Le Pacte germano-soviétique a été un coup de tonnerre dans un ciel qui n’était pas serein. Certes, un dictateur régnait dans chaque pays, mais l’un se présentait comme un bâtisseur du « socialisme réel » et avait le soutien de nombreux travailleurs dans le monde alors que l’autre représentait le fascisme au pouvoir.
Ayant lu le texte du Pacte et surtout ses annexes « secrètes » (lire ci-dessous les documents), il importe de se replacer dans l’époque et de voir comment de telles ignominies ont pu être couchées sur le papier sans que le monde ne s’en indigne. Certes les annexes étaient secrètes mais le Pacte ne l’était pas et son application fut rapide. Certes il y eu de vigoureuses protestations mais provenant d’une Gauche très isolée.
« Lâche soulagement » des « Démocrates »
Voyons d’abord ce qui s’est passé de notable entre janvier 1933, date de l’arrivée tout à fait légale de Hitler au pouvoir, et août 1939, quand fut signé le pacte.
Le 28 octobre 1922 Mussolini avait organisé la marche sur Rome qui lui permit de prendre la direction du pays. Il jouera un grand rôle pour établir des négociations entre nazis et puissances occidentales. Après de longues discussions, un Pacte à Quatre est signé le 15 juillet 1933 (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie) : ce fut le Traité de Rome qui promettait la paix entre les 4 signataires pendant dix ans.
Le 2 mai 1935 c’est entre la France et l’Union Soviétique qu’est signé un traité prévoyant un « secours mutuel en cas d’agression par une tierce puissance ».
Le 7 mars 1936 Hitler envahit la Rhénanie, ce qui ne fait réagir ni la France ni la Grande-Bretagne, puis, avec Mussolini, il soutiendra vigoureusement Franco pendant la guerre d’Espagne.
Une rencontre intéressante eut lieu en novembre 1937 entre Hitler et le ministre des Affaires étrangères anglais, Lord Halifax, à Berchtesgaden (résidence du Führer), pour parvenir à un nouvel accord à quatre, excluant toujours l’Union soviétique. Lord Halifax y déclare que les cercles dirigeants britanniques sont « pénétrés de l’idée que le Führer a réalisé beaucoup et pas seulement pour l’Allemagne, car en détruisant dans son pays le communisme, il lui a barré le chemin de l’Europe occidentale et que pour cette raison l’Allemagne peut être, à bon droit, considérée comme le bastion de l’Occident contre le bolchevisme ».
En mars 1938 c’était l’Anschluss, c’est-à-dire l’annexion de l’Autriche par les nazis bénéficiant du silence des gouvernements français et anglais. La même année c’est au tour de la Tchécoslovaquie d’être menacée. Elle conserve de solides liens avec la France et comporte de nombreuses minorités nationales : les Tchèques et les Slovaques ne représentent que 50 % de la population. C’est en 1918 que l’État tchécoslovaque a été proclamé. La minorité allemande (3 millions sur 15 millions d’habitants) constitue une majorité dans la région des Sudètes. Hitler annonce qu’il désire l’annexer, ce qui équivaut à une déclaration de guerre à la France.
C’est alors que sur proposition de Mussolini, il va organiser une conférence de la dernière chance à Munich en septembre 1938. C’est la surprise (et la consternation) générale : les quatre représentants (Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler) signent un accord sur le dos de la Tchécoslovaquie qui n’a pas été invitée (l’URSS non plus). Il prévoit que les Tchèques évacueront le territoire des Sudètes avant le 10 octobre 1938 et que les troupes allemandes l’occuperont progressivement. La majorité des hommes politiques français se révèlent « munichois ». Le leader du parti socialiste, Léon Blum, se targue d’un « lâche soulagement » et écrit dans Le Populaire : « La guerre est écartée, le fléau s’éloigne. La vie est redevenue naturelle. On peut reprendre son travail et retrouver son sommeil. On peut jouir de la beauté d’un soleil d’automne ». Quant à Georges Bidault, qui représente la démocratie chrétienne, il déclare : « Il semble vraiment qu’après cette rencontre des Quatre, le recours à la guerre devienne une impossibilité ». En France, seul le Parti Communiste proteste et ses 73 députés (plus 2 isolés) sont les seuls à ne pas voter pour la politique de Daladier.
D’avril à juin 1939 plusieurs projets sont présentés par les Soviétiques aux Anglo-Français prévoyant une assistance mutuelle en cas d’agression. Finalement une délégation militaire arrive le 10 août à Leningrad : elle est dirigée par des officiers qui n’ont aucun pouvoir de négociation sur le plan politique. Les Russes demandent que la Pologne laisse passer l’Armée Rouge chez elle afin qu’elle puisse affronter les forces du Reich. Il est demandé aux Alliés de faire pression sur la Pologne mais finalement celle-ci refuse d’autoriser les troupes soviétiques à entrer en Pologne, ou en Roumanie, en cas de nécessité.
« Amitié soviéto-allemande »
Staline est de plus en plus persuadé que les Occidentaux veulent orienter vers l’Est les ambitions de Hitler et la façon dont on a laissé tomber les Tchèques à Munich ne fait que confirmer ses craintes. Il ne lui reste plus qu’à s’entendre avec le Führer dont les troupes avaient envahi le 15 mars 1939 ce qui restait de la Tchécoslovaquie (Bohême, Moravie). Mais contrairement à ce qu’ont raconté par la suite divers « défenseurs » (pas forcément communistes) de l’URSS, il croyait vraiment à la durabilité du Pacte qui n’était pas pour lui un procédé temporaire pour retarder une agression nazie obligatoire. Khrouchtchev a insisté sur ce point au XXe Congrès du PCUS et a rappelé qu’averti en avril 1941 par de nombreuses dépêches de Churchill des préparatifs militaires nazis, il n’y a aucunement cru et n’a rien fait pour préparer l’URSS à l’agression.
Le 23 août 1939 c’était la signature du Pacte germano-soviétique par Molotov et Ribbentrop. Hitler n’a plus la crainte de devoir combattre sur deux fronts et le 1er septembre il attaque la Pologne, ce que Staline fera 17 jours plus tard. Soviétiques et Allemands se rencontreront sur la rivière Bug qui réalisera la nouvelle frontière entre les deux pays. Cela devait déclencher la deuxième guerre mondiale car la France et la Grande-Bretagne, alliées à la Pologne, se virent obligées de déclarer la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. Plus du tiers de l’ancienne Pologne est annexé à l’URSS, le reste à l’Allemagne. Staline en profite pour attaquer aussi la Finlande, annexer les pays baltes et envahir la Roumanie ! Tout cela fut couché sur le papier fin septembre 1939, quand Staline fit venir à Moscou Joachim von Ribbentrop. Un communiqué commun fut signé ainsi que trois protocoles secrets qui :
● réglaient le partage de la Pologne ;
● délimitaient la nouvelle frontière germano-soviétique ;
● plaçaient les trois pays baltes dans la zone d’influence soviétique.
Les 28 et 29 septembre un traité d’amitié soviéto-allemande a été signé à Moscou [1]. Il définissait les lignes de partage des frontières en Pologne ainsi que des « zones d’influence » dans les pays baltes et les méthodes communes de lutte contre la « conspiration independantiste » de la population polonaise. Dans la foulée, plusieurs conférences communes entre les polices politiques nazies et soviétiques (Gestapo et NKVD) ont eu lieu [2].
Staline appliqua avec soin les obligations du Pacte. Il ne se contenta pas de livrer à Hitler du pétrole, du fer, du charbon et du blé, il lui livra également près d’un millier de communistes allemands et autrichiens (dont de nombreux Juifs) qui s’étaient réfugiés sur la terre soviétique. Parmi eux la veuve de Heinz Neumann, membre du Bureau Politique du PC allemand et du Komintern (IIIe Internationale). Lui est arrêté en 1937 et disparaît, Margaret Buber-Neumann est jugée pour « déviationnisme », déportée à Karaganda puis livrée en 1940 à la Gestapo qui l’enferme au camp de Ravensbrück. Après la guerre, son témoignage au procès opposant en 1949 l’ancien déporté du goulag Victor Kravchenko au journal communiste « Les lettres françaises » fit pas mal de bruit. Elle a écrit plusieurs livres passionnants [3].
Massacres et déportations
Sur les territoires que l’URSS et l’Allemagne nazie se partagèrent en septembre 1939 la terreur régna. Celle des nazis est bien connue. Celle des staliniens fut longtemps occultée par le rôle jouée par l’URSS (après l’agression nazie du 22 juin 1941) dans l’écrasement de l’État hitlérien. Les soldats polonais — qui sauf exception ne se sont pas défendus contre l’armée soviétique occupant la partie orientale de la Pologne à partir du 17 septembre 1939 — ont été considérés comme prisonniers de guerre et placés dans des camps puis en grande partie assassinés en avril-mai 1940 [4].
Quelques semaines après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht, il y eut une découverte qui fit pas mal de bruit et suscita une polémique devant durer une cinquantaine d’années : en août 1941 les nazis découvrirent dans la forêt de Katyn (près de Smolensk) un charnier contenant plus de 4 000 cadavres d’officiers polonais. Ils en trouvèrent ailleurs de bien plus importants et la nouvelle fut annoncée le 13 avril 1943 par Radio-Berlin qui mit les Soviétiques en accusation. Ceux-ci nièrent tout et en attribuèrent la responsabilité aux troupes allemandes lors de leur avance en 1941. Les hitlériens déclenchèrent alors une campagne antisémite carabinée prétendant que Katyn correspondait à un « massacre juif ». Ce n’est qu’en 1990 que Gorbatchev finit par reconnaître la responsabilité du NKVD dans la tuerie et présenta les excuses officielles au peuple polonais. En 1993 Boris Eltsine remit aux Polonais les ordres écrits d’exécution en provenance du Bureau politique du PCUS [5].
Le reste de la population polonaise et juive de la Biélorussie et de l’Ukraine occidentale n’a pas échappé à la terreur stalinienne. Dès octobre 1939 environ 55 000 réfugiés de Pologne centrale, en majorité des Juifs qui avaient fui l’armée allemande, ont commencé à être « déplacés » vers l’Est de ces deux républiques soviétiques. Le 5 décembre 1939 le gouvernement soviétique avait pris la décision de déporter les citoyens polonais des territoires occupés vers la Sibérie et le Kazakhstan [6].
Le pacte germano-soviétique permit également à Staline l’invasion de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie en juin 1940 puis leur annexion formelle à l’URSS en août de la même année. La population de ces trois pays fut également massivement réprimée : entre juin 1940 et juin 1941, en application de l’instruction secrète d’Ivan Serov [7], plusieurs dizaines de milliers de Lituaniens, Lettons et Estoniens ont été déportés [8].
Le PCF et le pacte germano-sovétique
Ayant relaté les évènements les plus notables survenus avant et après la signature du Pacte, il est très important de préciser comment ce dernier a été reçu, et notamment par les communistes français. Deux jours après sa signature, l’Humanité était interdite. Un mois plus tard, le 26 septembre, c’était au tour du Parti communiste d’être interdit ainsi que nombre d’organisations contrôlées par lui.
Sa dure ligne antifasciste allait se modifier à l’automne 1939. Certes l’antinazisme subsistait chez beaucoup de militants mais la direction fit un virage complet. Dans un long communiqué du 25 août le PC approuve le Pacte mais rappelle que l’ennemi est toujours le nazisme. Le même jour le groupe parlementaire communiste vote à l’unanimité une résolution nettement antifasciste : « Si Hitler malgré tout déclenche la guerre, alors qu’il sache bien qu’il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l’indépendance des peuples ».
Peu de temps après c’est le grand virage. La guerre « anti-hitlérienne » devient « impérialiste ». Dans le numéro clandestin du deuxième semestre 1939 et janvier 1940 des Cahiers du bolchevisme [9] il y a une interview gratinée de Thorez. Le titre en est « Maurice Thorez nous dit … », et la dernière ligne mentionne « Quelque part en France — le 20 octobre 1939 ». Or on sait maintenant que Thorez n’y était plus : il avait quitté l’armée le 4 octobre pour passer en Belgique. Bien entendu c’était à la demande de l’Internationale Communiste dont une délégation était sur place. Le 9 novembre il était à Moscou. Cette interview met en évidence le revirement complet du secrétaire général qui jusque-là s’était vigoureusement opposé aux fascistes. Maintenant la guerre est devenue « impérialiste » :
« Que penses-tu de la guerre que font faire au peuple de France les ennemis du communisme ?
« La réaction, les hommes du 6 février, leur homme de confiance ! Daladier et les chefs traîtres du Parti Socialiste SFIO sont furieux parce que nous dénonçons les buts impérialistes de la guerre qu’ils imposent au peuple français. Tous ces messieurs ont le front de recouvrir leur politique criminelle du manteau de l’anti-hitlérisme dans l’espoir de tromper les travailleurs, mais entre eux ils n’hésitent pas à dire que le but qu’ils voudraient atteindre, c’est la destruction du pays du socialisme, l’URSS, et l’anéantissement de l’immense espoir qu’il représente pour les prolétaires du monde entier ».
Dans le même numéro on trouve un texte de salut à Staline pour son soixantième anniversaire. Il comporte un certain nombre d’affirmations qui confirment bien le changement de ligne du Parti français à la demande de son mentor moscovite :
« Face à la politique de provocations des fauteurs de guerre impérialistes de Paris et de Londres qui veulent étendre la guerre à l’univers entier et se préparaient à utiliser la Finlande de la clique Mannerheim pour attaquer l’Union Soviétique, nous voyons se dresser la politique de paix du grand pays où a disparu à tout jamais l’exploitation de l’homme par l’homme ; aussi les communistes et les travailleurs français saluent-ils en Staline le grand homme d’État qui a su déjouer les plans criminels des gouvernements français et anglais qui au moment même où ils parlaient du “front de la paix” préparaient l’agression anti-soviétique et cherchaient à utiliser l’Allemagne hitlérienne comme troupe de choc dans cette agression ».
Si l’on parle avec des communistes qui ont vécu cette époque ou même si l’on se contente de passer en revue les numéros de l’Humanité clandestine, on est frappé par les changements de ligne du PCF : à partir de l’automne 1939 la guerre « anti-hitlérienne » devient « impérialiste » et en juin 1940 l’incroyable se produit : à l’heure où Molotov félicitait l’ambassadeur d’Allemagne à Moscou pour l’entrée des troupes allemandes à Paris, le PCF fit des démarches auprès des autorités d’occupation pour la parution légale de l’Humanité. C’est, bien sûr, à la demande de Staline et de Jacques Duclos (remplaçant Thorez) qui le nia jusqu’à la fin… Le membre du Comité central Maurice Tréand se présenta le 19 juin 1940 auprès des autorités nazies, accompagné par Denise Ginollin (future gérante du journal) et une interprète. Ils étaient porteurs des textes à imprimer. La police française les arrêta, car le PCF était dissous, et c’est sur ordre du chef de l’administration militaire allemande qu’ils furent libérés une semaine plus tard. Une nouvelle tentative fut alors confiée à Jean Catelas qui écrivit une lettre, contresignée par Maurice Tréand et remise aux autorités allemandes par l’avocat Robert Foissin. En raison de l’opposition de Vichy, la demande n’aboutit pas.
Au même moment, l’Humanité du 13 juillet 1940 publiait un article inhabituel sous le titre « Fraternité franco-allemande » : « Les conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient. Apprenons à nous connaître. Et quand on dit aux soldats allemands que les communistes ont été jetés en prison pour avoir défendu la paix, quand on leur dit qu’en 1923 les communistes se dressaient contre l’occupation de la Ruhr, on travaille pour la fraternité franco-allemande ».
Si la Gestapo reste dans l’expectative, Vichy emprisonne à tour de bras : 18 000 emprisonnés politiques, surtout communistes.
La direction du Parti décide alors de lancer un Appel au Peuple de France. Il est signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos. Sa date a fait l’objet de beaucoup de controverses : il est daté du 10 juillet 1940 qui est le jour où Pétain reçoit à la Chambre les pleins pouvoirs contre l’avis de 80 opposants. Cet Appel, citant des ministres nommés plusieurs jours plus tard, date donc probablement de la deuxième quinzaine de juillet. D’après l’ancien dirigeant du PCF, Auguste Lecœur, il a été rédigé par Duclos, sur un canevas de Thorez (alors en URSS) et diffusé début septembre. Quant au texte lui-même, il a été remanié au moins quatre fois. Le document original comprend plusieurs pages mais pas une ligne contre l’occupant nazi… Une phrase a été souvent citée et caractérise bien le tout : « Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves, et si, malgré la terreur, ce peuple a su, sous les formes les plus diverses, montrer sa réprobation de voir la France enchaînée au char de l’impérialisme britannique, il saura aussi signifier à la bande actuellement au pouvoir sa volonté d’être libre » [10].
Vacillations devant l’histoire
Il me paraît indispensable de rappeler quelques textes qui illustrent bien les vacillations de la direction communiste à cette époque :
● En 1964 est parue L’Histoire du Parti communiste français – manuel , éditée « sous la direction de Jacques Duclos et François Billoux » [11]. Il n’y a pas une ligne sur la demande de parution de l’Humanité auprès des autorités du IIIe Reich ;
● En 2004 c’est le tour du numéro du centenaire de l’Humanité. Au bas de la page consacrée à l’année 1939 on peut lire un petit paragraphe comportant ce passage : « En juin 1940, deux responsables du PCF négocient à l’ambassade d’Allemagne la reparution légale de l’Humanité, avec l’accord de Jacques Duclos. Il faut attendre le retour de Benoît Frachon à Paris, trois jours plus tard, pour que l’erreur soit réparée » [12]. Il s’agit là d’un mensonge pur et simple. Est-il préférable au mensonge par omission précédent ?
● Prenons maintenant les Mémoires de Jacques Duclos (tome 3) paru en 1970 : « Dans ce climat, des camarades animés sans aucun doute de bonnes intentions et qui, par la suite, se battirent courageusement contre les occupants, pensèrent que la presse du Parti pourrait paraître légalement puisque aussi bien d’autres journaux étaient publiés. La direction du Parti désavoua ces démarches, et les auteurs reconnurent leur erreur » [13].
Quels étaient ces camarades « sans doute animés de bonnes intentions » ? Sûrement pas lui puisqu’il était le principal responsable de la direction qui « désavoua ces démarches ». Encore un mensonge !
● Si l’on prend le très gros (et très lourd) volume coédité par le Seuil et l’Humanité, traitant lui aussi du centenaire du journal, composé par Bernard Chambaz, membre d’une famille communiste que les « anciens » ont bien connue, on est frappé par les admirables photos et les réflexions originales pas toujours « dans la ligne ». Par exemple page 205 : « Paris est occupé par l’armée allemande, le gouvernement s’installe à Vichy et fait voter par les parlementaires la déchéance de la République. C’est dans cette situation que se pose la délicate question de la demande de reparution de l’Humanité, très longtemps niée après la guerre par le parti. En résumé, un avocat communiste — Foissin — transmet à un dirigeant du parti — Tréand — cette suggestion et propose d’établir un contact avec Otto Abetz à la Kommandantur. Les pourparlers s’engagent fin juin. Foissin, Tréand et Catelas — qui a remplacé Villon — se rendent dans le bureau d’Abetz. (…) Il est difficile d’imaginer qu’ils agissent sans le feu vert de la direction, probablement Duclos, et sans l’accord du Komintern » [14].
Lucidité critique
Si le Parti communiste a eu une attitude des plus critiquable sur le Pacte, en raison de sa volonté de demeurer fidèle à la ligne soviétique, il est intéressant de voir comment l’extrême gauche, et notamment Léon Trotski, se sont comportés. Il suffit de parcourir un ensemble de textes qu’il écrivit de 1937 à 1940 (date de son assassinat) et qui ont été publiés en Belgique par les « Éditions la taupe » en 1970, rassemblés et préfacés par Daniel Guérin, avec comme titre « Sur la deuxième guerre mondiale » [15]. Il y rappelle :
● que depuis 1933 il a souvent annoncé « que Staline était à la recherche d’une entente avec Hitler » ;
● qu’il avait prédit « qu’en échange de la Pologne, Hitler donnera à Moscou toute liberté d’action dans les États baltes bordant l’Union soviétique » ;
● que « pour attaquer la Pologne et mener à bien la guerre contre l’Angleterre et la France, Hitler a besoin de la neutralité “bienveillante” de l’URSS et aussi des matières premières soviétiques. Les traités politiques et commerciaux assurent tout cela à Hitler » ;
● que « le pacte actuel a été conclu malgré l’existence d’une armée de plusieurs millions d’hommes, et l’objectif immédiat du pacte était de rendre plus facile à Hitler la destruction de la Pologne et son partage entre Berlin et Moscou ».
Nous n’avons que considérablement résumé les « prophéties » de Trotski et renvoyons le lecteur à la préface de Daniel Guérin qui en fait « pour le lecteur un rapide décompte » et en présente 23…
Nous terminerons avec ce que le dirigeant trotskiste français Pierre Frank analysa dans son ouvrage sur l’Histoire de l’Internationale Communiste [16]. D’après lui le Pacte n’était pas pour Staline « une manœuvre diplomatique un peu douteuse, mais le point de départ d’une politique d’alliance entre deux États, comme son attitude ultérieure le démontra. D’où, de sa part, toute une série de prises de position et d’actions absolument injustifiables ». Il cite alors :
● l’entrée des troupes soviétiques en Pologne puis en Finlande ;
● la livraison à Hitler d’ « un certain nombre de réfugiés politiques allemands, des antinazis, y compris des communistes et des Juifs, qui avaient trouvé refuge en Union soviétique ou qui y avaient été invités »
● l’obligation pour l’Internationale Communiste et ses sections « de s’aligner sur cette alliance et de s’accommoder aux exigences du Kremlin, ce qui leur fit suivre pendant toute la durée du pacte une politique scandaleuse qui n’a jamais eu sa pareille dans l’histoire du mouvement ouvrier, et pour laquelle manquent des qualificatifs assez forts pour la stigmatiser ».
Ce pacte a été signé il y a exactement 70 ans. Beaucoup de jeunes n’en ont entendu parler que comme un phénomène historique comparable à beaucoup d’autres. Il a cependant eu de telles répercussions, notamment dans le mouvement ouvrier, qu’il est indispensable d’en prendre connaissance.
Jean-Michel Krivine, chirurgien retraité, est membre de la rédaction d’Inprecor.
Le Pacte germano-soviétique : Les documents
Moscou, 23 août 1939. Le ministre soviétique des Affaires étrangères, Molotov, signe le pacte de non-agression gremano-soviétique. Joachim von Ribbentrop et Joseph Staline sont derrière lui.
PACTE DE NON AGRESSION DU 23 AOÛT 1939
Le gouvernement du Reich allemand et le gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, guidés par le désir de consolider la paix entre l’Allemagne et l’URSS et se fondant sur les prescriptions fondamentales du traité de neutralité de 1926 ont arrêté ce qui suit :
Article premier. Les deux parties contractantes s’engagent à s’abstenir entre elles de tout acte de violence, de toute action agressive et de toute agression, et cela aussi bien isolément qu’en liaison avec d’autres puissances.
Article 2. Au cas où l’une des deux parties contractantes serait l’objet d’un acte de guerre de la part d’une autre puissance, l’autre partie n’assistera, sous aucune forme, cette tierce puissance.
Article 3. Les gouvernements des deux parties contractantes resteront à l’avenir constamment en contact, par voie de consultation, pour s’informer réciproquement des questions touchant leurs intérêts communs.
Article 4. Aucune des deux parties contractantes ne participera à un groupement de puissances dirigé, directement ou indirectement, contre l’autre partie.
Article 5. Au cas où des différends ou des conflits surgiraient entre les deux parties sur des questions de telle ou telle nature, les deux parties apureraient ces différends ou ces conflits exclusivement par la voie d’un échange de vues amical, ou, si nécessaire, par des commissions d’arbitrage.
Article 6. Le présent traité est conclu pour une période de dix ans, avec cette stipulation que, si l’un des deux contractants ne le dénonce pas une année avant l’expiration de ce délai, la durée de la validité de ce traité sera considérée comme prolongée automatiquement pour une période de cinq ans.
Article 7. Le présent traité devra être ratifié dans le plus bref délai possible. Les instruments de ratification seront échangés à Berlin. Le traité entre en vigueur dès le moment de sa signature.
Fait en deux originaux, en russe et en allemand.
Moscou, le 23 août 1939. Pour le gouvernement allemand : J. von Ribbentrop. Avec pleins pouvoirs du gouvernement de l’URSS : V. Molotov
PROTOCOLE SECRET
Les représentants plénipotentiaires des deux parties ont discuté de manière confidentielle la question des frontières de leurs sphères d’influence en Europe orientale. Ces conversations ont abouti aux conclusions suivantes :
1. En cas de réorganisation territoriale ou politique des zones appartenant aux États baltes — Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie — la frontière nord de la Lituanie sera la frontière entre les sphères d’intérêt de l’Allemagne et de l’URSS. Dans cette perspective, les parties contractantes reconnaissent les intérêts de la Lituanie dans la région de Vilno.
2. En cas de réorganisation territoriale et politique dans les régions faisant partie de l’État polonais, la frontière entre les sphères d’intérêt de l’Allemagne et de l’URSS devra passer approximativement le long des rivières Narev, Vistule et San. La question de savoir si l’existence ultérieure d’un État polonais indépendant correspond aux intérêts des deux parties contractantes, et quelles seront les frontières de cet État, ne pourra être définitivement résolue qu’à la faveur de l’évolution politique future. Mais dans tous les cas, les deux gouvernements régleront cette question par accord amical.
3. En ce qui concerne l’Europe du Sud-Est, la partie soviétique a attiré l’attention sur les intérêts de l’URSS sur la Bessarabie. La partie allemande déclare son désintéressement politique total dans ces régions.
4. Les deux parties garderont ce protocole strictement secret.
Moscou, le 23 août 1939.
Pour le gouvernement allemand : Joachim von Ribbentrop
Avec pleins pouvoirs du gouvernement de l’URSS : V. Molotov
TRAITÉ GERMANO-SOVIÉTIQUE DE DÉLIMITATION ET D’AMITIÉ DU 28 SEPTEMBRE 1939
Le Gouvernement du Reich et le Gouvernement de l’U.R.S.S., après l’écroulement de l’ex-État polonais, considèrent exclusivement comme leur tâche de rétablir l’ordre et le calme dans ces territoires et d’assurer aux populations qui y sont établies une existence pacifique répondant à leur originalité ethnique.
Dans ce dessein, les deux Gouvernements ont convenu ce qui suit :
Article premier. Le Gouvernement du Reich et le Gouvernement de l’U.R.S.S. fixent comme frontière des intérêts d’empire réciproques dans le territoire du ci-devant État polonais, la ligne qui se trouve tracée dans la carte ci-jointe et qui doit être décrite plus en détail dans un protocole complémentaire.
Article 2. Les deux Parties reconnaissent la frontière des intérêts d’empire réciproques fixée à l’article premier comme définitive, et déclineront toute espèce d’immixtion de tierces Puissances dans ce règlement.
Article 3. Les mesures de restauration politique nécessaires sont prises, dans les territoires à l’ouest de la ligne indiquée à l’article premier, par le Gouvernement du Reich ; dans les territoires à l’est de cette ligne, par le Gouvernement de l’Union soviétique.
Article 4. Les deux Gouvernements considèrent le présent règlement comme un fondement assuré pour le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples.
Article 5. Ce Traité sera ratifié, et les instruments de ratification seront échangés, aussitôt que possible. Le Traité entre en vigueur au moment de sa signature.
Fait en deux originaux, en russe et en allemand.
Moscou, le 28 septembre 1939
Pour le gouvernement du Reich allemand : von Ribbentrop
Pour le gouvernement de l’URSS : V. Molotov
Annexe
La ligne frontière commence à la pointe méridionale de la Lituanie ; va, de là, en direction générale occidentale, du nord d’Augustowo à la frontière du Reich et suit cette dernière frontière jusqu’à la rivière Pisa.
De là, elle suit le cours de la Pisa jusqu’à Ostrolenka ; ensuite, elle suit le Bug jusqu’à Keystnopol, tourne vers l’ouest et se dirige au nord de Rawa-Ruska et de Lubaczow jusqu’au San. Elle suit alors le San jusqu’à sa source.
PROTOCOLE CONFIDENTIEL DU 28 SEPTEMBRE 1939
Le gouvernement de l’URSS ne mettra pas d’obstacles au désir éventuel de nationaux allemands, ou d’autres personnes d’origine allemande, résidant dans sa sphère d’influence, d’émigrer vers l’Allemagne ou vers la sphère d’influence allemande.
Il est d’accord pour que ces déplacements soient organisés par des agents du gouvernement du Reich en collaboration avec les autorités locales compétentes, et pour que les droits de propriété des émigrants soient sauvegardés.
Une obligation correspondante incombe au gouvernement du Reich en ce qui concerne les personnes d’origine ukrainienne ou biélorusse résidant dans sa sphère d’influence.
Pour le gouvernement du Reich allemand : von Ribbentrop
Pour le gouvernement de l’URSS : V. Molotov
PROTOCOLE ADDITIONNEL SECRET DU 28 SEPTEMBRE 1939
Les plénipotentiaires soussignés constatent l’accord suivant entre le gouvernement allemand et le gouvernement de l’URSS.
Le protocole additionnel secret du 23 août 1939 est modifié dans article 1, dans la mesure où le territoire de l’État lituanien est rattaché à la sphère d’intérêts de l’URSS et où, d’autre part, la province de Lublin et les parties de celle de Varsovie sont rattachées à la sphère d’intérêts de l’Allemagne (voir la carte annexée au traité de délimitation et d’amitié entre l’URSS et l’Allemagne). Dès que le gouvernement de l’URSS aura pris sur le territoire lituanien des mesures spéciales visant à la protection de ses intérêts, la frontière germano-lituanienne sera rectifiée dans le but de parvenir à un tracé simple et naturel, le territoire lituanien situé au sud-ouest de la ligne indiquée sur la carte revenant à l’Allemagne.
Il est constaté d’autre part que les accords économiques en vigueur entre l’Allemagne et la Lituanie ne doivent pas être affectés par les mesures ci-dessus indiquées de l’Union soviétique.
Pour le gouvernement du Reich allemand : von Ribbentrop
Pour le gouvernement de l’URSS : V. Molotov
PROTOCOLE ADDITIONNEL SECRET DU 28 SEPTEMBRE 1939
Les plénipotentiaires soussignés, en concluant le Traité germano-soviétique de délimitation et d’amitié, se sont déclarés d’accord sur ce qui suit :
Les deux parties ne toléreront sur leur territoires aucune agitation polonaise susceptible d’affecter le territoire de l’autre partie. Elles mettront fin à une telle agitation dès son origine et se renseigneront mutuellement sur les dispositions prises à cet effet.
Pour le gouvernement du Reich allemand : von Ribbentrop
Pour le gouvernement de l’URSS : V. Molotov
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT DU REICH ET DU GOUVERNEMENT DE L’UNION SOVIÉTIQUE DU 28 SEPTEMBRE 1939
Le Gouvernement du Reich et le Gouvernement de l’Union soviétique, ayant réglé par l’arrangement signé aujourd’hui, définitivement, les questions qui découlent de la dissolution de l’État polonais et ayant ainsi créé une base sûre pour une paix durable en Europe orientale, expriment en commun l’opinion qu’il correspondrait aux véritables intérêts de toutes les nations de mettre fin à l’état de guerre qui existe entre l’Allemagne d’une part, la France et l’Angleterre, d’autre part.
Les deux Gouvernements entreprendront donc des efforts communs, le cas échéant, d’accord avec d’autres Puissances amies pour parvenir le plus rapidement possible à ce but.
Si, toutefois, les efforts des deux Gouvernements restaient sans succès, le fait serait alors constaté que l’Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre. Dans le cas de cette continuation, les Gouvernements d’Allemagne et de l’Union soviétique se consulteraient réciproquement sur les mesures nécessaires.
von Ribbentrop, Molotov
PROTOCOLE SECRET DU 10 JANVIER 1941
Le comte von Schulenburg, au nom du gouvernement du Reich allemand, d’une part, V.M. Molotov, au nom du gouvernement de l’URSS d’autre part, se sont mis d’accord sur ce qui suit :
1. Le gouvernement allemand renonce à ses prétentions sur la partie du territoire de la Lituanie mentionnée dans le protocole additionnel secret du 28 septembre 1939 et indiquée sur la carte jointe à ce protocole.
2. Le gouvernement de l’Union des républiques socialistes soviétiques est prêt à compenser auprès du gouvernement de l’Allemagne le territoire indiqué par l’article 1 du présent protocole en versant à l’Allemagne une somme de 7,5 millions de dollars-or, équivalant à 31,5 millions de marks allemands.
Le règlement de ce montant de 31,5 millions de marks sera assuré par le gouvernement de l’URSS de la manière suivante : un huitième, soit 3 millions 937 500 marks, sera réglé par la livraison de métaux non ferreux pendant les trois mois suivant la signature du présent protocole ; les sept huitièmes restant, soit 27 millions 562 500 marks, seront réglés en or et viendront en déduction des paiements en or dus par l’Allemagne à la date du 11 février 1941 conformément à l’échange de lettres entre M. Schnurre, président de la délégation économique allemande, et A.I. Mikoïan, commissaire du peuple au commerce extérieur de l’URSS, dans la cadre de la signature de l’accord du 10 janvier 1941 « sur les livraisons mutuelles à effectuer pendant la seconde période d’application de l’accord économique du 11 février 1940 entre l’Allemagne et l’URSS ».
Moscou, le 10 janvier 1941
Pour le gouvernement du Reich allemand : Von Schulenburg
Sur instruction du gouvernement de l’URSS : V. Molotov