Pour sa 9e édition, c’est Tunis que le Forum social mondial avait choisi pour planter ses tentes, du 26 au 30 mars derniers. En pleine révolution.
Ponctuellement, et comme jamais depuis l’édition de 2004 à Mumbai, le lien avec les mouvements sociaux du pays hôte, s’est fait, et bien fait.
Au point de venir bousculer la routine qui, depuis 2005 guettait cet important moment de réseautage des mouvements sociaux qu’est le FSM en imposant d’autres regards, d’autres priorités.
Car, quand elle s’invite à table, c’est elle qui choisit le menu, la Révolution !
Sans l’ombre d’un doute, l’insurrection de janvier 2011 et l’immense mobilisation qui a fait suite à l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février auront marqué ce FSM durant lequel des dizaines de milliers de participants ont discuté et échangé dans plus d’un millier d’ateliers.
Le contraire eût été consternant. C’est en effet au cœur d’une mondialisation capitaliste fondée sur une division internationale du travail que la révolution tunisienne a commencé avec l’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, de Mohamed Bouazizi. Au centre donc de ce que le FSM se propose de dénoncer et combattre depuis sa première édition, à Porto Alegre, en janvier 2001.
Note secrète
C’eût été d’autant plus consternant que c’est en plein forum, le 27 mars, qu’a été rendue publique une note secrète adressée conjointement par le gouverneur de la BCT, la banque centrale tunisienne, et le ministre des finances à la directrice du Fond monétaire international, Christine Lagarde.
Dans celle-ci, les deux compères offrent au FMI le droit d’audit des principales entreprises publiques, « de la masse salariale de la fonction publique, des scénarios de réforme des retraites et de l’assurance maladie » en échange d’un prêt de quelques 1,35 milliards d’euros destiné venir en aide aux banques privées tunisiennes. Dans le collimateur de cette note secrète se trouve notamment la STEG, la Société tunisienne de l’électricité et du gaz qui pourrait être mise en vente.
De même, la note qui vise, comme le titre la très modérée « La Presse de Tunisie » du 31 mars, à « dérouler le tapis rouge pour le capital » fait la part belle aux avantages salariaux que la Tunisie pourrait garantir dans le cadre de la division internationale du travail. Elle attire l’attention de la directrice du FMI sur le fait que les investisseurs étrangers pourraient, toujours selon le même journal, profiter « d’une masse salariale aux abois pour imposer des conditions de travail peu décentes ».
Des call-center aux cliniques…
Ces avantages de compétitivité s’inscrivent parfaitement dans la division internationale du travail. A ce titre, en plus des call-center implantés par centaines en Tunisie, des militants tunisiens participant aux ateliers sur les politiques de protection sociale ont mis en évidence le rôle particulier de cliniques privées aux salaires très bas dans cette division internationale.
Elles concourent aussi bien au maintien de la pauvreté en Tunisie qu’au démantèlement des systèmes de protection sociale, aux bas salaires et à l’austérité en Europe.
Ainsi, nombreuses ont été ces dernières années les compagnies d’assurance maladie britanniques qui refusent la prise en charge de certains traitements en Grande Bretagne, ceux-ci étant nettement moins onéreux dans les cliniques privées –au capital desquelles participent souvent ces mêmes compagnies d’assurance- installées en Tunisie.
A cela s’ajoute la gestion d’une dette extérieure qui a triplé au cours des trois dernières années et qui fait office, d’après Fathi Chamkhi, porte-parole de Raid Attac et membre de la direction du Front populaire, de « régulateur » en compensant le fléchissement des exportations. Autrement dit, c’est le recours à l’endettement qui garantit les profits, en devises fortes, d’entreprises étrangères telles Carrefour, omniprésente en Tunisie.
La routine bousculée
Ce sont justement ces aspects que Fathi Chamkhi est venu développer dans un atelier sur la rétrocession par la Suisse des biens de Ben Ali. Alors que Verts conseillers aux Etats et professionnels de la coopération dissertaient sur les meilleures conditions pour rendre cet argent – avec un souci bien calviniste qu’il soit « bien utilisé » –, il y est venu élargir le débat, de Ben Ali au « système », de la compassion pour les pauvres au droit des peuples de construire leur avenir.
Bien que difficile à généraliser aux plus de 1000 ateliers, cette logique qui bouscule la routine des ONG s’est largement imposée, jusque dans l’assemblée finale des mouvements sociaux durant laquelle la liturgie habituelle a volé en éclats non seulement à cause des provocations d’envoyés du gouvernement marocain venus attaquer les sahraouis, mais surtout par l’irruption de la jeunesse tunisienne et de ses slogans révolutionnaires.
Et pour conclure, n’oublions pas que cet enthousiasmant FSM s’est clos sur la plus importante manifestation pour la Palestine des deux dernières décennies, « un défilé mondial » comme l’écrit « La Presse de Tunisie ».
Paolo Gilardi