Dimanche, le 9 décembre 2012, aura lieu la fondation de l’assemblée populaire autonome de Montréal (APA-M). Les APA de quartier ont été à l’origine des manifestations de casseroles au temps fort du printemps érable. Un bon nombre d’entre elles se sont maintenues. En plus des enjeux et des initiatives spécifiques à chaque quartier, plusieurs de leurs militantes et militants en sont venus à la conclusion que certains enjeux nécessiteraient un regroupement montréalais (et même national si c’était possible) pour établir un rapport de forces capable de modifier les ligne de démarcation, par exemple à propos de l’annulation des charges et amendes découlant de la répression policière et judiciaire durant le printemps érable, ou encore pour la gratuité scolaire ou encore la lutte contre la contre-réforme de l’assurance-emploi, etc.. Seule une telle APA aurait la crédibilité d’établir des relations avec d’autres organisations et coalitions partageant des objectifs similaires.
Les héritières organisationnelles du printemps érable sont la CLASSE, qui n’existe plus même si elle pourrait ressusciter, et quelques survivantes APA de quartier sur l’Île de Montréal. Quant à l’héritage politique, il est illusoire pour ne pas dire contradictoire. Il n’est pas dit qu’en l’absence de printemps érable, les Libéraux n’auraient pas été battus à plate couture pour la seule raison de leur profonde corruption alors qu’ils ont pu se présenter en protecteurs de la loi et l’ordre. Le gel temporaire des frais de scolarité par le PQ dans un contexte d’atteinte rapide de l’équilibre budgétaire se fera soit au détriment d’autres dépenses sociales soit à même le budget des universités. Ce n’est pas là une victoire populaire mais une diviseuse victoire corporatiste. Y a-t-il un positif legs idéologique qui flotte dans l’air ? Comment alors expliquer la valse hésitation et l’isolement de l’ASSÉ, le réduit noyau dur de la CLASSE, face au Sommet de l’éducation prévu pour février ? Le démantèlement (temporaire) de la CLASSE ? La disparition du débat public de la levée des accusations et des amendes au détriment d’une partie des plus de trois mille personnes arrêtées et même la demande d’enquête publique sur la répression policière ?
Une invitation d’outre-Outaouais
La fondation de l’APA-M, si loin des projecteurs médiatiques soit-elle, va à contre-courant de cette « accalmie » qui se prolonge. Ce temps d’arrêt va bien au-delà de la question étudiante. Il concerne le mouvement syndical qui, accablé par la défaite du secteur public en 2010, a raté la « grève sociale » qui aurait été seule capable de muer la lutte étudiante en un soulèvement social dont les « casseroles » ont été l’amorce avorté. Quant au mouvement des femmes, il n’est plus que l’ombre de ce qu’il était entre 1995 et 2000.
Dorénavant, l’« accalmie » atteint le mouvement écologique contre l’exploitation pétrolière, gazière et minière enlisée dans les sables mouvants du gouvernement du PQ dont les habits écologiques tombent plus vite que ceux d’une effeuilleuse. Le congédiement et l’humiliation du militant égaré Daniel Breton comme Ministre de l’environnement, et son remplacement par un inconditionnel de la Première ministre, marque le retour sans fard à « l’indépendance énergétique » du programme péquiste, dont le noyau central est la découverte et l’exploitation des énergies sales et de l’uranium, la seule « indépendance » mentionnée dans ce programme. Le PQ prétend vouloir le « pays » mais un pays sale et salaud semble-t-il.
Pour ajouter l’insulte à l’injure, voilà que le PQ, de connivence avec le gouvernement de l’Alberta, est sur le point de devenir le sauveur de ses sables bitumineux dont le désenclavement est compromis par des luttes exemplaires tant aux Éu qu’en Colombie britannique s’opposant aux deux grands projets de pipeline vers respectivement Texas et la côte Ouest, pour fin d’exportation en Asie du Pacifique. On voit surgir en Colombie britannique, dotée d’une forte tradition de lutte écologique, un mouvement qui a des airs de printemps érable à la canadienne dans lequel se mêlent écologistes et nations autochtones. L’annonce de la compagnie Enbridge, réputée pour ses pipelines troués, de renverser les flux du vieux pipeline Sarnia-Montréal pour à la fois raffiner le pétrole sale à la dernière raffinerie montréalaise et pour l’acheminer sur la côte Est étasunienne par un autre renversement de flux, celui-là du pipeline Montréal-Portland, a imprégné le mouvement social ontarien d’un parfum britannico-colombien [1].
Souvenir lointain où lutte pour l’indépendance rimait avec lutte pancanadienne
Le terrain est mûr pour une lutte pancanadienne, incluant même les ÉU et dont l’écho serait mondial, contre les sables bitumineux. L’intégration du peuple québécois dans cette mobilisation passe par un désenclavement de la lutte pour l’indépendance nationale, qui garde un appui de 40% [2], du terrain constitutionnel et linguistique où l’étouffent tant le PQ que Québec solidaire et Option nationale, vers celui économique et financier. On ne peut pas se libérer d’Ottawa sans se libérer en même temps de Toronto et de Calgary. On ne peut pas se libérer tant du charcutage de la loi 101 par la Cour suprême que du néolibéralisme social et du conservatisme moral du gouvernement fédéral sans se libérer en même temps de l’emprise financière des grandes banques et consorts et de la mainmise du complexe auto-pétrole-bungalow, soutenu par celui militaro-sécuritaire des guerres du pétrole et contre le « terrorisme », qui structure notre économie.
Autrement, on continuera à promouvoir une « indépendance énergétique » anti-indépendantiste comme le fait le PQ. On continuera à opposer emploi et écologie. Un investissement massif dont le but ne serait pas la maximisation des profits, ce que seul permettrait le contrôle bancaire populaire, une fois le capital financier exproprié, et son corollaire, une monnaie québécoise, afin de bloquer grève des investissements et fuite des capitaux, donnerait les moyens d’une révolution des secteurs de l’énergie, du transport, du bâtiment, de l’urbanisme et de l’agriculture. Là réside le plein emploi écologique. De l’autre côté de la colline, dans le p’tit Canada où le PQ nous invite, gît sous-emploi sale et précaire dans une société atomisée et répressive dont femmes, enfants et vieillards paieront le prix fort… jusqu’à des tueries féminicides dont ce 6 décembre commémore le triste 23e anniversaire de celle de Polytechnique.
La libération nationale et sociale du peuple québécois, perspective des soulèvements de la décennie 1966-1976, dont l’électoralisme péquiste a brisé l’élan et que celui de Québec solidaire garde enterrée, passe par la lutte contre l’État canadien et ses assises financières et rentières. Cette lutte, pour être efficace et victorieuse, doit se faire conjointement avec le peuple canadien-anglais que l’indépendance de gauche, libératrice, ne peut que réjouir, en autant qu’elle est portée par une organisation crédible, alors qu’une indépendance de droite, ratatinée, ne peut que refroidir, particulièrement pour les progressistes anglo et les allo-québécois. Il ne s’agit pas d’une logique mécanique du ou bien la lutte pour l’indépendance ou bien celle conjointe des peuples de l’État canadien contre leur bourgeoisie.
Il s’agit de la logique dialectique de « visa le noir tua le blanc », de lutter pour l’indépendance pour vaincre la bourgeoisie canadienne dans toutes ses dimensions étatique, financière et bitumineuse. La lutte pour l’indépendance nationale du Québec est la clef stratégique d’un Québec et d’un Canada anticapitalistes vers le plein emploi écologique. La « grève sociale », que les directions syndicales et de Québec solidaire ont renié lors du printemps érable, est la porte d’entrée de cette stratégie. La lutte conjointe contre un Québec et un Canada rentiers, rentes financière, pétrolière, gazière et minière, même hydroélectrique, en est le passage obligé. C’est ce à quoi aspirait le printemps érable.
Une lutte conjointe contre les sables bitumineux pourrait revivifier les combats proprement québécois contre l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles et contre le pillage de nos ressources naturelles. Elle pourrait surtout renouer avec l’unité combative des peuples de l’État canadien dont la dernière et lointaine manifestation d’importance a été la brève grève générale de l’automne 1976 contre le gel des prix et salaires du gouvernement Trudeau paniqué par la « stagflation » marquant la fin des « trente glorieuses ». N’est-il pas d’ailleurs remarquable que cette grève ait eu lieu à quelques semaines de la conquête de la majorité parlementaire par le PQ ? Comme quoi, d’une part, la montée de la lutte de libération du peuple québécois s’est conjuguée avec le développement de la riposte pancanadienne et que, d’autre part, la victoire de l’électoralisme au Québec a signifié la fin de cette riposte pour plus d’une génération. L’actuelle conjoncture des sables bitumineux, au cœur de l’État canadien rentier, offre à ses peuples une occasion de renouer avec le fil de l’histoire possible d’un Québec et d’un Canada libérés du joug du capital.
Une stratégie à la recherche d’une organisation
Qu’est-ce que cet aparté a à voir avec l’assemblée de fondation de l’APA-M ? Au niveau des choix à faire réellement possibles, pas grand-chose sans doute… sauf une perspective qui donne un supplément d’âme, un horizon d’espérance pour inciter à prendre le départ. Ce n’est pas rien. Pourquoi voudrions-nous, par exemple, initier une campagne pour libérer nos camarades des accusations et amendes qui les affligent ? Par solidarité militante, par esprit de justice mais surtout pour lutter contre une dure répression qui voulait maintenir le statu quo, soit le gel des frais de scolarité. Il s’agit de charges politiques qui pourraient mener certains d’entre eux et elles à devenir des prisonniers politiques. Si on laisse tomber nos camarades pour si peu, qu’est-ce que ça sera quand on se mobilisera pour notre libération même si la loi du nombre jouera en notre faveur ? Voudra-t-on se remobiliser pour la gratuité scolaire, sans coupure ailleurs faudrait-il ajouter c’est-à-dire financée par la taxation des banques et des riches, si on sait d’avance qu’on sera laissé à nous-même en cas d’arrestation… à moins d’être médiatiquement connu ? Certes, cela peut inciter à la sagesse d’agir en groupe, le plus nombreux possible. Mais la dialectique des mobilisations nous apprend qu’il faut des pionniers si peut avant-gardistes soient-ils, des dirigeants si peu autoritaires soient-ils.
Il faudra bien qu’un jour quelqu’organisation médiatiquement reconnue soit porteuse de cette stratégie d’indépendance libératrice du fédéral et du capital. Québec solidaire la refuse se cantonnant de plus en plus dans la tâche de déplacer les chaises sur le pont du Titanic, ou devrait-on dire de gagner des sièges au parle-ment, excellent lieu d’agitation mais sans aucun pouvoir essentiel. Les collectifs anticapitalistes du parti semblent vouloir sortir enfin de leur torpeur… pour mieux sauter par-dessus le débat stratégique afin de se réfugier dans la confortable propagande de l’écosocialisme, une excellente idée [3] mais qui commence à devenir la tarte aux pommes du réformisme de gauche pour servir de fourrage aux discours du dimanche.
L’APA-M serait-elle preneuse ? Il y a des décisions plus concrètes à prendre lors de l’assemblée de lancement, en fait une campagne à lancer, des alliés à contacter, peut-être une ASSÉ à appuyer. Il y a des pièges à éviter comme celui des perpétuels recommencements et cet autre de la structurite et des querelles de pouvoir. Reste qu’il y a peut-être un printemps érable canadien qui s’éveille et qui nous tend la main, qui nous invite à renouer avec cette synergie entre lutte pour l’indépendance et lutte antilibérale pancanadienne toutes deux contre la bourgeoisie canadienne, y compris sa très fédéraliste aile québécoise à laquelle s’attache désespérément la petite et moyenne bourgeoisie dont le parti est au pouvoir à Québec.
Marc Bonhomme, 6 décembre 2012