Isabelle Ufferte – Des négociations viennent de s’ouvrir entre l’assurance maladie, les complémentaires santé et les syndicats de médecins libéraux à la demande de la ministre de la Santé pour « réguler » les dépassements d’honoraires. Qu’en penses-tu ?
Bernard Coadou – Le cadre des négociations défini par Marisol Touraine nous semble faire preuve de frilosité en période estivale… Il propose un objectif de lutte contre les dépassements « abusifs ». Pour nous, tout dépassement d’honoraires est abusif intrinsèquement et constitue un outil de démolition de la santé solidaire.
De plus, les dépassements pratiqués à l’hôpital sont exclus des négociations et l’ordre des médecins semble avoir, pour la suite, une haute considération ministérielle… Selon nous, depuis 1980 (date de création du secteur à honoraires « libres »), cet organisme a été inopérant ; il n’a jamais voulu nous préciser le « tact et la mesure » qui en principe doivent s’exercer dans la pratique tarifaire des médecins.
Tu parles de l’hôpital public alors qu’on pense d’abord aux cliniques privées et à la médecine libérale…
Les dépassements sont pratiqués par une minorité de médecins : 7 % des généralistes, 41 % des spécialistes libéraux et 4, 5 % des médecins hospitaliers. Ils existent donc dans tous les secteurs et sont pratiqués par des médecins qui pensent exercer une médecine de qualité supérieure, qui d’après eux doit être payée à son « juste prix »... Ils sont en moyenne plus importants dans le secteur public.
Les dépassements représentent 12 % des honoraires médicaux, soit 2, 5 milliards par an sur un total de 19 milliards. Ils sont un des facteurs expliquant, qu’en 2010, 29 % de nos concitoyens déclaraient avoir renoncé aux soins, ponctuellement ou durablement, pour des raisons financières… soit 14 % de plus qu’en 2009 !
Comment a démarré votre mouvement contre les dépassements ?
Localement, la bataille contre les dépassements d’honoraires a commencé il y a plusieurs années. En 2009, lors d’une réunion de la Coordination santé solidarité de Gironde qui rassemblait 120 personnes, nous avons décidé d’en faire un axe d’intervention. Avec des militants associatifs, syndicaux, mutualistes, politiques (dont le NPA), nous avons organisé plusieurs rassemblements publics pour dénoncer cette pratique, devant différentes cliniques et devant un hôpital. Nous avons aussi organisé des réunions publiques.
Puis, à l’occasion d’affaires locales, en février 2012, nous avons pensé qu’il était utile de montrer que le milieu médical en Gironde est pluraliste, avec une partie importante qui situe la défense de ses pratiques et de ses revenus dans le cadre de la solidarité nationale. Nous avons atteint parmi nos proches la centaine de signataires d’un manifeste. Nous l’avons élargi au plan national en août dernier… les nombreux retours positifs nous font espérer que la frilosité gouvernementale est susceptible d’évoluer dans ce dossier symbolique.
Comment se fait le lien entre cette lutte et celle pour un véritable service public de santé pour que la santé soit véritablement « un droit pour tous » ?
La disparition progressive de tout dépassement d’honoraire reste notre objectif. Mais nous dénonçons simultanément, avec le mouvement « Notre Santé en danger », tous les obstacles à l’accès aux soins pour tous (franchises, forfaits, déremboursements, etc.) ainsi que la démolition du service public de santé qui s’est accentuée dans le quinquennat précédent.
Plusieurs échéances sont prévues, notamment lors de la semaine européenne début octobre pour défendre la protection sociale, l’accès aux soins pour tous et stopper la marchandisation de la santé :
• le jeudi 4 octobre, différentes initiatives sont prévues en régions ;
• le samedi 6 (le même jour qu’à Varsovie) une manifestation est prévue à Paris, partant à 14 heures de la place de l’Observatoire (près des Hôpitaux Cochin et Saint-Vincent-de-Paul) en direction de Matignon.
Nous ne serons pas de trop, tous ensemble, pour impulser l’indispensable sursaut solidaire.
Propos recueillis par Isabelle Ufferte