Il y a presque deux ans, la jeunesse d’Oman initiait un soulèvement inédit pour l’emploi, les salaires, contre la corruption, pour la démocratisation. Pendant de longs mois, les mobilisations se sont succédées, avec des grèves dans les secteurs public et privé, des manifestations de rue, des occupations de lieux [1], auxquelles le pouvoir a répondu par la répression. Nouvelle illustration récemment de cette répression avec la confirmation en appel de condamnations prononcées en première instance contre les militants de la société civile. En parallèle, les autorités ont pris une série de mesures qui visent à calmer la contestation.
Parmi ces mesures, il a été décidé dès les premiers mois de la contestation de donner des emplois à 50 000 chômeurs, dont 15 000 dans le privé, et de créer des postes dans l’administration. Une allocation chômage a été mise en place et des hausses de salaires annoncées. Une indemnité de vie chère a été prévue pour les militaires et les agents de la Sûreté. Le Sultan a annoncé dès avril 2011 qu’il consacrerait 2,6 milliards de dollars pour satisfaire les revendications des protestataires, une avance sur les 20 milliards promis par les pays du Golfe au Sultanat d’Oman et au Royaume du Bahreïn sur 10 ans pour leur « développement ».
Le ministère de la Main d’œuvre a invité les chômeurs à rejoindre les centres de formation. La Royal Army of Oman a facilité les procédures pour que les chômeurs puissent faire leur service militaire. Des ponts aériens ont été mis en place pour acheminer les chômeurs de différentes régions en vue de leur incorporation. Très vite, le secteur public a été saturé.
En août 2011, le ministère de la Main d’Œuvre a annoncé que 55 800 omanais avaient été recrutés entre février et juillet de cette même année, dont 10 000 dans la police royale. Cependant, 200 000 chômeurs auraient été enregistrés entre mars 2011 et avril 2012.
Des efforts vont en également se tourner vers le secteur privé, peu attractif en raison des salaires inférieurs. En effet, le salaire moyen dans le privé ne dépasse pas les 200 riyals. Plus de 53 000 personnes en auraient démissionné pour la seule année 2011. Différentes mesures ont donc été instaurées/mises en place, telle que l’augmentation des salaires du privé à raison de 3 % au 1er janvier de chaque année, pour les travailleurs omanais uniquement ; par ailleurs, les chômeurs se voient contraints d’accepter les emplois qui leur sont proposés et de ne pas les quitter. En août 2012, un nouveau plan pour l’emploi prévoyait que les chômeurs pouvaient choisir entre trois emplois offerts.
Les droits des travailleurs sont également évoqués dès avril 2011 lors d’une rencontre entre la fédération syndicale, le ministre de la Main d’œuvre, et la chambre de commerce. Le ministre a annoncé des amendements au code du travail : dans le privé, les jours fériés ne seront pas nécessairement les jeudis et vendredis mais les jours convenus entre employeurs et travailleurs. Le nombre maximal d’heures travaillées est de neuf heures par jour ou quarante-cinq heures par semaine. Un employé peut être appelé à faire des heures supplémentaires payées moyennant un supplément de 25 % le jour et 50 % la nuit. Chaque travailleur a droit à 30 jours de congés par an. Par ailleurs, la loi modifie les clauses de licenciement. Les femmes ne peuvent pas être appelées à travailler entre 21 heures et 6 heures, sauf dans les centres de santé et les aéroports. Les femmes ont cinquante jours de congé maternité, mais pas plus de trois fois au cours du service. En cas d’infraction au code du travail, l’employeur devra payer une amende de 250 à 500 riyals par employé.
Dans le cadre de l’« omanisation » des emplois, le ministre de la Main d’œuvre intensifie la chasse aux travailleurs étrangers employés illégalement dans le privé et prévoit de contraindre les employeurs à verser une amende de 1000 riyals par employé illégal.
Par ailleurs, lors de la conférence internationale du travail tenue à Genève en mai et juin 2012, le gouvernement d’Oman s’est engagé à ratifier la convention internationale sur les « principes du droit d’organisation et de négociation collective », un statut qui accordera aux travailleurs le droit de se syndiquer. Si 151 syndicats ont été enregistrés depuis la création de la centrale syndicale, la grève des travailleurs du pétrole du printemps 2012 aura révélé que ces derniers n’avaient pas de syndicat. Le ministre avait alors mis en place un comité de dialogue social avec les grévistes, des représentants du gouvernement et les employeurs.
En dépit des réformes engagées suite aux mouvements sociaux, la Fédération générale du Sultanat d’Oman, qui a vu le jour en 2010, reste hégémonique. En effet, si plus d’un syndicat peut être actif au niveau d’une entreprise, et s’il est interdit aux employeurs de sanctionner des travailleurs pour leur activité syndicale, la référence à la Fédération générale du Sultanat d’Oman reste de mise. De surcroît, il faut un minimum de 25 salariés pour qu’un syndicat puisse être constitué, quelle que soit la taille de l’entreprise. Les activités syndicales sont également limitées par l’obligation d’informer le gouvernement, au moins un mois à l’avance, de l’organisation de réunions. Pour qu’une grève soit légale, il faut qu’elle soit soutenue par la majorité des salariés et le préavis doit être envoyé à l’employeur trois semaines avant la date prévue.
La jeunesse scolarisée
38 635 étudiants ont été diplômés de l’enseignement général pour l’année scolaire 2011-2012, parmi lesquels 59 % de femmes. Or, si le gouvernement a annoncé un relèvement des bourses estudiantines, il a fait savoir dans le même temps qu’il n’y aurait que 32 407 places dans l’enseignement supérieur pour l’année 2012-2013. Une nouvelle université de sciences et de technologie devrait voir le jour. En septembre 2011, le ministre de la Main d’œuvre prévoyait également d’augmenter la capacité d’accueil des centres de formation professionnelle de pêcheurs de 6000 places. Les femmes sont invitées à les rejoindre.
L’organisation du pouvoir
Le gouvernement a été remanié à trois reprises, et plusieurs ministres ont été révoqués. Ces remaniements avaient pour but de répondre aux revendications des Omanais qui dénonçaient la corruption.
Par ailleurs, un décret royal a élargi les prérogatives du conseil consultatif, composé de 84 membres, élus au suffrage universel direct à la proposition, l’amendement et l’approbation de la législation. Et le président du Conseil est désormais élu par ses pairs et non plus désigné par le Sultan. Les présidents des deux chambres devraient été associés, avec le président de la Cour Suprême, à titre symbolique, à la succession.
82 femmes ont été candidates pour les élections du conseil consultatif d’octobre 2011 sur un total de 1306 candidats, un chiffre historique pour le sultanat. Lors des élections de 2007, 21 femmes s’étaient présentées, mais aucune n’avait été élue. Le 16 octobre 2011, une femme a fait son entrée au conseil, ainsi que trois personnalités de l’opposition qui ont participé au mouvement.
En 2012, un décret a été passé afin de garantir l’indépendance, au moins dans la forme, du système judiciaire. Le ministre de la Justice n’est désormais plus le vice président du conseil suprême de la magistrature. Toutefois, ce dernier sera présidé par le Sultan et les décisions prises en son absence devront être ratifiées par lui.
Dès mai 2012, s’est ouvert le dépôt des candidatures pour les premières élections municipales du Sultanat, prévues pour les 15 et 22 décembre 2012. Tout citoyen omanais âgé de 21 ans révolus a le droit de voter, à l’exception des membres des forces de la Sûreté, des condamnés ou des prisonniers, des malades mentaux et du personnel de sécurité. Les wilayas de moins de 30 000 habitants éliront deux membres, celle de plus de 30 000, quatre membres. Les prérogatives attribuées aux municipalités en font des organes d’études, de proposition en termes d’équipement local, de santé publique ou d’environnement, ou encore des instances de suivi de projets, et de décision quand elles sont associées à d’autres instances. 1475 candidats, dont 46 femmes, se disputeront les voix des électeurs.
La finance islamique
Seul pays du Golfe sans banque islamique alors qu’il y a 17 banques commerciales dont dix étrangères et deux établissements bancaires publics, le Sultan a donné son accord dès 2011pour la création de la première banque islamique. Cette mesure entend répondre aux revendications des manifestants qui réclamaient l’annulation des dettes privées, lesquelles totalisaient fin 2010 4 284 milliards de riyals.
Touche pas à ma caserne
Ce train de mesures, conjugué à la répression, a momentanément fait taire les contestataires. Toutefois, des revendications écologiques ont commencé à voir le jour, dans ce pays qui est le seul dans la péninsule à avoir créé dès 1979 une administration consacrée à l’environnement. En effet, les habitants de Ghadhfan, une ville située entre le port et la zone industrielle de Sohar, ont multiplié les rassemblements dénonçant la pollution de l’air qui aurait entraîné des cas de cancer et de décès. Ils ont exigé la démission du directeur du port de Sohar et de celui de la raffinerie Orpic, ainsi que le traitement des malades, la délivrance de cartes de soins, et une solution pour l’évacuation des produits toxiques.
Par ailleurs, la mise en place de nouvelles institutions mises en place ne constitue qu’une réforme de façade. Ni l’assemblée consultative ni les conseils municipaux ne peuvent contrebalancer à la prééminence du Sultan Qabous. Les partis politiques restent toujours interdits.
S’il est trop tôt pour jeter une appréciation sur ces vingt quatre mois de mobilisations, il est néanmoins déjà criant que la stabilité et la pacification du pays ont été les axes prioritaires expliquant les mesures prises. Oman, de par sa situation stratégique, ne peut se permettre la moindre turbulence interne. Et c’est ce dont se sont inquiétés la Secrétaire d’État étatsunienne Hillary Clinton et le sénateur et ex-candidat à la présidentielle américaine John Mac Cain, lors de leur visite respective à Oman, en octobre et avril 2011, alors même que l’accord de coopération militaire venait d’être renouvelé avec les Etats-Unis (qui y disposent de plusieurs bases) en 2010. Au niveau international et régional, on s’inquiète de l’acheminement du pétrole. Aussi, des voies alternatives au détroit d’Ormuz (voie de passage de 30 à 40 % du pétrole) sont envisagées, voire mises en place, notamment aux Emirats Arabes Unis, sachant que l’une d’elles serait le passage par voie terrestre par le Sultanat. Ceci renforce l’impératif de paix sociale si Oman veut se voir conférer un rôle de premier plan.
Pour répondre aux revendications, le pouvoir a renforcé le budget du secteur public, ce qui va à contre-courant du processus de désengagement de l’Etat et de privatisation en cours depuis le début des années 2000. Ceci conduit à s’interroger sur une pérennisation de cette politique d’emploi dans le secteur public. Les plans de privatisation se succèdent dans les domaines notamment de l’eau, des télécommunications, de la gestion des aéroports.
Quelques mois après l’annonce des premières mesures, l’accent est de fait de plus en plus mis sur l’emploi dans le secteur privé. Quant aux élections municipales, hormis la démocratie de pacotille qu’elles incarnent, elles annoncent le retour du secteur privé : « Le ministre des Municipalités régionales et des Ressources hydrauliques, Ahmad Bin Abdallah Alshuhi, a affirmé que son ministère était en train de construire un partenariat sérieux avec le secteur privé en investissant dans les stations de traitement des eaux usées, les marchés, les parcs. L’accent est donc mis sur les conseils municipaux pour offrir de meilleures prestations aux Omanais. Les deux parties, le secteur privé et les conseils municipaux, selon les dispositions du décret royal n°116/2011, doivent œuvrer ensemble pour mettre en place des projets de développement et d’embellissement afin de mieux servir la société » (Traduit de l’anglais, Gulfnews, 1/8/2012).
Mais, dans tous les cas, tant le mouvement de contestation que le type de mesures qui sont censées lui apporter des solutions ne remettent en cause la nature de l’Etat, une gigantesque caserne. En effet, la flambée des prix du brut a dégagé des marges supplémentaires pour répondre aux revendications populaires sans tailler dans l’essentiel : la part consacrée aux dépenses militaires. Car avec 11,4 % du PIB consacré aux dépenses militaires, Oman est en tête du palmarès mondial, loin devant Israël. Seuls 3 % du PIB sont consacrés à l’éducation, insuffisance qui a été relevée par quelques membres de l’Assemblée en novembre dernier lors de la discussion du budget, ce qui n’a pas pour autant empêché son adoption.
Alors, non, la jeunesse d’Oman n’a pas dit son dernier mot.
Luiza Toscane