L’usine Tazreen Fashion est partie en flamme le 24 novembre, provoquant la mort de 112 personnes, prisonnières d’un bâtiment où aucune règle de sécurité n’était respectée – et après que deux cadres de l’entreprise aient enjoint des ouvrières alarmées de reprendre le travail, affirmant qu’il ne s’agissait que d’un simple exercice d’évacuation. Les victimes sont en majorité des femmes confectionnant des vêtements pour des groupes internationaux. Quelque 150 blessées ont dû être hospitalisées. Comme dans tous les drames de ce type, les locaux vétustes n’avaient pas de sorties de secours ni d’extincteurs utilisables, les matières inflammables s’entassaient dans tous les recoins. L’entreprise n’aurait dû compter que 3 étages ; elle en avait 9 – condamnant sans appel celles qui travaillaient dans les étages supérieurs.
Deux jours plus tard, des milliers de travailleur.e.s ont commencé à manifester à Dacca, capitale du Bangladesh, paralysant la zone industrielle d’Ashulia où se trouvait l’usine Tazreen Fashion, réclamant de meilleures conditions de travail et de sécurité. Régulièrement attaquées par la police, les manifestations se poursuivent quotidiennement.
En 2010, un vaste mouvement de grève avait déjà touché quelque 700 usines de cette zone industrielle, alors pour une augmentation des salaires. Il est connu que les conditions de surexploitation dans la confection sont extrêmes au Bangladesh, ce qui n’empêche pas de grandes chaînes occidentales de prêt-à-porter et de distribution, telles que H&M, Carrefour, Metro, Walmart, Levi Strauss, Tommy Hilfiger, GAP, Tesco, Marks & Spencer, Zara de continuer à s’y fournir.
Du fait de l’implication de ces transnationales dans la confection bangladaise, l’incendie du 24 novembre a provoqué une vague d’indignation dans le monde, notamment aux Etats-Unis (Walmart se retrouve particulièrement dans la ligne de mire des protestations). Une indignation d’autant plus profonde que l’alerte avait été plus d’une fois lancée sur l’insécurité régnant dans l’usine Tazreen Fashion et que le drame était parfaitement prévisible : on évalue à quelque 700 le nombre d’employé.e.s du secteur de l’habillement bangladais morts dans des incendies depuis 2006 !
Si la confection est un secteur à si haut risque au Bangladesh, c’est que la pression des donneurs d’ordre ne cesse d’augmenter pour produire en flux tendu, avec travail de nuit, épuisement des salarié.e.s, interdiction des syndicats, irrespect total des règles de sécurités. Avec près de 4500 usines et 3,5 millions d’employé.e.s dans le textile, le pays est aujourd’hui deuxième exportateur du monde après la Chine.
Grande exportatrice de textile, l’Asie du Sud entière est concernée. En septembre dernier, plus de 300 salarié.e.s ont trouvé la mort dans deux incendies d’usine au Pakistan et 40 autres au Tamil Nadu (Inde). Les patrons (coutumiers de la surexploitation) et les gouvernements (corrompus) asiatiques ont évidemment leur part de responsabilité. Mais les lois du marché capitaliste mondial sont directement en cause. En effet, les transnationales font jouer la concurrence entre les divers pays de la région, tirant, vers le bas, salaires, conditions de travail et normes de sécurité. Les grands du prêt-à-porter et de la distribution ne peuvent plus continuer à cacher derrière une cascade de sous-traitants leur rôle dans ces drames à répétition.
Pierre Rousset