Yvan Lemaitre – Comment analyses-tu les résultats des élections en Catalogne ?
Josep Maria Antentas – La nuit du 25 novembre n’a pas été la nuit dont Artur Mas et son parti CIU (Convergence et unité, centre-droit) rêvaient. La mobilisation du 11 septembre dernier – presque 2 millions de personnes dans les rues de Barcelone – a débordé la perspective de CIU. Ils n’ont donc pas obtenu les résultats escomptés car beaucoup d’électeurs ont voté pour l’ERC (centre-gauche indépendantiste), grande gagnante du jour avec 496 000 votes (13,68 %) et 21 députés. Le CIU n’a pas réussi à faire oublier à une large partie de l’électorat qu’il est le parti de l’austérité au service du capital financier.
La mobilisation remarquable du vote pro-espagnol, visible surtout à travers la montée de Ciutadans (parti de centre-gauche espagnoliste), qui multiplie par trois ses sièges, est une autre donnée importante. Le PP (Parti populaire, droite) parvient à éviter de perdre des soutiens suite aux coupes sombres dans les budgets de Rajoy et à augmenter ses résultats, passant de 387 066 voix (12,3 %) et 18 sièges à 471 197 (13 %) et 19 députés.
La crise use le système de partis traditionnels et les deux grands partis de la politique catalane, CIU et PSC (Parti des socialistes de Catalogne) ne rassemblent que 45 % des voix, alors qu’ils faisaient 56,8 % en 2010 et 75 % en 1999.
Quels sont les résultats de la gauche ?
Le PSC continue sur sa pente descendante. Bien que ses dirigeants aient craint un scénario encore pire, ses maigres 523 000 voix (14,6 %) transforment l’ombre de plus en plus allongée du PASOK grec en un cauchemar. Déchiré entre les tensions de son secteur le plus catalaniste et celui davantage lié au PS, il manque d’une perspective crédible au niveau national qui vient s’ajouter à son manque de crédibilité en tant qu’alternative de gauche.
ICV-EUIA (Les Verts-Gauche Unie, 858 857 voix, 9,9 %) va jusqu’à obtenir 13 députés (contre 10 auparavant), une progression qui, si elle est importante, ne suppose pas pour autant un changement qualitatif, après une campagne assez light, avec un discours qui s’aventure à peine à défendre les « politiques sociales ».
La grande nouveauté, c’est l’irruption de la CUP-Alternativa d’Esquerres (Candidature unité populaire-alternative de gauche), dont les 126 219 voix (3,48 %) lui ont valu 3 députés. Né comme l’instrument politique de la gauche indépendantiste, la CUP arrive au Parlement catalan avec le soutien électoral et militant de la gauche anticapitaliste organisée, des courants communaux alternatifs et de larges secteurs de la gauche sociale étrangers à l’indépendantisme. Pour la première fois, une formation de gauche étrangère aux consensus de la Transition fait son entrée au Parlement.
Comment IA (Izquierda Anticapitalista) se définit-elle par rapport à la question de l’indépendance ? Celle-ci n’est-elle pas un instrument de division ?
Nous défendons le droit à l’autodétermination du peuple catalan et la constitution d’une République catalane qui puisse décider librement des liens qu’elle entend avoir avec le reste des peuples qui font partie aujourd’hui de l’État espagnol et de l’Europe. Nous considérons qu’il est très important de forcer le gouvernement catalan à appeler à un référendum le plus vite possible, afin qu’un acte de souveraineté du peuple catalan ne serve pas uniquement à obtenir des libertés nationales pour la Catalogne, mais aussi à provoquer dans tout l’État une crise et une rupture démocratique avec le régime né en 1978.
Propos recueillis par Yvan Lemaitre