La dette prépare le terrain à la colonisation
« Après 1864, année au cours de laquelle la Tunisie a été fortement secouée par une révolte populaire à cause du doublement de l’impôt, l’État tunisien (1) s’est tourné vers les banques et les courtiers européens, notamment français, pour se financer.
En 1869, à la suite de la première crise de la dette, les créanciers de la Tunisie mettent en place une commission financière tripartite (française, italienne et britannique), qui soumet les finances de l’État au contrôle direct des créanciers étrangers.
Dans le même temps, cette commission avait restreint les prérogatives financières du Bey (le chef de l’État tunisien), notamment en soumettant tout accord de privilège ou crédit à son approbation ». (2)
Soixante-quinze ans de colonialisme
Le viol de la souveraineté
En 1878, la Tunisie est finalement placée directement dans la sphère d’influence française lors du plan de dépeçage de l’empire Ottoman entre les grandes puissances au congrès de Berlin.
Les premières troupes françaises pénètrent en Tunisie le 24 avril 1881. Dix-huit jours plus tard, elles font signer au Bey de Tunis le Traité du Bardo, puis en 1883 la Convention de la Marsa. La Tunisie est désormais placée pour soixante-quinze ans sous la stricte dépendance de l’État français.
« Les nouvelles structures administratives sont peu à peu mises en place, vidant de sa substance l’appareil de l’administration beylicale. Aucune institution politique ne permet aux Tunisiens de participer aux décisions qui engagent le destin du pays […]. Les autorités civiles et religieuses traditionnelles, réduites au silence ou à la complicité, sont incapables d’assumer la moindre initiative politique » (3).
La lutte armée contre l’envahisseur
Les populations du Nord et surtout du Centre et du Sud se lancent dans une véritable guerre de guerilla. Elles s’en prennent aux intérêts français, mais aussi aux autorités tunisiennes jugées coupables de collaborer avec l’envahisseur. Se succèdent destructions de biens français, coupures de lignes télégraphiques et de canalisations d’eau, attaques des cantonnements militaires et batailles rangées contre l’armée française. Cette dernière bombarde des villes, et se livre à de véritables massacres contre les populations. Au bout de quelques années, la résistance est anéantie. Au prix de milliers de morts, l’armée et la police française tiennent désormais solidement le pays.
La colonisation à l’œuvre
« La puissance coloniale française transforme la Tunisie en un pays exportateur de produits agricoles et miniers, voire même de soldats (et parfois d’ouvriers) d’un côté, et en un pays importateur de produits manufacturiers ».(4)
La dépossession des terres
Par touches successives, l’État français attribue à des Européens les meilleures terres. Les capitaux nécessaires sont mis à leur disposition pour bâtir une agriculture moderne tournée vers l’exportation.
La plupart des paysans tunisiens sont refoulés dans les secteurs les moins favorables et sur des espaces exigus. Beaucoup finissent par prendre le chemin de l’exode vers les grandes villes.
La ruine de l’artisanat
Une avalanche de produits fabriqués industriellement en Occident se déverse sur la Tunisie. Imitant la production traditionnelle à un coût très largement inférieur, ils portent un coup mortel à une activité auparavant florissante.
La mainmise du capital étranger
« Les sociétés occidentales monopolistiques, surtout françaises, imposent une domination absolue sur toute l’économie minière du pays, sur le secteur financier, l’électricité, le gaz, la production et la distribution de l’eau, les transports, etc. ».(5)
Le développement des inégalités régionales
L’écart se creuse entre les régions de l’intérieur, laissées pour compte, et les zones côtières.
La négation de l’identité nationale
La langue française devient un instrument de promotion sociale, secrétant une « élite » francophone et francophile.
Une volonté de désislamiser le pays est affichée avec ostentation : lors du Congrès eucharistique de Carthage qui coïncide avec le cinquantenaire de l’établissement du Protectorat, un défilé de 5 000 jeunes catholiques revêtus d’uniformes de croisés a notamment lieu dans les rues de Tunis. « La Tunisie semble condamnée pour longtemps à l’acceptation passive du nouvel ordre des choses ». (6)
Pas étonnant que dans de telles conditions, « L’hostilité au principe même de l’occupation […] se manifeste d’abord par un renouveau du sentiment religieux […] : la religion apparaît comme une donnée essentielle de la conscience nationale ».
Notes :
1. Depuis 1574, la Tunisie était placée sous la suzeraineté de l’empire ottoman.
2. Extrait du texte de Fathi Chamkhi (Raid-Attac Tunisie) reproduit à la fin de ce dossier.
3. « Histoire générale de la Tunisie » – Sud Editions (Tunis 2010) p. 364
4. Heidi Timoumi : « La Tunisie, 1956-1987 », Tunis 2010, p. 19.
5. Heidi Timoumi p53.
6. « Histoire générale de la Tunisie » p. 365.