Rome (envoyée spéciale)
Peu osent le dire publiquement, mais la renonciation du pape Benoît XVI à sa fonction, à compter du 28 février, n’est sans doute pas aussi unanimement appréciée que les commentaires officiels, saluant « le courage, l’humilité, la lucidité, la liberté » de Benoît XVI l’ont laissé penser ces derniers jours.
« Nombre de religieux, d’évêques, de cardinaux, sans parler du personnel du Vatican, restent sous le choc de cette décision, avec laquelle ils ne sont pas d’accord », assure un vaticaniste italien. « Cette décision n’est pas forcément comprise car pour certains croyants, c’est un peu l’image de la papauté qui s’écroule. Ce geste, qui aura plus d’impact que tous ses discours, désacralise la figure du pape ; il dit aux croyants « le pape n’est pas l’Eglise, il est au service de l’Eglise » », confie aussi un professeur d’une université catholique romaine dont les étudiants, en partie séminaristes, sont « clairement gênés par cette renonciation ». « Ils se demandent en outre ce que cela cache et ce qui pourrait encore sortir comme scandales, suite aux déclarations du pape dénonçant « les rivalités » au sein de l’Eglise », ajoute l’enseignant.
Affaiblissement des prochains pontificats
« Certains cardinaux aussi sont gênés par le fait que ce geste retire au pape son côté sacral », indique encore un interlocuteur régulier des princes de l’Eglise. « En même temps, ils sont conscients que l’Eglise, qui traverse des temps troublés, ne peut pas se permettre d’avoir pendant des mois un pontife qui « ne répond plus » ». « Franchement, pouvait-on demeurer avec un pape qui ne voyage plus ? », souligne un proche de la curie. Peu suspect d’irrespect envers Benoît XVI, il reconnaît pourtant que ce geste « va affaiblir les pontificats à venir ». « Les prochains papes devront-ils renoncer dès la première difficulté, le premier scandale, la première faiblesse physique ? », s’interroge-t-il, non sans inquiétude. Certains extrapolent et imaginent déjà les conséquences sur les évêques, les prêtres, l’engagement « à vie », mariage compris... « Jean Paul II, pendant des mois ne gouvernait plus et il avait délégué son pouvoir, alors même que selon la tradition catholique, ce pouvoir lui avait été donné par l’esprit saint. Peut-on vraiment confier à d’autres ce type de pouvoir ? », demande a contrario un autre vaticaniste.
Toutes les conséquences de ce geste ne sont pas encore perceptibles, mais certains préfèrent couper court. Tout en saluant la décision du pape, un évêque de la curie s’empresse d’ajouter : « cela ne signifie pas que tous les papes feront comme lui ». Dès l’été dernier, le pape avait confié sa lassitude au journaliste allemand Peter Seewald, assurant qu’il n’y avait « plus grand chose » à attendre de lui. « Je suis quand même un vieil homme, la force s’épuise. Je crois que ce que j’ai fait suffit », cite samedi 16 février, l’hebdomadaire allemand Focus.
Pape « jusqu’à la mort »
Dans cette période inédite, où chaque mot est pesé, Mgr Roland Minnerath, évêque de Dijon, est l’un des rares à avoir choisi d’énoncer clairement les interrogations suscitées par le geste historique de Benoît XVI. Avant lui, le cardinal Stanislaw Dziwisz, secrétaire personnel de Jean Paul II, avait, en creux, émis une critique :« Wojtyla est resté, il avait compris que l’on ne descend pas de la croix ».
Dans une longue intervention sur les ondes de la radio chrétienne, RCF, jeudi 14 février, l’évêque français admet que « Benoît XVI a suivi sa conscience » mais il affirme « comprendre le désarroi de nombre de fidèles » qui se demandent pourquoi « il n’est pas resté jusqu’au bout ». « Jean Paul II nous avait donné un exemple de ce qu’est la fidélité à l’appel [reçu] », explique l’évêque. « Quand on est pape, on assume jusqu’à la mort. Cela a toujours été comme cela et l’Eglise s’en est bien tirée de cette manière. Si on introduit un critère d’efficacité, c’est un critère tout à fait valable dans le gouvernement des choses temporelles mais l’exercice du pontife c’est autre chose. C’est d’être un témoin, à tous les âges, quand on est en bon état et quand on est fatigué ». Mgr Minnerath s’est dit aussi « toujours un peu hésitant face aux changements introduits, comme ça, à la hâte sans qu’on mesure toutes les conséquences ».
A Rome, un jésuite tempère : « Beaucoup des religieux ou des fidèles qui se sentent aujourd’hui abandonnés ont besoin d’un père ; ils en retrouveront rapidement un avec le prochain pape ».
Stéphanie Le Bars, 17 février 2013
Conclave avancé ? Quels « papabili » ? Quand les doutes planent sur le Vatican
Rome (envoyée spéciale)
Hypothèses, intuitions, rumeurs, spéculations. Il règne une étrange atmosphère au Vatican, depuis que Benoît XVI a annoncé, le 11 février, qu’il renonçait à son ministère. La dernière information en date, non encore officiellement confirmée, concerne l’ouverture du conclave. Annoncé autour du 15 mars, il pourrait être avancé au 10 afin de permettre au pape élu de prendre ses fonctions officielles avant le début des cérémonies de Pâques. « Le nouveau pape doit avoir le temps de préparer ses discours pour les cérémonies qui rythment la semaine sainte », nous confie un connaisseur de la curie romaine. Un conclave de trois ou quatre jours permettrait de fixer au 19 mars, qui correspond à la saint Joseph, patron de l’Eglise, la date inaugurale du pontificat, précise même l’agence de presse I-média.
Dans l’austère salle de presse du Vatican, le jésuite Federico Lombardi a admis, samedi 16 que cette éventualité était à l’étude. « La Constitution [qui régit l’organisation d’un conclave] était pensée en cas de mort du Saint Père », a expliqué le porte-parole. Le délai [de 15 à 20 jours après le décès, et en l’occurence la renonciation] était prévu pour laisser le temps aux cardinaux électeurs d’arriver. Dans l’éventualité où ils seraient tous arrivés, il n’y aurait plus à attendre". Les cardinaux sont de fait attendus à Rome le 28 février pour une cérémonie d’adieux à Benoît XVI.
Les briefings quotidiens du père Lombardi attirent des dizaines de journalistes venus du monde entier. Mais le porte-parole, a peu à dire et ses réponses évasives, ses incertitudes illustrent le caractère inédit et, à certains égards, inconfortable, de cette séquence vaticane. Et, quand une question est vraiment sans réponse, il élude dans un sourire : « l’avenir est dans les mains de Dieu ».
Le pape restera-t-il cardinal ou redeviendra-t-il simple évêque ? « Evêque c’est inaliénable », assure le père Lombardi. Mais, pas sûr qu’un pape puisse redevenir cardinal. Quant au titre qu’il portera, « pape émérite », « évêque de Rome émérite », « il n’y a toujours pas d’accord sur la question », indique le père Lombardi, qui « ne sait pas » non plus si le pape assistera à la messe inaugurale de son successeur. Il « ne croit pas » que se tiendront d’autres cérémonies d’adieux que celles déjà annoncées pour les fidèles et les cardinaux, les 27 et 28 février. Seules les autorités politiques italiennes auront le loisir de rencontrer le pape avant sa retraite. Mais, outre les ambassadeurs près le Saint-Siège, des personnalités politiques, dont la chancelière allemande Angela Merkel, auraient fait part de leur désir d’assister à la cérémonie du 27, selon des sources romaines. Une éventualité démentie par le porte-parole de la chancelière.
« Deuil blanc » et sanglots
Le porte-parole du Vatican a annoncé que le secrétaire particulier du pape, Mgr Georg Gänswein restera à ses côtés après le 28 février. Mais, un possible conflit d’intérêt se fait jour : étant entendu qu’il conservera son titre de préfet de la maison pontificale, il pourrait donc être théoriquement amené à « servir » l’ex-pape et le nouveau. « Ce poste a un caractère plus technique (organisation de l’agenda du pape) que politique », tempère le père Lombardi, qui ne « pense pas que cela pose problème ».
Dans un autre registre, le Vatican vit un temps suspendu. Les hommages que l’on réserve généralement aux morts se succèdent. Beaucoup parlent de Benoît XVI au passé. Certains évoquent « un deuil blanc » et, sous nos yeux, l’un de ceux qui l’approchent régulièrement éclate en sanglots en évoquant son état de santé. Mais Benoît XVI est vivant ; physiquement épuisé, mais vivant. Et il parle.
« Quarante-et-un « papabili » »
Chaque jour, un message différent est distillé à ses interlocuteurs qui savent vivre là un moment historique. Un jour, il dénonce les « rivalités au sein de l’Eglise et son visage défiguré » et l’on se dit que son successeur aura fort à faire pour ramener unité et concorde. Le lendemain, il livre son interprétation du concile Vatican II, et, là encore, le message adressé au futur pape est clair : ni dérive « progressiste », ni abandon des textes essentiels.
Doctement, Benoît XVI reprend des thèmes qu’il avait abordés dès son élection, alors qu’aujourd’hui le Vatican bruisse des noms et qualités de son successeur. Sera-t-il ratzingérien, noir, italien, latino ou philippin, bilingue ou trilingue, pro- ou anti-curie, voyageur ou manager, avec ou sans compte Twitter ?
Un diplomate nous assure qu’un tour de la presse mondiale, effectué ces derniers jours, laisse apparaitre le nom de « 41 papabili » sur les 117 cardinaux qui s’enfermeront le 10 ou le 15 mars dans la chapelle Sixtine. Signe, à tout le moins, que ce conclave est particulièrement ouvert.
Stéphanie Le Bars, 15 février 2013