Les concepts n’ont plus le poids qu’ils avaient, quand ils passaient sous le bistouri de l’intelligence, avant d’entrer dans le domaine public. Aujourd’hui, ce sont les préposés d’une idéologie qui tendent à dominer le monde qui les fabriquent, l’industrie médiatique se chargeant de les imposer à la conscience des foules. Il y en a un, en particulier, après celui de « terrorisme », qui fait florès dans les analyses et les explications sur les événements qui agitent le monde. C’est le concept de « choc des civilisations ». Comprendre Chrétienté contre Islam.
L’un de ses promoteurs est un certain Bernard Lewis. Pour son profil, citons Wikipedia : « Il fut conseiller des services secrets britanniques lors de la Seconde Guerre mondiale, consultant du Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis, conseiller de Benjamin Netanyahu alors ambassadeur d’Israël à l’ONU (1984-88) et reste aujourd’hui un proche des néoconservateurs » étatsuniens bien sûr. Un de ses adversaires, Max Rodenbeck (New York Times), dit de lui que c’est un spécialiste des sentences qui accrochent et que c’est ce qui « explique son succès auprès des politiciens qui cherchent des citations coups-de-poing ». Le même l’accuse de vulgariser « l’idée vieillotte, jadis véhiculée par les missionnaires, qu’il faut apporter la liberté aux peuples arriérés » et surtout qu’il pense à propos de ces peuples qu’il faut soit leur apporter la liberté soit ils détruiront l’Occident chrétien. Le « choc des civilisations » trouve, ainsi, sa fonctionnalité.
Lewis, en s’interrogeant sur l’absence de démocratie à l’occidental dans les pays dits musulmans, considère qu’ils ont pris ce qu’il y a de plus mauvais en Occident : le fascisme ou le communisme, une importation d’Europe. Et cela n’est dû qu’au fait que ces systèmes soient anti-Occident et antichrétien. Ceci pour caser dans une même catégorie les Etats qui dérogent à l’Islam, comme les baasistes. Comme on peut l’observer, la difficulté théorique est levée aussi facilement qu’elle s’est posée. Il n’y a pas d’exceptions à la règle, le concept de « choc des civilisations » ne risque pas de présenter des failles.
Les agressions contre l’Afghanistan, l’Irak et la Libye entrent dans cette problématique et même leurs résultats (montée de l’islam politique) sont expliqués par le concept qui a servi l’idéologie guerrière. Lewis y voit un « retour, chez les musulmans, à ce qu’ils perçoivent comme une lutte cosmique entre les deux fois principales, le christianisme et l’Islam ». Pour le décorum, il suffit de convoquer par la désinformation ces foules qui fonctionnent à l’émotionnel ou ces bandes armées qui se réclament de la religion, pour conforter le champ de bataille tel qu’il devrait être perçu, par les opinions publiques occidentales.
Comme au bon vieux temps des croisades, où on parlait du Christ et non des rapines, comme au bon vieux temps des épopées coloniales, où on parlait de civilisation et non de mise en esclavage des peuples et de spoliation, on parlera de « démocratisation » et non de recolonisation. Et, in fine, on dit qu’on travaille à implanter un « Islam modéré » versus l’« Islam menaçant ». Selon les dernières données, ce sont les Frères musulmans qui ont été « élus » et ils rendent bien la pareille, en chevauchant en tête contre les derniers ennemis musulmans de l’Occident.
Ahmed Halfaoui, samedi 29 septembre 2012