Appel des forces de la gauche russe à leurs compagnons de lutte.
Aujourd’hui, nous, représentants des organisations de gauche de Russie, adressons un appel à la solidarité à nos compagnons de lutte du monde entier. Cette demande et votre réponse sont très importantes à nos yeux. Il ne s’agit pas d’un énième cas de condamnation d’innocents par la « justice » punitive de la Fédération de Russie ou d’une nouvelle vie humaine brisée par l’Etat. Aujourd’hui nous faisons face à une campagne de répression sans précédent dans l’histoire récente de la Russie, dont l’objectif est de saper la gauche russe en tant que force organisée. La stratégie du pouvoir allie arrestations, menaces, passages à tabac, usage agressif des médias ainsi que l’interdiction imminente de groupes politiques entiers. Cette stratégie est désormais beaucoup plus ferme et beaucoup moins prévisible que tout ce que nous avons vu auparavant.
Le mouvement de contestation de masse qui s’est lancé en décembre 2011 a radicalement bousculé la tradition de passivité politique et sociale qui prévalait pendant les années Poutine. (…) Les événements qui précédèrent l’inauguration du troisième mandat présidentiel de Poutine le 6 mai dernier ont impulsé le mouvement « occupy » à Moscou. Celui-ci a occupé le centre-ville pendant tout le mois de mai et des milliers de jeunes gens y ont pris part. A ce moment, les organisations de gauche, qui se trouvaient plutôt en périphérie des intervenants libéraux reconnus jusqu’alors, ont commencé à jouer un rôle de plus en plus central dans le mouvement.
Les événements de mai ont donné un signal fort aux autorités : le mouvement a définitivement dépassé les limites de l’acceptable, les élections sont derrière nous et le moment est venu de montrer les dents. Presqu’instantanément l’affaire des « troubles de l’ordre public massifs » a été lancée et la première arrestation a eu lieu. L’anarchiste de 18 ans Aleksandra Doukhanina a été accusée d’avoir participé aux désordres et d’avoir recouru à la force contre des policiers. Les jours suivants les arrestations se sont succédé. Cette fois les personnes arrêtées étaient aussi bien des militants politiques (principalement de gauche) que des citoyens lambda, pour lesquels la manifestation du 6 mai était la première expérience politique de leur vie.
À l’heure actuelle, 19 personnes sont inculpées, 12 parmi elles sont en détention préventive. Voici les histoires de certaines d’entre elles :
Vladimir Akimenkov, 25 ans, communiste, activiste du Front de Gauche, a été arrêté le 10 juin et restera en prison jusqu’au 6 mars de l’année prochaine, quand la cour décidera de son sort. Vladimir a une mauvaise vue depuis sa naissance et cette situation a drastiquement empiré depuis qu’il est en prison. À l’heure actuelle, l’un de ses yeux ne voit plus qu’à 10% et l’autre à 20%. Cependant, pour la cour cela ne constitue pas une base suffisante pour changer sa peine de prison contre un engagement à ne pas quitter le territoire de la ville. Lors de leur dernière séance, les juges ont cyniquement estimé qu’une telle condescendance n’aurait été imaginable qu’en cas de cécité totale.
Mikhail Kosenko, 36 ans, non membre d’un parti, a été arrêté le 8 juin. Souffrant de désordres psychiques il a demandé à changer sa peine de prison contre une assignation à résidence. Cependant, l’enquête l’a reconnu comme « dangereux pour la société » et s’apprête à l’envoyer en traitement forcé.
Stepan Zimin, 20 ans, anarchiste et antifasciste, a été arrêté le 8 juin et restera en prison jusqu’au 6 mars, après quoi sa détention peut être reconduite. Stepan subvient aux besoins de sa mère célibataire mais cela n’a pas constitué une raison suffisante pour le libérer sous ordre de ne pas quitter le territoire de la ville.
Nikolaï kavkazskii, 26 ans, socialiste, défenseur des droits humains et activiste LGBT, a été arrêté le 25 juillet.
Les enquêteurs ne disposent d’aucune preuve crédible pour établir la culpabilité des accusés. Cependant ils restent en prisons et le nombre de nouveaux suspects ne cesse de croitre. Le dernier figurant dans l’« affaire du 6 mai » est le chercheur et activiste libéral Sergueï Krivov, 51 ans, arrêté le 18 octobre. Et il y a des raisons de penser qu’il n’est pas le dernier…
L’arrestation de près d’une vingtaine de participants aux manifestations devait semer la peur dans le mouvement. L’enquête dirigée contre « les organisateurs des troubles de l’ordre publics massifs », elle, vise à frapper un grand coup dans ses leaders reconnus. Selon les termes de l’enquête, ces « troubles » sont le résultat d’un « complot » et toutes les personnes arrêtées avaient reçu des tâches bien précises. Ainsi, ce n’est pas seulement d’arrestations en série dont il s’agit, mais bien de la préparation d’un procès politique de grande ampleur contre l’opposition.
Nous avons évoqué ailleurs le film produit par la chaîne NTV qui mettait en scène dans un montage vulgaire les activistes de gauche Sergueï Oudaltsov, Léonid Razvojaev et Konstantin Lebedev en train de négocier le soutien des services secrets géorgiens. Nous avons évoqué le triste sort de Razvojaev, kidnappé alors qu’il tentait de demander l’asile en Ukraine et torturé dans le but d’obtenir une série de noms de personnes à poursuivre, l’emprisonnement de Lebedev et la menace qui pèse sur Oudaltsov, le plus connu des trois.
La vague de répression ne cesse de s’étendre. Il y a peu le Comité d’enquête a annoncé la vérification de l’organisation de Sergueï Oudaltsov Front de Gauche, ce après quoi il fort probable qu’elle tombe sous le coup d’une interdiction pour « extrémisme ». La pression sur le mouvement antifasciste augmente elle aussi. Sous des accusations mensongères, les activistes Alekseï Soutouga, Alekseï Olesinov, Igor Khartchenko, Irina Lipskaïa et Alen Volikov ont été arrêtés et se trouvent toujours en détention préventive. À plusieurs reprises, le militant socialiste Filipp Dolbounov a été interrogé de force et menacé.
Le fait que cette vague de répression sans précédent touche les forces de gauche n’est pas un hasard. En vue des mesures d’austérité, des reculs des droits des travailleurs, de la réforme de la pension qui seront bientôt mis en œuvre en Russie, le gouvernement Poutine-Medvedev craint plus que tout l’union du mouvement démocratique actuel avec les forces de la contestation sociale. Cette vague de répression est un test important pour le nouveau mouvement de protestation : soit nous pourrons y faire face, soit nous aurons à traverser une nouvelle période d’apathie et de peur. C’est pourquoi, face à cette pression policière sans précédent, nous avons tant besoin de la solidarité de nos compagnons de lutte d’Europe et du monde entier.
Nous vous demandons de participer à des journées d’actions unitaires entre le 29 novembre et le 2 décembre aux ambassades de la fédération de Russie ou toutes autres représentations dans vos pays. Il s’agit d’exiger la libération immédiate des personnes arrêtées de façon illégale ainsi que l’arrêt des persécutions judiciaires honteuses et la préparation de nouveaux « procès de Moscou », basés sur la torture et l’usage de faux. Nous vous demandons également d’utiliser au maximum des noms et des faits concrets lors de vos actions. Cela est important pour tous ceux qui sont aujourd’hui derrière les barreaux.
La solidarité est notre seule arme !
Unis, nous ne serons jamais vaincus !
Mouvement socialiste de Russie (RSD), Action Autonome et Front de Gauche
Envoyez le compte-rendu de vos actions ainsi que vos questions à l’adresse : solidarityaction2012 gmail.com.