Une menace, parce que tant que dure l’incertitude, le climat des affaires n’est guère propice à de nouveaux investissements et qu’un échec de l’euro éliminerait un bon nombre des avantages dont jouissent les capitalistes européens pour affronter la concurrence sur le marché mondial.
Mais c’est aussi une opportunité, parce que la situation crée la possibilité d’imposer dans un climat d’urgence des réformes des systèmes d’assurances sociales et du marché de la force de travail européens. Ces réformes n’ont rien de nouveau. Au contraire, elles ont été à l’ordre du jour depuis au moins une quinzaine d’années maintenant. Dans l’ensemble, elles visent à créer des conditions plus favorables à l’accumulation du capital en Europe et ce dans un contexte où l’Europe prend du retard par rapport à ses concurrents – les Etats-Unis et les différentes puissances de l’Asie de l’Est principalement.
Un des objectifs de cet agenda de réforme est d’augmenter le taux d’activité de la population européenne, c’est-à-dire la proportion de celle-ci qui est sur le marché de la force de travail, soit en emploi, soit au chômage (évidemment, un deuxième objectif est d’augmenter la proportion des actifs qui ont un emploi, en durcissant les conditions des sans-emplois). D’où le fait qu’un des traits commun à toutes les réformes des retraites en Europe est le relèvement de l’âge de départ et le durcissement des conditions permettant le départ en pré-retraite.
Certains pays ont mené des réformes avant la crise. Ainsi, on se souvient de la réforme de mai-juin 2003 en France. Au même moment, en Allemagne, le deuxième gouvernement du social-démocrate Gerhard Schroeder mettait en œuvre son Agenda 2010, un ensemble de réformes dont celle des retraites. Dans les deux cas, cela avait provoqué des crises politiques.
Les cas les plus importants depuis le début de la crise
En France, le train des réformes est reparti en 2010, et a de nouveau provoqué le grand mouvement dont on se souvient. La réforme était prévue pour 2012, mais a été avancée à 2010 en raison des effets de la crise économique sur les finances publiques. Sarkozy dans plusieurs interviews a pointé cette réforme comme la plus importante mesure qu’il ait prise durant son quinquennat.
La réforme prévoit le relèvement progressif à partir de 2011 et jusqu’en 2017 de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Elle prévoit aussi le relèvement de 65 à 67 ans de l’âge de départ donnant droit à une pension à taux plein indépendamment des annuités cotisées par le·la futur·e retraité·e. Les annuités donnant droit à une pension à taux plein, déjà les plus élévées d’Europe à 41, seront relévées à 41,5 à l’horizon de 2020.
En Espagne, la réforme a été menée par le gouvernement social-démocrate de José-Luis Zapatero en janvier 2011. Zapatero avait pris des mésures d’austérité en juin 2010, au lendemain du premier sauvetage grec et à un moment où l’on spéculait beaucoup sur la possibilité d’une « contagion » de la crise des dettes souveraines qui se répandrait ainsi de la Grèce aux autres maillons faibles de la zone euro. Ces mésures (gels des salaires et des pensions de retraites) n’avaient pas suffi à calmer les marchés financiers, et vers la fin de la même année le gouvernement de Zapatero a été acculé à de nouvelles réformes. Et tout cela à l’encontre du programme sur la base duquel Zapatero avait accédé au pouvoir.
La réforme prévoit le relèvement progressif entre 2013 et 2027 de l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans. Il prévoit l’allongement de la durée du temps travaillé par le-la futur retraité·e sur laquelle sera calculée sa pension de quinze à vingt-cinq ans. La conséquence sera des pensions moins élevées. La réforme introduit également le principe d’une pension proportionnelle aux annuités durant lesquelles le·la retraité·e aura cotisé. Elle prévoit aussi le relèvement des annuités donnant droit à une pension à taux plein de 35 à 37 ans. Enfin, elle durcit les conditions donnant droit à un départ en pré-retraite à taux plein (à partir de 63 ans et non plus 61, et seulement au delà de 33 annuités cotisées et non plus 30).
En Italie, la réforme des retraites a été l’une des deux réformes emblématiques du gouvernement Monti, l’autre étant celle du marché du travail. Monti a pris la tête d’un gouvernement de technocrates en novembre 2011. Il a remplacé celui de Berlusconi, ce dernier ayant perdu la confiance de Merkel et Sarkozy et la Banque centrale européenne n’étant pas intervenue pour enrayer la hausse des taux d’intérêt de la dette publique italienne. Cette réforme a fait partie du premier plan de rigueur mis en place par Monti, en décembre 2011.
Elle prévoit trois changements principaux. D’abord, le relèvement de l’âge de départ à la retraite, passé de 65 à 66 ans dès 2012 pour les hommes, et de 60 à 66 ans de façon progressive entre 2012 et 2018 pour les femmes. Ensuite, la réforme généralise le principe de la pension proportionnelle aux cotisations pour tous les salarié·e·s, un principe introduit en 1995 dans le système italien dans un contexte similaire de rigueur. Troisième élément, les annuités donnant droit à une pension à taux plein ont été relévées de 40 à 42 pour les hommes et à 41 pour les femmes. La réforme a aussi prévu une désindexation des pensions sur l’inflation pour l’année 2012 (sauf pour les petites pensions).
Toutes ces réformes se ressemblent très fortement. Elles contiennent les mêmes mesures et poursuivent les mêmes objectifs. Et elles sont pareillement impopulaires partout où elles ont été menées. Les mouvements sociaux des pays du sud de l’Europe montrent le chemin d’une lutte sans merci.
Christakis Georgiou
Christakis Georgiou participera à deux soirées de débat,mercredi 6 mars, 20 h au Café Gavroche (4 boulevard James-Fazy, Genève) et jeudi 7 mars au Grand Salon du Buffet de la gare de Lausanne.