Alina Poliakova – Tout d’abord, es-tu à présent en sécurité ?
Philippe Dolbounov – Non, je ne suis pas en sécurité (…) J’ai appris qu’un avis de recherche avait été officieusement lancé contre moi en Russie. Toutes les semaines, mes parents reçoivent la visite de « collaborateurs » de la police du centre « E » (Centre de lutte contre l’extrémisme – ndt) ou même du FSB, les services secrets russes. Ici, en Ukraine, j’ai été pris en filature par des collaborateurs du SBU (services secrets ukrainiens – ndt). De plus, le UNHCR ne réagit pas à ma demande d’obtention du statut de réfugié.
Tu as peur d’être déporté ?
Après l’enlèvement de Léonid Razvojaev à Kiev et si on considère le nombre de déportations de réfugiés depuis l’Ukraine, qui est très élevé, c’est très possible, d’autant plus que le SBU collabore étroitement avec le FSB et le Centre « E »…
Comment as-tu remarqué que tu étais suivi ?
Par exemple, le 6 février, j’ai été pris en filature depuis le Service des migrations ukrainien jusqu’à mon lieu de résidence. Trois personnes ressemblant à des agents m’ont suivi à une distance de 40 mètres. Ils s’arrêtaient régulièrement, en faisant mine de discuter (…) C’est seulement en arrivant aux abords de la maison que je leur ai échappé. J’ai vu que l’un d’eux courait derrière moi et j’ai réussi à me cacher. À présent, des policiers ukrainiens font souvent la ronde près de la maison.
À ton avis, à quoi est dû cet intérêt des services secrets pour ta personne ?
Il me semble que les services secrets sont très intéressés par les gens de gauche ces temps-ci (…) Pour le moment, en Russie, la situation économique est assez tendue. L’État mène des coupes dans l’enseignement, la santé et d’autres budgets sociaux. À la différence des libéraux, qui ne pensent qu’à « la Russie sans Poutine », la gauche n’hésite pas à parler de ces problèmes. Les autorités craignent l’explosion sociale plus que tout. D’où les poursuites, la répression, les arrestations, intimidations, etc.
Quel a été ton vrai rôle dans les événements du 6 mai pour lesquels ont t’accuse ?
Concrètement, (…), je risque d’être accusé d’« organisation de troubles de l’ordre public ». L’instruction s’en remet à la reconnaissance de culpabilité de Léonid Razvojaev, dans laquelle je suis désigné comme étant la personne qui menait le bloc des anarchistes. En réalité, ce jour-là, je marchais avec le bloc du RSD, dont je suis membre. Je n’ai pas eu recours à la violence contre des policiers (…)
Tu as été témoin dans le cadre du procès de Stepan Zimin dans « l’affaire du 6 mai ». As-tu été mis sous pression à cet égard ?
Oui, je me suis volontairement présenté comme témoin dans l’affaire qui concerne Stepan. Le 25 octobre, des collaborateurs du Centre « E » sont venus me chercher chez moi et ont tenté de m’arracher des déclarations sur Lebedev, Razvojaev et Oudaltsov dans les locaux du Comité d’instruction (SK). Mon logement a été perquisitionné. Ce jour-là ils m’ont laissé partir en me disant que mon « statut procédural » n’était pas clair (…) Exactement une semaine plus tard, l’inspecteur Maroukian m’a appelé pour un interrogatoire. Je lui ai dit que Stepan n’avait pas jeté de pierre, n’avait pas eu recours à la violence contre des policiers et n’avait participé dans aucune échauffourée. Durant l’interrogatoire, Maroukian a menacé de m’envoyer à l’armée si, selon ses propres termes, je n’arrêtais pas de « lâcher des conneries ».
Pourquoi décides-tu de quitter la Russie justement maintenant ?
Ils ont commencé à mettre la pression sur mes proches : ma mère et mes grands-parents. Lors de l’interrogatoire du 25 octobre, les collaborateurs du Centre « E » ont menacé d’envoyer ma famille en interrogatoire au SK si elle les empêchait encore de « faire leur travail ». Je suis parti parce que je suis aujourd’hui convaincu qu’ils veulent me mettre en prison (…) Le 12 février, ils ont interrogé ma grand-mère de 70 ans… (…)
Comment cela se passe pour obtenir le statut de réfugié ? Tu y arrives ?
Pour le moment je pense me rendre dans un autre pays car je ne me sens absolument pas en sécurité. Cela se passe mal car l’UNHCR ne réagit pas quand je dis que je suis poursuivi en Ukraine aussi. Son directeur a déclaré récemment à la presse que l’Ukraine est un pays sûr pour les réfugiés. Mais je ne peux pas comprendre pourquoi ils ne peuvent pas nous fournir une protection supplémentaire à moi et à d’autres personnes ayant fui la Russie, étant donné les circonstances. À part moi, Alexeï Deviatkin du parti « Autre Russie », la journaliste Jenny Kourpen et Mikhaïl Maglov du parti « Solidarité » ont pris la fuite en Ukraine. Pour nous aider, ce qu’il faut faire avant tout, c’est attirer l’attention sur la situation des réfugiés russes, surtout au niveau international.
Propos recueillis par Alina Poliakova