En 1965, la fraction anticommuniste de l’armée indonésienne, téléguidée par le gouvernement des États-Unis, renversait le régime de Sukarno, soutenu par le Parti communiste indonésien (PKI), à l’époque le plus grand parti communiste au monde en dehors du « camp socialiste ». C’était l’époque où les États-Unis du démocrate Lyndon Johnson s’engageaient dans une escalade militaire massive contre le Front de libération national au Sud-Vietnam, qui était aidé par la République du Vietnam de Hanoi et par le camp socialiste.
Les États-Unis développaient la doctrine de l’« endiguement » du communisme, et voulaient empêcher l’« effet domino » de la contagion communiste dans toute l’Asie du Sud-Est. Un complot fut fomenté par la CIA avec l’appui des éléments anticommunistes de l’armée indonésienne pour accuser le PKI d’être à l’origine d’un coup d’État contre leur allié, le président Sukarno.
En quelques semaines, près de 850 000 communistes et démocrates, avec souvent leurs proches ou leurs amis, étaient assassinés dans le plus grand massacre politique de tous les temps. Au cours des années suivantes, la dictature proaméricaine de Suharto envoya, sans procès, des centaines de milliers de membres du PKI, dans des camps de concentration, telle la sinistre île de Buru. La famille, les amis, les enfants des déportés furent persécutés, chassés de leur emploi, interdits d’école, d’université, ostracisés, dans le silence terrorisé de toute la société.
La libération des prisonniers politiques en 1978 permit de vider les camps des survivants. En 1998, la fin de la dictature de Suharto permit certains développements de la démocratie en Indonésie.
L’année 2015 verra le 50e anniversaire de ce massacre. Malgré les efforts de l’ancien président Abdurrahman Wahid, qui a ouvertement demandé, au nom de son parti politique, pardon aux survivants mais qui n’a pas eu le temps de changer la politique du pays, l’injustice continue. Une commission nationale des droits de l’homme a présenté, fin juillet 2012, à Djakarta, un rapport qualifiant de « crime contre l’humanité » la répression anticommuniste de 1965-1966. Mais le gouvernement indonésien ne reconnaît pas aux survivants leur statut de victimes. Sans moyens matériels de survie, épuisés par de longues années de détention, des centaines d’« ex-Tapol » (anciens prisonniers politiques) âgés végètent dans la misère, quand ils ne sont pas en butte aux vexations policières.
La solidarité avec nos camarades indonésiens est indispensable. Solidarité politique d’abord : il faut exiger que le gouvernement indonésien reconnaisse leur statut de victimes de la dictature Suharto, débloque des fonds d’indemnisation pour eux, pour leurs enfants, pour toutes les victimes du massacre politique de 1965 et de ses suites.
Solidarité matérielle ensuite. Iba Sudharsono, fille du secrétaire national du PKI assassiné en 1965, vit en France (son adresse mail : tambora club-internet.fr). Avec son association Solidarité Indonésie, elle collecte des fonds pour rendre moins pénible, à Surabaya, à Djakarta, Manado, Sumatra, etc., la survie des vieillards rescapés des camps. Un versement mensuel sur le compte de la Solidarité Indonésie (compte Société générale 01816/3726 2694/23), même d’une somme modique (comme 20 euros), représente une aide inestimable, en attendant les indispensables réparations que l’État indonésien, désormais plus démocratique, doit consentir à toutes les victimes. N’attendons pas !
Pascal Lederer, physicien, directeur de recherche émérite au cnRS