Mohamed, peux tu nous présenter le RAID ?
Le RAID est le Rassemblement pour une Alternative Internationale du Développement, et entend jouer le rôle d’Attac Tunisie en luttant contre la mondialisation libérale afin de récupérer tous les espaces que la finance confisque à la démocratie. Il s’agit d’une association tunisienne à caractère général, constituée le 9/9/1999. Avant cette date, nous avions entamé les démarches juridiques prévues par la loi de 1959 sur les associations, qui prévoit une demande d’autorisation préalable, c’est-à-dire le dépôt des statuts et une demande d’autorisation auprès du ministère de l’Intérieur. Tout ceci dans le cadre de l’article 8 de la constitution qui garantit les droits élémentaires.
Etes-vous parvenus à obtenir cette autorisation ?
Non. Le problème est que la Constitution délègue au Législateur l’aménagement de la pratique de ces droits, et qu’actuellement en Tunisie, cette pratique est soumise au droit souverain du Ministre de l’Intérieur. La loi vient ensuite bafouer la Constitution et devient de ce fait anticonstitutionnelle. Et il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Ni le tribunal administratif ni la juridiction ordinaire n’ont l’audace ou le courage d’exercer ce contrôle alors que dans les textes, rien ne leur interdit de le faire. On peut toutefois noter l’exception du tribunal administratif de Kairouan qui en 1990 a rendu un jugement dans lequel il a contesté la constitutionnalité de la loi sur les associations, mais le jugement a ensuite été infirmé par la Cour d’appel de Monastir.
Comment pourrait-on sortir de cette impasse ?
Le RAID revendique l’existence d’un tribunal ou d’un conseil pour contrôler la constitutionnalité des lois. Le dernier projet de réforme de la Constitution, présenté par le président Ben Ali le 7/11/2001 lors du 14e anniversaire de son accession au pouvoir, ne fait pas allusion à l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel au contrôle de cette constitutionnalité des lois. Son rôle n’est actuellement que consultatif.
Où en est le RAID aujourd’hui par rapport au problème de sa reconnaissance ?
Notre association avait donc déposé la demande d’autorisation et les statuts en 1999. Après trois mois de silence de la part du Ministère de l’Intérieur, l’association est normalement reconnue légale de fait. Le 9/9/1999, les trois mois étaient écoulés sans nouvelles, donc le RAID devenait légal. Malheureusement le Ministère a refusé de nous délivrer le récépissé de dépôt de notre dossier, donc le RAID n’a pas d’existence légale, au mépris des règles démocratiques. Lors de notre tentative de publication au Journal Officiel, le directeur de l’Imprimerie officielle a exigé ce récépissé, que l’Administration ne nous a pas octroyé car il prouvait l’expiration du délai. Le RAID est un mouvement qui dérange et que le pouvoir veut faire taire à tout prix.
Comment se passe l’action quotidienne du RAID ?
Le RAID compte actuellement environ 150 membres, dont une vingtaine d’actifs. Mais à cause du fait que nous ne sommes toujours pas reconnus plus de deux ans après le début de nos démarches, les conditions de travail au sein de notre organisation sont très difficiles, car nous manquons cruellement de moyens financiers et matériels pour promouvoir une activité d’envergure.
Peux-tu nous raconter vos démêlés judiciaires lors de ces deux années de vie du RAID ?
De nombreux évènements tragiques ont émaillé ces deux années.
Tout d’abord, le 8 avril 2000, Fathi Chamkhi, à l’époque président provisoire du RAID, et moi avons été arrêtés, en compagnie de Iheb El Hani (un simple photocopieur non membre du RAID). Après deux jours de garde à vue, nous avons comparu devant un juge d’instruction pour 4 chefs d’inculpation : maintien d’une association non reconnue, diffusion de fausses nouvelles de nature à perturber l’ordre public, incitation à transgresser la loi et diffamation des corps constitués. Nous risquions jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Nous avons été incarcérés à la prison civile de Mornag pendant un mois. Grâce au soutien de l’extérieur (notamment Attac, et son groupe local du Rhône jumelé avec le RAID) et d’associations indépendantes et d’avocats de Tunisie, nous avons été libérés le 8 mai 2000.
Le 24 juin 2000, nous avons été interpellés de nouveau pour assister au procès. Nous avions demandé au juge d’instruction et au procureur de la République de classer l’affaire, mais nous n’avons pas eu gain de cause. Le régime persiste dans ses errances. Nous avons comparu devant le tribunal de première instance de Grombalia pour deux chefs d’inculpation seulement : maintien d’une association non reconnue et diffusion de fausses nouvelles de nature à perturber l’ordre public. Fathi fut condamné à un mois de prison pour le premier chef et une amende de 100 dinars pour le second ; moi à un mois de prison pour le premier chef et acquitté pour le second ; fort heureusement, Iheb fut acquitté. La clémence des peines, correspondant à la durée d’emprisonnement préventif, fut possible grâce à l’impressionnante mobilisation internationale à cette occasion.
Nous avons malgré tout fait appel de ce jugement, mais en juillet 2001, juste avant la période de vacances judiciaires, la Cour d’appel a alors confirmé le jugement initial.
Quelles actions avez-vous pu entreprendre dans ces conditions fort difficiles ?
Jusqu’à maintenant, nous avons évolué dans un cadre non légal, donc notre action est étouffée car nous n’avons pas la possibilité de communiquer avec les sympathisants de notre organisation. Pour un colloque ou une table ronde à organiser, pour la location d’une salle ou une réservation dans un hôtel, on nous demande ce fameux agrément que nous n’avons pas. Nous avons tout de même la chance de pouvoir compter sur la collaboration de l’ONG de développement nommée El Taller, présidée par une femme indienne, qui nous permet de pouvoir exister un minimum. Bien sûr elle a reçu des menaces pour cela.
En 1999, nous avons organisé un colloque sur la mondialisation et ses répercussions sur le Tiers Monde, en partenariat avec Attac Rhône et son président Jean-Luc Cipière.
En 2000, avant notre arrestation, nous avons mis en place un colloque sur la dette en partenariat avec le CADTM, en présence d’Eric Toussaint, puis un autre colloque sur la dictature des marchés avec Mahmoud ben Romdhane, économiste tunisien, ancien président d’Amnesty International.
Après notre arrestation, nous avons voulu reprendre nos activités, notamment avec une journée contre les privatisations, à l’occasion de la cession des Cimenteries Tunisiennes au groupe portugais Cimpor, au début de 2001.
En juin 2001, nous avons tenté de réunir notre premier congrès constitutif , mais les forces de l’ordre ont encerclé la maison de Sadri Khiari où il devait se dérouler. Dès le premier jour, de nombreux adhérents ne sont pas parvenus à pénétrer à l’intérieur et à rejoindre la réunion. Le second jour, des représentants d’Attac Marseille, d’Attac Maroc, et même un sénateur italien ont été empêchés d’entrer, avant l’évacuation des lieux par la police alors que nous nous trouvions dans une maison privée. Au mépris de toutes les lois. Le congrès fut alors interrompu, et nous en organisons un second les 5 et 6 janvier 2002 pour adopter la plate-forme et le règlement intérieur de notre association, ainsi que pour élire notre bureau et préparer un programme de travail.
Sur quels thèmes travaillez-vous de façon plus approfondie ?
Nous avons créé deux groupes de travail, un sur les privatisations et un sur la dette, dont l’actions se place dans la durée. Sur la dette, d’une part, nous sommes en train de mettre la dernière touche à la traduction en arabe du livre « La Bourse ou la Vie » d’Eric Toussaint. D’autre part, bien entendu, nous travaillons plus spécifiquement sur la dette tunisienne.
La Tunisie en est à la deuxième phase du Plan d’Ajustement Structurel (PAS). Toutes les négociations se passent dans la plus grande opacité. Les organisations professionnelles et les syndicats ne sont pas consultés. Par exemple, personne n’avait connaissance du contenu de l’accord agricole signé en janvier 2001 avec l’Union Européenne.
Ce plan a bien sûr des conséquences sur la politique tunisienne. La loi de finances 2002 prévoit des privatisations, le désengagement de l’Etat de ses missions sociales. Pour l’enseignement supérieur par exemple, le budget va baisser, et il est maintenant prévu une participation des usagers des différents services.
Avez-vous participé aux différentes manifestations internationales contre la mondialisation néolibérale ?
Oui, bien sûr. D’abord en novembre 2000, nous avons pris une part active, aux côtés d’autres associations du Maghreb, lors du sommet Euromed dans le cadre du processus de Barcelone. Nous étions présents à Gênes en juillet 2001, et à l’occasion du sommet de l’OMC à Doha en novembre 2001, nous avons pu lancer l’idée d’un réseau arabe alternatif de type Attac. C’est ainsi que nous avons participé à une première réunion au Liban.