Nicolás Maduro se donnait pour objectif de récupérer les votes d’Hugo Chávez et même de les dépasser en parvenant à 10 millions, mais il n’en a obtenu que 7.505.338, perdant 600 mille suffrages par rapport à la dernière élection de Chavez et ne gagnant qu’avec une avance de 300 mille votes, obtenant 50.6% contre 49.07 pour Capriles. L’abstention n’a que faiblement progressé, passant de 20 à 22%, ce qui démontre que la majorité des votes perdus par Maduro ont directement passé à l’opposition qui, imitant Chávez et disputant son héritage, a réussi à entrainer un secteur de la classe moyenne auparavant chaviste et même certains secteurs ouvriers.
La campagne du camp chaviste a été très pauvre : grand déploiement de rhétorique nationaliste que Capriles neutralisait en se drapant de la figure de Bolivar et du drapeau, aucune idée sur l’approfondissement du processus social, et encore moins, sur le socialisme, appels répétés à la loyauté (dirigés en partie à la lutte interne au sein de l’appareil d’Etat). Aucun encouragement à l’initiative et à l’auto organisation populaire, silence sur les organismes de pouvoir populaire et un mélange de religiosité et de mysticisme (le fameux oiseau). Celle de Capriles, insidieuse et faite de mensonges, a été plus habile par son insistance à différencier Chávez de ses successeurs et à attaquer ces derniers en mentionnant continuellement les privilèges, la corruption et les affaires de la boli-bourgeoisie et en gardant le silence sur ses propres plans et ses liens avec l’impérialisme. Les votes chavistes qu’il a gagné et les voix perdues de ceux qui se sont abstenus ne représentent en rien un vote porteur d’espoir, mais une protestation face à l’inflation de 20% qui dévore les salaires et les effets négatifs de la dévaluation sur les secteurs populaires. Protestation également contre la délinquance, la violence, la corruption et, comme nous l’avons vu lors des funérailles de Chávez quand ceux qui allaient à la chapelle ardente obligèrent les ministres à descendre de leurs luxueuses voitures et à marcher avec eux, contre les privilèges de nombreux fonctionnaires.
Capriles demande avec insistance un recomptage des votes malgré le fait que le vol des bulletins électoraux soit impossible au Venezuela. Le gouvernement des États-Unis qui garda le silence devant les scandaleuses manipulations électorale de 1988 et 2006 (au Mexique, ndtr.) seconde Capriles et prépare un coup d’État déguisé en campagne démocratique et moralisante. Washington et la droite anti-chaviste tissent maintenant leurs liens avec la droite du chavisme et avec le secteur le plus conservateur des forces armées. L’étape suivante sera d’impulser une campagne qui combinera sabotage, fuite de capitaux, campagnes de presse, lock outs patronaux, manifestations étudiantes cherchant à provoquer des victimes et tentatives de corruption de personnalités civiles et militaires dans les milieux officiels.
Le danger immédiat réside donc dans la droite chaviste qui interprétera la faible marge de votes qui permit au chavisme de continuer à gouverner comme un signal incitant à freiner le rythme du processus et à négocier avec l’opposition en lui faisant des concessions.
Cependant si les 1.600 entreprises expropriées fonctionnent mal, il ne faut pas les privatiser à nouveau mais, au contraire, les administrer correctement et sous le contrôle des travailleurs. Si les organismes de pouvoir populaire ne fonctionnent qu’à moitié, il ne faut pas les éliminer : il faut, au contraire, cesser de les contrôler depuis l’appareil d’état et de les asphyxier et leurs donner plus de responsabilités. Si la délinquance est importante, qu’elle soit contrôlée et combattue par tous les moyens nécessaires par l’organisation dans les quartiers et pas par une police corrompue et corruptible. Les droits démocratiques sont assurés par le référendum révocatoire, mais pour donner une issue positive au mécontentement, et pour freiner le « golpisme » prétendument « démocratique », il faut l’étendre à toutes les charges publiques. A la place d’interdire les grèves et de réprimer les syndicats et les travailleurs il faut discuter avec eux sur un pied d’égalité. A la place de transformer le socialisme en rhétorique de propagande vide de sens, il faut discuter publiquement, avec tous et sans aucune restriction, de quelles doivent être les mesures à prendre pour aider à sa réalisation, comment éviter la bureaucratie et la corruption, avec la participation consciente et organisée des ouvriers, des étudiants et des intellectuels. Plutôt que d’embellir la réalité, il faut identifier à temps les difficultés pour les corriger. En lieu et place du paternalisme et de la loyauté, il faut laisser la place à l’initiative, la créativité, l’innovation, la critique et la construction de la citoyenneté.
Maduro a promis des augmentations massives et immédiates de salaire qu’il devra tenir sous peine de payer un lourd prix politique. Mais avec une très forte inflation et une pénurie d’aliments et de produits divers, un marché noir, une réduction des salaires réels, ces augmentations ne feront au mieux que compenser en partie la perte du pouvoir d’achat. Le Venezuela ne peut pas exclusivement dépendre du prix du pétrole : il doit produire et augmenter sa productivité. Il faut appliquer les mesures qui permettent d’en finir avec l’inefficacité ou la corruption au sein des appareils administratifs et qui favorisent les grands importateurs et il faut former de toute urgence de jeunes administrateurs et des techniciens efficaces et innovateurs. Il est également nécessaire d’apprendre du passé et, à la place de se laisser guider par une image déformée et mythique de l’expérience péroniste, comprendre sérieusement pourquoi Péron a conduit au cours des années cinquante l’économie argentine dans un cul-de-sac avant d’être renversé et pourquoi il a répéter cette politique néfaste au cours des années septante ouvrant la porte à une féroce dictature de droite. Il est fondamental que l’histoire latino-américaine et celle du socialisme se discutent sans entraves ni limites car sans apprendre du passé il est impossible de préparer le futur. Face à la presse « golpiste » il faut stimuler la création d’une presse de gauche, syndicale, des groupes et des organisations : si elle critique certaines mesures du gouvernement cela permettra de les corriger si cela est nécessaire ou, au contraire, de convaincre les critiques qu’ils se trompent. En un mot, pour réduire l’influence du « golpisme » en marche et le battre, il n’y a pas d’autre voie que celle de faire appel aux travailleurs et d’approfondir le processus.
Guillermo Almeyra