Paolo Gilardi – D’après la presse européenne, depuis quatre ans, la Grèce serait sous perfusion. Comment cela se traduit-il pour la population ?
Dimitris Hilaris – Théoriquement, l’objectif de la Troïka vise à dévaluer tout le cycle économique du pays pour pouvoir créer un nouveau terreau pour le développement. Dans les faits, les salaries et les retraites ont été dévalués d’environ 30% alors que les prix demeurent élevés, notamment ceux des biens alimentaires par définition peu flexibles. Le ministère du développement lui-même reconnaît que les prix d’une grande part des produits alimentaires ont augmenté de 7% durant les deux dernières années. Ce qui fait qu’une partie de la population ne peut tout simplement pas s’acheter à manger. Dans la seule ville d’Athènes, le nombre de ceux qui sont réduits à se nourrir dans les cantines municipales est de 20’000 personnes.
Quant à la situation sanitaire, le nombre des exclus du système sanitaire est en augmentation. D’après Médecins sans frontières, 30% des Grecs ont bénéficié, parce qu’ils sont pauvres et n’ont pas de couverture sociale, de son assistance contre 3% avant la crise. De plus, nombreux sont les patients qui n’ont pas accès aux médicaments, y compris ceux qui sont atteints de maladies très graves, et ceci à cause des coupes budgétaires.
En fait, la politique d’austérité et le projet de la troïka visent à réduire le salaire social et ceci a des conséquences désastreuses aussi bien sur le plan social qu’humain.
Oui, mais enfin, les gens réagissent…
La réaction de la population est d’abord un rejet du système politique. La participation massive aux grèves et aux manifestations en est l’expression. En même temps, cette rage contre la situation se manifeste aussi par l’organisation de réseaux visant à assurer l’aide aux plus démunis. C’est par exemple l’organisation d’échanges directs entre producteurs et consommateurs sans passer par des intermédiaires ou encore par la mise sur pied d’hôpitaux dans lesquels les médecins fournissent gratuitement leurs services.
Tandis que sur le plan politique, les intentions de vote pour la coalition de gauche Syriza atteignent les 30% et l’Aube dorée récolte 12%...
C’est un indice de la polarisation politique dans un pays, la Grèce, dont le système de représentation politique connaît une grave crise de crédibilité. Les chiffres élevés de Syriza et de l’Aube dorée dans les intentions de vote représentent plus le déclin des partis gouvernementaux qu’une adhésion à leur programme.
Des éléments vont jouer un rôle important pour la définition d’une réponse à cette crise avec des conséquences sur l’équilibre des forces politiques.
Il s’agit tout d’abord de définir les termes du discours politique : un agenda social ou raciste ? Ensuite, il s’agit de savoir quel sera le courant politique capable de tirer vers lui les classes moyennes. Et enfin, c’est le fait savoir défendre les droits sociaux de couches sociales qui se débattent au bord de la survie.
Dans ce contexte, le mouvement ouvrier et les mouvements sociaux peuvent se développer dans le renforcement des structures de lutte et de solidarité contre les diktats de la Troïka. Ces prochains jours, jusqu’à la mi-novembre, seront décisifs car il faudra batailler contre le nouveau plan de la Troïka et du gouvernement.
Et dans tout ça, qu’est-ce que vous attendez de nous qui vous soutenons depuis l’extérieur ?
C’est écrit quelque part que l’avenir des travailleurs européens se joue en Grèce. Mais il est tout aussi vrai que l’avenir des travailleurs grecs se joue en Europe. Notre capacité de résister dépend en large partie de la montée de mouvements sociaux qui contestent les politiques néolibérales de la Banque centrale européenne et de l’UE. Que dans d’autres pays des dits PIIGS, comme en Espagne et au Portugal, se tiennent des manifestations de masse est synonyme d’espoir pour les travailleurs en Grèce.
La « grève de l’Europe du Sud » appelée pour le 14 novembre sera sans aucun doute un grand pas en avant pour les résistances. Mais subsiste un fait décisif : cette résistance doit s’élargir aux pays du « centre » de la zone euro, la France et l’Allemagne. C’est la condition essentielle, celle de la communauté d’intérêt entre les peuples, pour empêcher les fascistes de capitaliser la haine populaire.