1. Une fois de plus, les formes et les contenus de la crise, en France comme en Europe, ont été surprenants, imprévisibles. Crise économique et crise politique sont conjointes. Les accélérations, les tournants brusques sont inscrits dans la situation. C’est la première leçon à tirer des derniers évènements. Il faut aller vite, répondre vite. La deuxième, c’est que nous ne choisissons pas les terrains de la lutte sociale ou politique, même si nous sommes devant la difficulté suivante : une crise politique majeure, qui renvoie à des contradictions internes, qui, non seulement ne résulte pas d’une poussée ouvrière, mais coïncide avec une offensive de la droite et de l’extrême droite.
2. C’est là, que commencent les problèmes, car si la situation est compliquée, contrairement, à une série de points de vue qui se sont exprimés, la direction du NPA n’a pas donné des « réponses trop institutionnelles », à la crise « Cahuzac ». Quand des millions de gens discutent d’un événement, d’une crise politique majeure, ressentie à une échelle de masse comme une crise de représentation, nous ne pouvons pas expliquer, comme certains, que c’est une diversion ou qu’il faut parler d’autre chose, parce que ce n’est pas notre terrain. Non, nous devons répondre à la question posée : la crise « Cahuzac » n’est pas seulement le problème d’un homme, c’est la question de tout un système politique, institutionnel, inextricablement lié aux politiques d’austérité capitaliste développées depuis des années, qu’il faut renverser et remplacer.
3. De même, lorsque Mélenchon appelle à la manifestation du 5 mai, au-delà de la méthode et de ses objectifs, et qu’il ya une situation marquée par cette crise énorme de la gauche au gouvernement et une offensive de la droite, et que nous n’avons pas de proposition de remplacement, pouvons-nous dire : le 5 mai, c’est une diversion ou un pare-feu ? Lorsqu’il faut manifester, dans l’unité, contre l’austérité et reprendre la rue à la droite et l’extrême droite homophobe, pouvons nous nous abstenir ou opposer le 1er mai au 5 mai ? Certes, c’est une question tactique, mais elle est sérieuse. Comment pourrions-nous critiquer le Front de gauche dans leur refus de se considérer « dans l’opposition au gouvernement » et ne pas appeler à cette manifestation ? Comment appeler à mobiliser, à résister, à manifester, à longueur de tracts et d’articles dans notre presse et sur notre site contre l’austérité gouvernementale et la droite… mais nous abstenir lorsqu’il y a une telle initiative.
Il faut appeler le plus massivement possible à manifester le 1er Mai et le 5 mai, parce qu’au-delà des positions de la direction du Front de Gauche, les gens qui participeront à cette manifestation la chargeront d’un autre contenu : le rejet de l’austérité, l’opposition au gouvernement, le ras-le-bol de la corruption, le combat contre la droite et l’extrême droite. « Marcher séparément », parce que nous ne partageons pas les positions de Mélenchon et du PCF sur la VIe République, mais « frapper ensemble » parce que cette manifestation va rassembler contre l’austérité gouvernementale et contre droite et l’extrême droite, voilà notre politique.
4. Si nous appelons à manifester, se pose bien entendu, la question des bases politiques : ce sont celles d’un plan d’urgence social et démocratique. Social et démocratique, les deux.
• Urgence sociale pour défendre les principales revendications sur l’interdiction des licenciements, les augmentations de salaire, la défense des services publics et des retraites. Mais dans cette situation de crise, ces revendications doivent être accompagnées, plus que jamais par des mesures comme la levée du secret bancaire, le contrôle des changes et l’interdiction de mouvements de capitaux vers les paradis fiscaux, la nationalisation des banques sous contrôle des travailleurs et de la population, l’annulation des dettes illégitimes contre les politiques d’austérité. L’affaire « Cahuzac » donne, ainsi, un contenu d’urgence sociale sur la nécessité d’incursion dans la propriété bancaire et financière, et sur la nécessité d’un contrôle populaire sur la vie économique et politique.
• Urgence démocratique pour changer le système politique imbriqué avec les puissances de l’argent. L’affaire « Cahuzac » est la manifestation éclatante de ce système. Il est urgent de mettre fin à cette république des riches. Il faut en finir avec les institutions de la Ve République et la remplacer par une démocratie réelle qui mette fin au pouvoir de l’argent au profit d’assemblées élues, qui impose le contrôle direct de la population sur les élus rémunérés à un niveau équivalent au salaire moyen, révocables, qui interdise les concentrations des pouvoirs et le cumul des mandats. Urgence démocratique, que met à l’ordre du jour la lutte contre l’offensive réactionnaire et homophobe de la droite et de l’extrême droite. Ce sont les éléments d’un programme d’urgence pour une opposition de gauche au gouvernement Hollande-Ayrault.
5. Les questions sociales et démocratiques sont, donc, inextricablement liées. Si sur le plan social, nous pouvons discuter ici ou là telle formulation, mais il y a un large accord dans le parti. Visiblement, ce n’est pas le cas sur le plan politique institutionnel. Il ne s’agit pas de plaquer des réponses institutionnelles sur n’importe quelle situation, mais lorsqu’il ya une conjoncture qui exige des réponses sur ce terrain il ne faut pas hésiter. Le NPA avait d’ailleurs adopté à son 1er congrès un document sur les réponses à la crise où la dimension démocratique abordée : « Une démocratie politique élargie implique de rompre avec les institutions de la Ve République et leur hyper présidentialisme, de supprimer la fonction présidentielle. De revendiquer la proportionnelle intégrale, l’élection d’une Assemblée constituante, la suppression de toutes les instances qui comme le Sénat ou le Conseil constitutionnel confisque encore plus la démocratie. D’établir une rotation et une limitation stricte des mandats, la parité réelle dans tout corps élu. De développer une citoyenneté complète de résidents-travailleurs basée sur le droit du sol intégral. Ces nouvelles conquêtes démocratiques ne peuvent se penser sans des mobilisations profondes, émancipatrices, inventant de nouvelles formes de pratiques démocratiques répondant aux défis du monde d’aujourd’hui ».
Les anticapitalistes, les révolutionnaires doivent donc prendre en charge la défense des droits et libertés démocratiques. Sur un plan historique, cette question a été abordée, par exemple, par Trotski, qui, en 1934, dans un autre contexte – la défense de la démocratie contre les attaques violentes de la bourgeoisie bonapartiste et fasciste – a avancé l’idée de l’ élection d’une « assemblée unique » appuyée sur des assemblées locales. Celui-ci s’adressait aux militants socialistes, « pour qu’il s’inspirent des idées et des méthodes non de la IIIe république mais de la Convention de 1793 pendant la révolution Françaises ». L’ex-LCR, de la campagne présidentielle d’Alain Krivine en 1969... jusqu’au Manifeste de 2004, a repris l’idée d’une rupture démocratique avec les institutions de la Ve république, l’abrogation de la constitution de 1958, et la proposition d’une assemblée constituante.
6. Nous pouvons discuter de telle ou telle formule, mais les anticapitalistes ne sont pas indifférents face aux formes politiques que prend la domination de la bourgeoisie. Ils s’opposent à toutes les formes dictatoriales et autoritaires de cette domination et proposent une démocratie radicale qui rompt avec l’ordre établi. Lorsque nous défendons l’abrogation de la Constitution de 1958 et un processus constituant, il y a d’abord l’idée de rupture, ensuite, la proposition de donner le pouvoir à des assemblées élues et souveraines qui exercent tout le pouvoir législatif et exécutif, se libèrent de l’emprise du marché et ne s’interdisent aucune incursion dans tous les domaines de la vie sociale et économique. C’est notre conception d’un processus constituant qui part de la rupture, se concrétise par l’élection d’une nouvelle assemblée et s’approfondit avec un mouvement vers la socialisation de l’économie, l’auto-organisation, et l’autogestion, appuyé sur un mouvement d’en bas. S’il prenait forme, ce processus passerait inévitablement par une confrontation avec les classes dominantes, la constitution d’un gouvernement des travailleurs, et, à un certain stade, le démantèlement du vieil état bourgeois.
7. C’est notre différence et notre désaccord avec la VIe République de Mélenchon. Il y a une référence à un processus constituant, mais sa VIe République ressemble plutôt à la IVe République. Et encore, car avec le temps et son utilisation de l’élection présidentielle, il ne supprime pas la présidence de la république – le FDG dit qu’il faudra discuter des modalités de la présidence. Il conçoit sa VIe République comme un régime d’assemblée dans le cadre des vieilles institutions bourgeoises. Ses idées s’inscrivent dans la continuité et de la transformation du vieil Etat. La rupture appuyée sur la mobilisation n’est pas au cœur de sa démarche. « Un coup de balai » mais un régime parlementaire, sans intervention populaire. Il n’y a aucune proposition de vie démocratique à partir de l’auto-organisation et autogestion populaire. Ses conceptions de réorganisation économique relèvent plus de l’étatisation que de la socialisation.
Bien sûr, nous devons critiquer les positions nationalistes de Mélenchon – le dernier exemple en date, étant un communiqué intitulé « Le gouvernement Ayrault veut vendre la France aux États-Unis » –, le choix de centrer son appel au 5 mai sur la VIe République en relativisant les questions de lutte contre l’austérité. De même, nous ne partageons pas le point de vue de Clémentine Autin qui présente le processus constituant pour une VIe République comme un « préalable » à la bataille pour une alternative politique. Il n’ y a sur ce plan, aucun préalable, si ce n’est la défense de toutes les revendications sociales et démocratiques qui favorisent la lutte.
Enfin, nous avons aussi un désaccord, sur le terrain même de la démocratie : la VIe république de Mélenchon, c’est une nouvelle république parlementaire, dans la continuité des politiciens de la III e et IVe République. Notre approche, c’est celle d’une république démocratique et sociale qui rompt avec le capitalisme, celle des communards de 1871, ce qu’on retrouve aujourd’hui, dans les aspirations des mouvements des indignés, pour une démocratie réelle !
François Sabado