Les inégalités sont « naturelles » et le destin des opprimés incontournable. Voilà le postulat réactionnaire qui légitime les rapports sociaux de domination. C’est ainsi que la représentation des hommes et des femmes dans les médias au premier rang desquels les publicités justifie un rapport social inégalitaire : il s’agit d’étiqueter les hommes et les femmes avec des qualités définitives (femmes douces, hommes volontaires par exemple). Par l’intériorisation des rôles sexués qu’elle véhicule, cette représentation entretient une véritable tolérance sociale vis-à-vis des inégalités entre hommes et femmes en même temps qu’elle est une violence envers les femmes.
Ménagères dévouées
Alors qu’en France les femmes sont massivement entrées sur le marché du travail depuis les années 1960, elles apparaissent encore, dans une grande partie des publicités, comme de bonnes ménagères dévouées à leur mari et à leurs enfants. Lorsque le publicitaire met en scène un homme, c’est pour valoriser les qualités techniques et scientifiques du produit (Skip).
Si depuis la fin des années 1980, la figure de la femme active fait son apparition sous les traits caricaturaux de la businesswoman, elle ne s’affranchit qu’exceptionnellement des tâches domestiques et d’éducation qui lui sont toujours dévolues dans la sphère privée. Inversement, alors que la dernière enquête de l’Insee montre l’absence d’évolution dans le partage des tâches, encore assurées à 80% par les femmes, la publicité utilise depuis peu l’image mythique du « nouveau père ».
Le « porno chic »
L’omniprésence du sexisme dans les publicités ne date pas d’hier, mais celui-ci s’appuie aujourd’hui sur un nouveau créneau : le sexe. Pour vendre, il faut choquer. Et paradoxalement, dans cette société travaillée par le retour d’un certain ordre moral, c’est à travers le sexe inévitablement accompagné de sexisme que l’incitation à la consommation est la plus efficace. Pas un spot, pas une image qui n’utilise le corps (découpé et très normé) d’une femme, quel que soit le produit vanté. A travers l’image de ces femmes réduites à l’état d’objets sexuels, on sous-entend (et cela marche !) qu’elles peuvent être achetées aussi facilement qu’un pot de yaourt.
En multipliant les représentations de femmes érotisées dans des postures de soumission et les allusions aux pratiques sadomasochistes (femmes enchaînées et consentantes), la vague du « porno chic » tend à réduire la sexualité au fantasme du viol renforçant les schémas de domination masculine et de soumission féminine. Ces images accentuent la construction culturelle de la sexualité féminine centrée non pas sur le désir de l’autre mais sur celui d’être désirée. Seuls le corps féminin et le désir de l’homme sont érotisés.
« Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole. » Le message implicite de ce slogan sur la crème fraîche Babette, inscrit sur plusieurs dizaines de milliers de panneaux publicitaires, indique que la relation entre la femme et la crème fraîche est la même qu’entre l’homme et la femme. Comment jouer sur ce registre lorsque l’on sait qu’aujourd’hui en France, plus de deux millions de femmes sont victimes de violences conjugales, parmi lesquelles le viol ?
A travers ces images, la violence sexuelle vis-à-vis des femmes devient une norme socialement acceptée. Ses effets n’ont pas la même portée suivant les groupes sociaux : le risque est grand pour une partie des jeunes, filles ou garçons, dont la sexualité se construit en grande partie (faute d’échanges au sein de la famille ou de l’école) à partir des représentations extérieures limitées à la télévision, aux magazines, ou aux cassettes porno, d’assimiler la sexualité à la violence sexuelle plutôt qu’à la conscience de soi et au plaisir partagé.
Si des tabous sautent (l’homosexualité féminine, la masturbation, etc.), ces représentations restent dédiées aux regards et aux fantasmes masculins. Car ce n’est pas le caractère explicite de la sexualité qui est en cause, mais son aspect réducteur et normé : les symboles de l’érotisme se réduisent à quelques attributs (seins, fesses, cuisses ouvertes) et à un spectre très réduit de types de femmes (hétérosexuelles, minces, jeunes, dociles et provocantes). Contrairement à ce que prétendent les publicitaires, toujours prompts à taxer de puritanisme celles et ceux qui dénoncent leur fausse impertinence, la représentation des femmes dans les médias est le produit d’une véritable censure des corps et des comportements féminins comme masculins. Où sont les gros, les petits, les vieux, les handicapés, les Arabes, les rebelles, etc.?
La santé des femmes est en danger
Et comment ne pas mettre en relation ce matraquage avec ce qui tend à devenir un véritable fléau chez les femmes dans les sociétés occidentales : l’anorexie (1) et son corollaire, la boulimie, autant que le recours croissant à la chirurgie esthétique ? Quand on sait que le poids moyen des mannequins de mode est inférieur de 25% à celui des autres femmes ; que le nombre d’articles et de pubs consacrées aux régimes a augmenté de 70% entre 1968 et 1972, époque du grand tournant dans la construction des normes esthétiques de la beauté des femmes ; quand l’industrie de la minceur représente aujourd’hui 33 milliards de dollars de revenus annuels, celle des produits cosmétiques 20 milliards de dollars et la chirurgie esthétique 300 millions de dollars La culpabilisation et la négation de soi chez les femmes font le bonheur et la prospérité des actionnaires de ces industries (et des psys !) qui n’hésitent pas, d’ailleurs, à investir dans les magazines féminins : doit-on s’étonner dès lors que L’Oréal, société phare de la dictature de la beauté, détienne 49% des parts du groupe Marie-Claire ?
Car s’il existe une aliénation dans le fait de devoir se conformer à une norme de beauté d’autant plus inaccessible que toutes ces images sont retouchées pour les deux sexes (l’homme subit aussi l’obligation d’être viril, hétérosexuel, actif, dominateur, sans faiblesse), celle-ci ne les touche pas de la même manière : elle ancre les hommes dans le paraître mais aussi dans l’agir, les femmes étant cantonnée au paraître. Et pour celles qui refusent ce rôle, on leur réserve une mention spéciale, antiféministe primaire, à l’image de la publicité d’une marque de soutiens-gorge : « Boléro soutient les femmes dans leur lutte... contre les courants d’air ! ». Sans commentaire.
Note
1. L’anorexie tue chaque année 150 000 femmes et filles aux États-Unis. 95% des anorexiques sont des femmes.