Dans une de ses diatribes, la Corée du Nord s’en est prise récemment à la présidente du Sud, Park Geun-hye, en évoquant le « vent de la jupe » de l’hôte de la Maison Bleue (résidence présidentielle). Le frou-frou de la longue jupe de soie traditionnelle a longtemps été une moquerie machiste, sinon une insulte, à l’égard des femmes à poigne, qui se mettent en avant, prennent la place des hommes ou dirigent en « mères-dragon » l’éducation des enfants : bref, le contraire de l’idéal de la femme traditionnelle réservée et se tenant en retrait.
Dans la Corée du Sud moderne, l’expression a pris un caractère sexiste. Mais le pays n’en conserve pas moins des traditions patriarcales enracinées, dont n’est pas exempte au demeurant la socialiste République populaire démocratique de Corée (RPDC).
La loi de 1946, dont les dispositions furent incorporées à la Constitution de 1948, accordait aux Nord-Coréennes plus de droits que dans tout autre pays de cette partie du monde à l’époque. Progressiste sur le plan des principes, le régime nord-coréen n’en faisait pas moins preuve de conservatisme dans les faits. La « nouvelle femme » coréenne devait être révolutionnaire certes, mais aussi bonne épouse et bonne mère. Et une forme de patriarcat s’est maintenue, malgré l’extension de l’économie parallèle tenue majoritairement par les femmes.
La situation des femmes a ainsi empiré, car elles ont davantage de responsabilités à l’extérieur (pour gagner quelque argent) tout en continuant à s’occuper de la famille, souligne une réfugiée de Chongjin (nord-est de la RPDC), arrivée à Séoul en 2011. « Les hommes du Nord ont une attitude très traditionnelle vis-à-vis des femmes. Même arrivées au Sud, nous conservons ces valeurs en nous. Le »vent de la jupe« est pour nous aussi une expression péjorative signifiant qu’une femme veut se placer au-dessus de l’homme », explique-t-elle.
En dépit de l’émancipation des jeunes Coréennes depuis une trentaine d’années - et peut-être à cause de cela -, certains hommes au Sud recherchent chez leur future conjointe le comportement féminin traditionnel. Une quête qui explique le succès des agences matrimoniales spécialisées dans les mariages de Nord-Coréennes avec des Sud-Coréens. L’une des premières à s’être créée s’appelle Nam nam buk nyo (« Homme du Sud - Femme du Nord ») - un vieil adage veut que le couple idéal unisse une femme du Nord, réputée belle, et un homme du Sud, supposé intelligent et fort.
Hong Seung-woo, qui dirige l’agence, raconte qu’il en eut l’idée après avoir lui-même divorcé d’une Sud-Coréenne pour se remanier avec une « nordiste ». Il ne peut, dit-il, que s’en féliciter. Des amis lui demandèrent conseil pour en faire autant et il finit par ouvrir son agence. « Les Coréennes du Sud sont exigeantes : ma femme m’a quitté parce que je ne gagnais pas assez d’argent et que je n’avais pas de carrière devant moi. Beaucoup de Coréens du Sud âgés de 30 à 40 ans et provenant de couches sociales diverses trouvent agressives les femmes de leur génération. » Nam Nam Buk Nyo, l’une des cinq agences spécialisées en mariages intercoréens, est à l’origine de plus de 400 unions depuis sa création en 2006 (dont quatre se sont soldées par un divorce).
« Les Sud-Coréens aussi veulent être le »roi« de la maison, mais ils ont grandi dans une société plus respectueuse de l’égalité des sexes », estime une réfugiée mariée à un Coréen du Sud. Nombre de femmes du Sud ne partageraient pas forcément cet avis... Mais les Nord-Coréennes sont peut-être d’autant moins exigeantes qu’elles sont en position de faiblesse et connaissent des difficultés à s’intégrer.
La grande majorité des 21 000 réfugiés du Nord arrivés au Sud après un long périple à travers la Chine sont des femmes. En général âgées d’une trentaine d’années, elles sont plus nombreuses que les hommes, car elles pensent qu’elles ont plus de chance de trouver un travail. « Comme elles parlent la même langue et ont la même culture, les contacts sont plus faciles pour trouver un mari », souligne M. Hong. Les mariages d’étrangères avec des Sud-Coréens sont en augmentation : une union sur dix. Les filles quittent les campagnes pour la ville et les garçons se tournent souvent vers des agences spécialisées dans les « voyages de rencontre » en Asie du Sud-Est ou en Chine. De 127 000 en 2007, ces mariages avec des étrangères sont passés à plus de 250 000 en 2012. Un phénomène social qui a inspiré son premier roman à l’écrivaine Cheon Un-yeong, Adieu le cirque (Serge Safran, 18, 50 €, à paraître le 4 avril). La Corée du Sud est-elle en train de devenir une société multiethnique par les femmes ?
Les problèmes d’insertion, communs à tous les pays d’immigration, se doublent dans son cas d’une image enracinée de nation à l’ethnie « homogène », « coréenne par le sang ». Pour beaucoup, être coréen signifie être né de parents coréens et pas seulement avoir obtenu la nationalité. L’immigration légale (appelée à augmenter en raison d’un vieillissement rapide de la population et d’une chute de la natalité) - et illégale (un demi-million de Bengalis, Pakistanais ou Philippins travaillent pour des salaires de misère) - reste faible comparée à d’autres pays, mais elle pourrait contraindre les Coréens à redéfinir leur conception de la nation. Au moins, avec les Nord-Coréennes, le problème de la « pureté du sang » ne se pose pas.
Philippe Pons