérés jusque-là comme des voisins ordinaires. Mais l’immigration prend aussi racine dans les rapports économiques et politiques Nord/Sud. L’ensemble de ces questions est aujourd’hui posé sur la place publique.
En participant activement dans les RESF locaux et au collectif Uni(e)s contre une immigration jetable (Ucij), les militants de la LCR sont aussi porteurs de ce débat général sur l’immigration, et notamment sur ses causes et sur les conséquences subies par les migrants.
Cependant, l’actualité met au premier plan ces dizaines d’immigrés expulsés chaque jour et ces élèves majeurs sans papiers ou parents sans papiers d’élève scolarisé qui sont sur le point de l’être. Dans l’immédiat, c’est vers eux que notre solidarité doit être tournée par les actions qui sont aujourd’hui engagées en soutien de ceux et celles à qui l’on interdit de vivre en France.
Résistances
Les mobilisations et les actions qui ont eu lieu dans les écoles et les établissements ont amené Nicolas Sarkozy à publier une deuxième circulaire, le 13 juin 2006. Cela doit être un encouragement à poursuivre et étendre les actions. Cependant elle ne fait que réglementer « la chasse à l’enfant », qui reste toujours d’actualité pour la fin de l’année scolaire. Cette nouvelle circulaire prévoit des régularisations, mais sous des conditions drastiques, comme celles des parents d’enfant scolarisé depuis septembre 2005, né en France ou entré en France avant l’âge de treize ans. Comme le dit le communiqué du RESF : « En procédant de la sorte, le ministre de l’Intérieur réussit l’exploit d’accorder à de futurs Français (enfants nés en France) ou à des jeunes qui étaient assurés d’obtenir un titre de séjour à leur majorité (enfants entrés en France avant treize ans) le privilège de n’être pas expulsés avec leurs parents. Quel courage politique ! Dans le même temps, le Parlement s’apprête à adopter une nouvelle loi sur l’immigration [réforme du Ceseda] présentée par ce même ministre, qui supprime le droit au séjour des jeunes résidant en France depuis au moins l’âge de treize ans sans leurs parents, créant ainsi de nouvelles situations de jeunes scolarisés sans papiers. Bel exemple de double langage ! »
Cette circulaire réaffirme la volonté du ministre d’expulser tous les autres : les jeunes scolarisés entrés après l’âge de treize ans, les anciens mineurs isolés, les parents d’enfant encore trop jeune pour être scolarisé... La circulaire touchera donc à la marge certaines familles dont le pourcentage reste infime au vu du nombre des sans-papiers. La circulaire va permettre de traiter certains dossiers, mais beaucoup de choses vont se jouer sur l’interprétation des critères subjectifs, comme la « volonté d’intégration » et le « suivi éducatif des enfants », comme restrictions à la régularisation. Les jeunes majeurs, déboutés du regroupement familial ou ex-mineurs isolés, en sont exclus. Par ailleurs, le délai de deux mois pour déposer les dossiers est trop court. D’autre part, les préfectures tentent d’associer aux décisions RESF, les associations de parents d’élève... Dans ce sens, chaque préfecture a son autonomie, ce qui est dangereux. Cela pourrait avoir pour conséquence de traiter au cas par cas avec des négociations sans fin sur tel ou tel dossier évoqué et/ou défendu par RESF. Le ministère de l’Intérieur tente, en vain, d’impliquer RESF dans ce « marché de la régularisation ».
C’est pourquoi, si les actions se sont multipliées ces derniers mois, il est urgent de les poursuivre, comme les parrainages qui ont eu lieu dans de nombreuses villes et communes. Certains parrains ou marraines sont des élus ou des enseignants. Des artistes ont également parrainé des élèves sans papiers ou des parents sans papiers d’élève scolarisé. Un numéro vert national va être mis en place par la Cimade, ainsi que par certains réseaux locaux, afin d’organiser la mobilisation le plus rapidement possible durant l’été. Pour ne citer qu’un exemple, la mairie du 20e arrondissement de Paris a organisé un parrainage qui a rassemblé 400 personnes, 180 d’entre elles (qui n’appartiennent pas aux réseaux ou comités locaux) ont laissé leurs dates de vacances ainsi que leurs coordonnées pour être jointes.
Ce phénomène se produit un peu partout. Des contacts ont été pris avec les syndicats du transport aérien pour mettre en œuvre des actions communes dans les aéroports afin d’empêcher les expulsions. RESF est un potentiel important. 60 000 personnes, dont des personnalités du monde du spectacle et de la culture, des scientifiques et des politiques, ont signé la pétition initiée par RESF « Nous les prenons sous notre protection »1. La signature de cette pétition engage à rester vigilant et à agir. Dans trois départements (Bouches-du-Rhône, Lot-et-Garonne, Puy-de-Dôme), des appels intersyndicaux à la grève des enseignants en cas d’expulsion d’un élève ont été lancés.
Aller plus loin
Beaucoup d’organisations sont engagées dans le RESF, dont les syndicats d’enseignants, ce qui permet parfois de faire appel aux secrétaires généraux pour qu’ils interviennent auprès des préfectures afin de stopper un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF). Les syndicats d’enseignants sont également très engagés auprès des RESF locaux. Leur rôle est de sensibiliser la profession aux questions liées aux élèves sans papiers et aux parents sans papiers d’enfant scolarisé mais, plus largement, à l’immigration elle-même. Cela est surtout valable pour la FSU, la FERC-CGT, SUD-éducation et la CNT. Néanmoins, il y a un manque du côté des confédérations. Pour l’instant, les mobilisations et les actions concernent surtout les syndicats d’enseignants. Toutefois, la CGT est engagée dans l’Ucij. Nous avons vu un front syndical se mettre en place lors du CPE. Un front syndical d’une même ampleur serait nécessaire pour dire « non » au projet de loi Sarkozy sur l’immigration. La LCR, dans les cadres unitaires, continuera à se battre contre le racisme, pour l’égalité des droits, la régularisation de tous les sans-papiers, l’abrogation des lois anti-immigrés et un droit de séjour fondé sur la liberté de circulation et d’installation. La reconnaissance de la diversité culturelle, un droit de vote et d’éligibilité ouvert à tous les habitants de ce pays et l’abandon de la condition de nationalité, notamment pour exercer les emplois de la fonction publique.
Autour de tels axes, il s’agit aujourd’hui de construire un front social et politique pour stopper Sarkozy qui, avec ces lois (contre l’immigration, contre la délinquance), chasse sur les terres du Front national et, dans ce cadre, d’obliger au débat la gauche traditionnelle qui flirte parfois dangereusement avec les mêmes idées.
Nina Thimbert
Note
1. Pétition à signer en ligne : http://www.educationsansfrontieres.org.
Encart
Étudiants sans papiers
La situation des étudiants étrangers en France ne cesse de se dégrader. En particulier ceux issus des pays colonisés. Depuis plusieurs années, les lois et les circulaires les prenant pour cible se multiplient.
On leur interdit l’accès aux aides sociales et aux bourses auxquelles ont droit les étudiants français. Leurs études sont maintenant évaluées par les universités mais aussi par les préfectures : ces dernières jugent de « la réalité et du sérieux dans les études » avant de renouveler un titre de séjour ! Une véritable machine à créer des sans-papiers.
Ces discriminations sont renforcées par la réforme du Ceseda : tri des étudiants étrangers dès leur pays d’origine, en fonction de critères financiers ou diplomatiques...
En s’appuyant sur la réussite du RESF, le Réseau universités sans frontières (RUSF) est donc en train de se constituer. Unitaire, il vise à monter des collectifs locaux de facs pour prendre en charge les dossiers, mener des campagnes et obtenir la régularisation de tous les étudiants sans papiers. Le cadre existe, à nous de nous y investir !
Gabriel Lafleur
Le 1er juillet, journée nationale d’actions contre les expulsions et contre le projet de loi Sarkozy sur l’immigration, à l’initiative du Réseau éducation sans frontières et du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable.
Europe Solidaire Sans Frontières


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