Une claire affirmation de la nécessité de la rupture
Rupture profonde avec le social libéralisme, virage écosocialiste, racines « républicaines » maintenues, candidat au gouvernement : où va le Parti de Gauche (PG) ? Il va bientôt tenir son Congrès et a mis en discussion un projet de résolution qui a suffit à provoquer la démission de son seul député Marc Dolez pour cause de tropisme « gauchiste ». Pourtant le document est tout simplement réaliste. « Le capitalisme est désormais dans un impasse…la force dominante autour de laquelle s’organise hiérarchiquement le système des grandes puissances a amorcé son déclin… Le capitalisme touche désormais du doigt une limite qu’il n’a jamais su surmonter, fût-ce par la guerre. C’est celle des ressources finies de la planète ». Conséquemment : « la soumission à des politiques néolibérales productivistes et autoritaires conduit à des choix anti-socialistes, anti-écologiques, anti-républicains… Qu’est devenu le PS ? …Il est passé de la social-démocratie au social-libéralisme… La vieille stratégie dite de « l’aiguillon » devient dès lors inopérante… La politique du gouvernement tranche le débat qui a existé un moment au Front de Gauche : non, nous ne sommes pas dans sa majorité. Oui nous sommes l’opposition à sa politique d’austérité ». Même si en fait « le débat au FG » n’est pas encore complètement réglé, il s’agit d’un constat clair, et disons le inévitable tant la réalité parle d’elle-même. Dès lors il ne sert à rien de s’effrayer d’une telle conclusion comme Dolez, mais il faut au contraire en tirer toutes les conclusions, puisque « Nulle part en Europe, quelle que soit l’ampleur des pressions exercées sur eux, des partis acquis à la ligne démocrate ne se sont retournés contre les politiques d’austérité ». Il convient alors pour le PG de travailler à bâtir un « front populaire » majoritaire pour imposer une rupture effective, une autre politique, une sortie du capitalisme : « L’issue de ces temps incertains dépendra de notre capacité effective à offrir une alternative gouvernementale ».
Et d’affirmer une indépendance de tous les instants vis-à-vis du gouvernement et de la direction du PS. Ainsi, comme la très grande majorité des formations du FG, le PG souhaite des listes autonomes aux prochaines municipales, tout en visant des alliances les plus larges possibles : « …nous combinons la stratégie d’autonomie de l’autre gauche et celle du rassemblement des forces opposées à l’austérité. ».
Voilà un ensemble qui, incontestablement, fournit une large plage d’accord pour les années à venir face aux enjeux principaux qui se présentent au sein de « l’autre gauche », comme la nomme le PG. Ce n’est pas rien, c’est même beaucoup et qui s’ajoute à un élément plus fondamental encore qui est la force de la conviction écosocialiste qui émane de tout le projet.
Une fois ceci enregistré, l’occasion est donnée d’aller plus loin encore en mettant en discussion certains des fondements propres au « parti creuset » que se veut le PG, mais qui sont aussi souvent au centre des discussions de toute la gauche radicale. A ce propos d’ailleurs la notion même de « creuset » (terme dont la définition appelle celle de fusion des alliages) devrait aller de pair avec le caractère nécessairement pluraliste de la reconstruction d’une nouvelle force politique. Comment être « à la fois parti creuset et parti d’action » nécessite une discussion décisive à mener en tant que telle, vu que c’est un problème général : si le but s’énonce clairement, les pratiques concrètes des partis de transformation sociale ont du mal à y correspondre.
Sortir du capitalisme
Les documents adoptés par le PG lors de sa fondation laissaient supposer que le parti regardait plutôt en arrière : revenir par exemple au programme de la Résistance. En finir donc avec l’ultra libéralisme, mais se contenter d’un capitalisme tempéré, en particulier par la présence d’un fort contrôle public. C’est le rêve, un rien fantasmé qui plus est, qu’une « vraie social démocratie » pourrait se donner comme objectif. Jean-Luc Mélenchon balaye désormais cette fausse issue. Dans un des messages postés sur son blog, Pensées inaudibles, du 26 décembre 2012, il affirme « Notre camp ne peut se contenter d’une simple reconstruction du monde du passé, désormais idéalisé, celui des « trente glorieuses ». Nous ne pouvons penser l’avenir comme de bons keynésiens à qui il suffirait d’espérer « relancer la croissance »…. Non seulement pour la raison que tout le monde connaît bien désormais ce qu’il en est des limites de l’écosystème. Non seulement parce que la financiarisation de l’économie ne le permet pas. Mais surtout parce que le productivisme contient une logique d’appel à l’accumulation qui reproduit mécaniquement les mêmes contradictions : il lui faut sans cesse élargir la base des consommateurs et pour cela il lui faut sans cesse tenter de restreindre les coûts de production. Cette logique de la politique de l’offre, quel qu’en soit l’habillage, constitue un modèle de production et d’échange fondamentalement instable ». Même donc si le fonctionnement propre, interne, du capitalisme aurait permis un temps d’imaginer un fonctionnement « humanisé », son « instabilité fondamentale » commande d’aller chercher un autre type de société.
Le socialisme ?
Mais alors par quoi remplacer le capitalisme ? On ne sait pas bien à la lecture du texte. Bien que ce ne soit pas propre au PG dans le FG, il est assez étonnant pour un parti qui se réclame de Jaurès que l’horizon socialiste proprement dit soit si peu présent. Quand les questions de propriété sont abordées, c’est d’une manière très limitée et de biais. Les luttes comme celles des Fralib et autres donnent « …la conscience que des formes de propriété non capitaliste sont possibles, et réintroduit dans le débat la question de la socialisation des moyens de production, qu’il s’agisse de nationalisations sous le contrôle des salariés ou de projets de coopératives ».
Le débat, oui, certes. Mais quel est l’avis propre du PG, surtout à l’échelle de l’ensemble du mode de production ? La question est loin d’être anodine. Au Venezuela bolivarien par exemple, incontestablement progressiste, le poids du secteur privé de l’économie est passé de 64,7 % en 1998 à 70,9 % au troisième trimestre de 2008 ce qui montre la complexité de la question, pour le moins. En réalité la perspective socialiste est là mais pas directement. Comme son nom l’indique, elle l’est par « l’écosocialisme ». A juste titre le projet avance : « C’est une refondation de l’écologie politique qui serait impuissante sans stratégie de dépassement du capitalisme. C’est aussi une refondation du socialisme débarrassé du productivisme ». Mais que serait exactement ce socialisme là concernant les formes de propriété et son fonctionnement démocratique global ?
Le texte ne donne pas d’indications. Il faut dire aussi que le PG annonce la tenue pour le second semestre 2014 d’un congrès « …où les questions de la propriété des moyens de production, de la place de la finance dans l’économie, de la planification écologique, du protectionnisme solidaire que nous voulons, de la rupture avec la Cinquième République et du dépassement de la démocratie représentative, de la reconstruction de l’Etat, de nos propositions pour un nouvel ordre international, de la refondation des médias ».
Il faut en prendre acte, ce sont des questions vitales sur lesquelles il serait présomptueux d’estimer que les réponses sont d’ores et déjà disponibles. Au contraire, elles sont travaillées dans l’ensemble de la gauche radicale.
En attendant, il reste que, sur certaines questions de fond au moins (vers où va-t-on et comment peut-on y aller) le projet s’avance tout de même.
« La révolution citoyenne »
Axe majeur du projet : « Une stratégie de prise du pouvoir… visant l’implication populaire pour prendre le pouvoir des mains de l’oligarchie financière et, dans un même mouvement, le transformer… Nous appelons citoyenne cette révolution actée par les urnes qui se nourrit de la confrontation électorale, des mobilisations de la société et du débat démocratique ». Mais quelle combinaison entre ces niveaux ? Quelle priorité le cas échéant ? D’un côté l’exemple de nos camarades de Syriza montre bien qu’il n’y a pas de réponses générales, mais seulement concrète, propre à une situation donnée. De l’autre le débat sur les fondements de cette stratégie à l’alchimie encore mystérieuse est une nécessité.
« Le nouvel internationalisme »
« ... (le PG) fonde sa conception des relations entre les peuples sur le respect absolu du droit international ». Bien que le projet rejette les interventions de l’Otan, on est surpris de l’absence de toute référence à la notion (et à la réalité) de l’impérialisme, et à l’impérialisme français en particulier. Au risque ce faisant d’être rattrapé par l’actualité, et que soit inévitablement remis au centre du débat la lancinante question de la Françafrique. Le « droit international » apparaît ici abstraction faite des rapports de force réels. Ramené pour l’essentiel à celui de l’ONU, mais sans même qu’une réforme soit avancée pour corriger l’extravagant pouvoir octroyé aux possesseurs du droit de véto au Conseil de Sécurité. Voilà, avec la politique militaire de manière générale (et en particulier le maintien de la force de frappe nucléaire – peu écosocialiste tout de même), tout comme les relations avec les dernières colonies françaises, une plage nécessaire de discussion.
« Notre mot d’ordre reste plus que jamais « place au peuple » pour renverser l’oligarchie »
C’est le positionnement central du projet. Contre celle-ci doit se dresser « l’intérêt général », formule qui revient 10 fois dans le projet dans des contextes très divers, c’est dire son importance. C’est que de plus, elle est étroitement liée aux « principes républicains » (la « conscience républicaine d’un intérêt général »). Si l’affirmation de ces liens particuliers est propre au PG, la première partie contre l’oligarchie fait écho directement au mouvement altermondialiste et à celui, plus récent, des Indignés et de leur révolte pour « les 99% ». C’est la réfraction absolument fondée de deux évolutions concomitantes. Le massif grossissement numérique du prolétariat, terme pris dans sa définition marxiste élargie de « ceux qui n’ont que leur force de travail » à vendre. En particulier dans des pays comme le nôtre. Et par ailleurs les effets de la marchandisation accélérée du monde qui jette dans une résistance potentielle de très nombreuses catégories humaines opprimées, à partir de leurs aspirations propres. Avec du côté adverse une concentration extrême du pouvoir économique, financier, politique et idéologique.
99% peut-être pas, une écrasante majorité sûrement. Mais ce n’est que potentiellement, c’est toute la question. Car sinon, cette unification serait déjà faite. C’est que de l’autre côté il n’y a pas seulement la perversion idéologique et le mensonge médiatique. Il y a encore la volonté et la capacité d’acheter des secteurs entiers, et de diviser par tous les moyens le front imaginé. Il faut donc encore convaincre par les propositions politiques et surtout en priorité par la mise en mouvement social que « les 99% » ont plus à gagner de la construction commune d’une nouvelle société qu’à perdre de ce qu’ils ont encore dans celle-ci, ou croient avoir. Ou qu’ils pensent pouvoir y gagner, dans les pays émergents en particulier.
Le recours à la notion « d’intérêt général » n’est d’aucune utilité pour penser cette tâche. Ou dit autrement il ne s’agit pas de constater cette généralité d’intérêt mais de la construire. Je suppose qu’on trouvera un accord sur cette nécessité sans trop de difficulté. Mais on ouvre alors sur une question bien plus problématique. Le texte dit « L’émancipation implique la prise de pouvoir sur soi-même, c’est-à-dire la conquête par chacun de l’autonomie de conscience requise pour être en mesure de formuler l’intérêt général. C’était déjà la grande leçon des partisans de la République sociale, mise en mots par Jaurès ». Comme si la raison (l’autonomie de conscience) permettait à elle seule de résoudre la question. Comme si la construction d’une volonté majoritaire pour l’expression d’une définition démocratique de « l’intérêt général » pouvait être autre que momentanée. Et intrinsèquement contradictoire, la minorité du moment pouvant, en toute « conscience » avoir raison demain.
De plus l’idée d’un peuple uni par la seule force de la conscience doit être abandonnée. Même le fût-il pour des combats essentiels (les 99% contre l’oligarchie) cela n’efface pas ses divisions sur d’autres plans, où l’opprimé peut se révéler oppresseur, comme on le sait bien à partir de la question féministe. Le capitalisme modèle ces oppressions multiples (de genre, de nationalité, ethniques, de génération et… de langues), les utilise, les crée au besoin. Mais elles le dépassent et lui survivront certainement pour certaines d’entre elles. Comment tout ceci peut se combiner dans une lutte commune pour l’émancipation universelle (et en particulier contre l’oligarchie capitaliste) au lieu de s’émietter dans la déchirure généralisée est une question complexe. Raison de plus pour l’aborder de front.
La République réellement existante
Tout ceci se lie dans le projet du PG dans la référence centrale aux « principes républicains ». Aujourd’hui il est devenu impossible de parler des « principes communistes » sans tenir compte, d’une manière ou d’une autre, du bilan des expériences terribles menées en leur nom. Pourquoi en serait-il différemment de la « République réellement existante » ? On en connaît 5 en France. La dernière n’est sûrement pas la bonne, au point que tout le FG se bat à juste titre pour une nouvelle République à l’issue d’un processus constituant.
La première, celle de 1792, a fourni l’exemple qui se rapproche le plus de ce que souhaite le PG. Mais voilà : sa Constitution de 1793 n’a jamais été appliquée, suspendue qu’elle fut « jusqu’à la paix ». Prenons la plus durable, la 3e. Bâtie sur les décombres de la Commune, elle présida à la boucherie inter-impérialiste de la guerre de 14 et se termina honteusement par le vote des pleins pouvoirs à Pétain par… la même Chambre que celle du Front Populaire (les communistes ayant été mis hors la loi à ce moment là). Son sentiment de « l’intérêt général » n’est pas allé jusqu’à y inclure celui des populations colonisées, comme nous le savons tous. Cette période voit aussi la victoire des Dreyfusards ? Bien sûr. Et aussi la progression de droits de tout type, la propagation de l’école, les lois laïques, les avancées du Front Populaire. Certes. Mais comment choisir dans toute cette histoire les « vrais principes républicains » ? Dans les exemples d’avancée sociale, quelle est la part de ces « principes » et quelle est celle de la bonne vieille luttes des classes que Cahuzac rejette ? Et même à supposer que ces « principes » soient moteurs quelque part, ils ne le sont, comme le dit Jaurès, que comme soubassements de la République sociale. Sans cet adjectif décisif, la référence se perd dans la nuit de l’abstraction, laissant de plus entendre qu’une alliance « de principe » pourrait s’imaginer sans le dit qualificatif, entre tous « les républicains », ce qui n’est pas la position du PG.
Même si on en reste dans le cadre de « La Sociale » le débat n’est pas simple. Le projet du PG s’élève contre « …la « nouvelle étape » de la décentralisation projetée par le pouvoir actuel (qui) remet ainsi en cause l’indivisibilité de la République ». Nul doute que ces projets s’inscrivent comme le dit le PG dans un vaste mouvement de déconstruction permettant un déploiement supplémentaire de la concurrence généralisée, ici entre portions du territoire national. Mais il existe une autre issue que la mise en miroir des centralistes Jacobins et des libéraux de la Gironde. A une question du même type, la Commune de Paris le 19 avril 1971 appelait à la Fédération des Communes de France, ceci au nom même des « principes de la République » : « La reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du Peuple… L’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France et assurant à chacune l’intégralité de ses droits… ». Inévitable donc d’admettre que ces « principes » loin de parler d’eux-mêmes sont d’acception variable.
Sur cette question de la référence à la République, à la fois comme générale et comme spécifique à l’histoire du pays, un large débat est nécessaire entre les formations du FG (il est déjà prévu au moins entre la GA et le PG) et il se développera certainement à l’occasion du congrès annoncé.
Samy Johsua