Après avoir fait condamner les trois punkettes activistes du groupe Pussy-Riot à deux ans de camp de travail à régime sévère, dans une parodie de procès, Poutine entend visiblement préparer un autre procès politique d’envergure contre l’opposition démocratique. Cette fois-ci, il s’attaque à plusieurs activistes du Front de gauche, un des nombreux courants du mouvement social en Russie. Notamment, à Sergueï Oudaltsov, son leader et opposant très connu (p. ex. dans le mouvement pour la défense de la forêt de Khimki près de Moscou), à Léonid Razvozjaïev, assistant du député de gauche Ilya Ponomariov (parti Russie Juste), et à Konstantin Lebedev, proche collaborateur d’Oudaltsov.
Les différents secteurs de l’opposition russe multiplient les appels aux mouvements sociaux et démocratiques en Europe contre le durcissement brutal de la répression depuis la réinvestiture de Poutine comme président, en mai dernier. Tous dénoncent le retour des méthodes, trucages et procès staliniens des années trente et cinquante du XXe siècle, puisés directement dans l’arsénal de sinistre mémoire du NKVD et du KGB. Rappelons les derniers faits.
▪ Le 17 octobre, une instruction est ouverte par le Comité d’Investigation Russe (lequel dépend directement du président !) contre ces trois activistes et plusieurs autres, tous ayant participé à la grande manifestation contre les massives fraudes électorales le 6 mai 2012 à Moscou, jour de l’investiture de Poutine. On les accuse de : « préparation à l’organisation de troubles massifs », « préparation d’actes terroristes sur le territoire russe », « ils prévoyent de renverser le gouvernement ». Rien de moins ! Cette instruction fait suite à la diffusion, le 4 octobre, sur la chaîne officielle NTV (contrôlée par l’Etat via le géant gazier Gazprom), d’un « documentaire », intitulé « L’anatomie d’une contestation ». Ce film grotesque, « filmé dans un style saccadé doublé d’une narration catastrophe » (Le Point), est censé montrer en caméra cachée comment les trois activistes auraient négocié avec un député géorgien et un banquier russe exilé le financement de l’opposition en vue de la « prise du pouvoir par la force » et « l’organisation d’attentats avec l’aide de militants tchétchènes ». Il fallait y penser… Ce grossier montage (images de personnages et voix méconnaissables, bandes son et sous-titres divergents), qualifié par Oudaltsov de « délires d’un fou », a été pourtant déclaré authentique par ledit Comité d’investigation, et sert donc de base à l’accusation. Les accusés risquent dix ans de camp.
▪ Le 19 octobre, Léonid Razvozjaïev a été kidnappé par des hommes masqués à Kiev, en Ukraine, menotté et jetté dans une fourgonnette, au moment où il sortait des bureaux du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Emmené de force à Moscou, il a été placé en détention provisoire dans la tristement célèbre prison de Lefortovo, sur décision du tribunal prise le 21 octobre. A la sortie du tribunal, il a crié vers les journalistes présents : « J’ai été torturé pendent deux jours, dites-le ! ». Des militants des droits de l’homme ont pu le voir plus tard en prison. Il leur a raconté qui il avait été torturé quelque part dans une cave, et menacé de mort - lui, sa femme et leurs enfants - s’il n’avouait pas sa participation aux échaffourées (provoquées par la police, selon l’opposition) lors de la manifestation contre Poutine le 6 mai. Extorqués sous la torture, ses « aveux » ont même été filmés, ce qui a permis au porte-parole du Comité d’investigation, un certain Vladimir Markin, d’affirmer sans rire que Razvozjaïev aurait « reconnu les faits » et déposé une « auto-dénonciation ».
Il est clair que Poutine est décidé à défendre coûte que coûte son pouvoir, affaibli après les manifestations sans précédent qui avaient eu lieu à Moscou et dans de nombreuses villes de Russie contre les élections truquées, législatives en décembre 2011 et présidentielles en mars 2012, contre « le parti des voleurs et des escrocs » (appellation courante du parti poutinien Russie Unie au pouvoir, inventée par le très populaire blogueur et oppositionnel Alekseï Navalny). De même, Poutine n’a visiblement pas supporté l’affront qu’ont représenté à ses yeux les manifestations du 6 mai, le jour même de son intronisation.
Les défenseurs des droits de l’homme et les différentes structures de l’opposition en Russie sont fortement mobilisés. Leur inquiétude est grande.
Sergueï Oudaltsov cité par Radio France International : « On revient aux temps du totalitarisme, lorsqu’on pouvait arrêter, battre les gens, uniquement pour leur activisme politique. Je suis sûr que Léonid Razvozjaïev a été soumis à de sévères tortures. Il n’a pu se compromettre et discréditer les autres que sous la torture ».
Le site d’information indépendant Gazeta.ru écrit dans sa version anglaise : « Il s’agit sans aucun doute du plus important procès politique et criminel de la présidence Poutine ».
Dans une Lettre ouverte pour l’arrêt des répressions politiques en Russie, publiée le 28 octobre dans Médiapart par Alexis Prokopiev de l’Association Russie-Libertés en France, adressée au Conseil d’Europe, l’OSCE et l’UNHCR, plusieurs associations alertent l’opinion internationale sur le cas des trois activistes du Front de Gauche. On y lit entre autres : « L’absence d’une réaction forte et rapide de la communauté internationale face cette nouvelle vague de répressions serait un feu vert définitif aux autorités russes de tous niveaux pour accentuer encore plus les répressions, les généraliser et les rendre banales, faisant basculer le pays dans la peur ou même la terreur. »
Dans une déclaration du 21 octobre (publiée par Inprecor et reprise par plusieurs sites), le Mouvement Socialiste de Russie explique : « La vague de répression à laquelle nous assistons aujourd’hui est un ’stress-test’ pour le mouvement de contestation : soit nous tiendrons bon, soit nous aurons à traverser une nouvelle période d’apathie et de peur. Face à cette pression policière sans précédent, nous avons besoin de la solidarité de nos camarades d’Europe et du monde entier. Nous demandons la tenue de piquets pour la libération immédiate de Konstantin Lebedev, l’arrêt de l’action pénale contre Sergueï Oudaltsov et Léonid Razvojaev ainsi que la libération des prisonniers politiques ayant participé à la manifestation du 6 mai à Moscou. »
L’opposition démocratique et le mouvement social en Russie ont besoin de notre solidarité, de la solidarité active des organisations du mouvement social dans toute l’Europe .
Le 29 octobre 2012
Stefan Bekier, militant de la Gauche Anticapitaliste / Front de Gauche (France)
Quelques liens pour plus d’informations :
http://russie-libertes.org/category/dossier-de-presse/repressions/
RSD, ESSF (article 26707), Les événements évoluent très vite en Russie. Un nouveau « procès de Moscou » se prépare :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26707
http://en.gazeta.ru/opinions/2012/10/18/a_4816417.shtml
http://www.liberation.fr/monde/2012/10/24/l-aveu-d-un-militant-anti-poutine-torture_855698
Oleg Shein, syndicaliste et candidat victime des fraudes électorales à Astrakhan, était à Paris en septembre pour dénoncer ces fraudes. Le cas d’Astrakhan, ville de 500.000 habitants située au bord de la Mer Caspienne, dans l’embouchure de la Volga, est emblématique de ces fraudes et de la mobilisation de la population.
http://uerf.wordpress.com/2012/09/23/oleg-shein-a-paris-24-09-2012-venez-nombreux/
Carine Clément, ESSF (article 24959), Russie : pourquoi le mouvement à Astrakhan contre les fraudes électorales est plus fort que celui de la place Bolotnaia ? :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article24959