Le nombre de morts recensés à la suite de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh s’élevait le 15 mai à 1127, au moment les autorités achevaient les fouilles des décombres de l’immeuble industriel. Pour prendre la mesure humaine du drame, il faut encore tenir compte des très nombreux blessés – dont certains vont mourir – et des conséquences pour les familles qui, souvent, perdent avec leur fille, ouvrière dans les ateliers textiles, leur unique source de revenu salarial.
La loi contre les firmes ?
Par son ampleur, la catastrophe industrielle du Rana Plaza a provoqué une onde de choc mondiale. Outre celles de l’État et du patronat bangladais, elle a mis en pleine lumière la responsabilité des grandes marques états-uniennes ou européennes du prêt-à-porter. Ces dernières ne pouvaient en effet ignorer les conditions dans lesquelles étaient produites leurs tissus et vêtements. Les accidents industriels se succèdent depuis 20 ans au Bangladesh, faisant des centaines de morts.
Juridiquement, les firmes donneuses d’ordre ne sont pas responsables, car elles passent par des sous-traitants. Mais elles craignent pour leur image de marque. Depuis 1989, la Clean Clothes Campaign fait campagne en défense des droits fondamentaux des salarié.e.s de l’habillement. Cette coalition regroupe des syndicats et ONG dans 15 pays européens. Concernant le Bangladesh, elle a concentré ses efforts sur la sécurité anti-incendie. Elle vient d’obtenir la signature d’un accord légalement contraignant sur cette question entre de grandes firmes internationale et des syndicats bangladais, l’IndustrialALL et UNI. Les géants suédois H&M et espagnol Inditex ont été parmi les premiers à signer, et un nombre croissant d’autres marques a suivi, dont le français Carrefour. En une semaine, la pétition réclamant aux marques de signer l’accord a recueilli presque un million de signatures sur Internet.
L’IndustrialALL mène pour sa part campagne sur trois axes : sécurité anti-incendie, salaire minimum et droit syndical. En effet, si les syndicats sont officiellement autorisés dans le secteur textile au Bangladesh, les syndicalistes n’ont pas le droit d’entrer dans les usines et d’y intervenir…
Contrôle et coopération
Les accords comme celui sur la sécurité anti-incendie (ou sur la liberté d’association) sont des points d’appui importants, mais signature ne signifie pas mise en œuvre assurée. Au Nord comme au Sud, les transnationales visent aujourd’hui à réduire ou détruire les droits collectifs, pas à les renforcer. Dans le prêt-à-porter, elles étudient la possibilité de se tourner vers d’autres pays que le Bangladesh devenu bien compromettant, mais cependant difficile à remplacer. La chaine des sous-traitances peut se complexifier à volonté. Des usines sans existence légale peuvent opérer, comme au Pakistan. L’audit international est devenu un vrai business, avec sa logique de profits. Des dirigeants syndicaux sont corruptibles, et pas seulement des politiciens…
Rien ne peut donc remplacer la capacité d’action de syndicats et autres mouvements sociaux authentiques, l’auto-organisation des couches populaires, inclut le contrôle démocratique de ces mouvements par leurs membres pour prévenir les risques de bureaucratisation. Dans un pays comme le Bangladesh où bien des ouvrières restent liées au monde rural, cela exige aussi une coopération étroite entre associations paysannes et syndicats militants.
La solidarité doit aider à cette auto-organisation. Plus que jamais, à l’heure de la mondialisation capitaliste, les liens entre mouvements sociaux du Nord et du Sud doivent être tissés, renforcés. C’est dans cette logique que s’inscrit l’appel à la solidarité financière initiée par l’association Europe solidaire sans frontières. [1] C’est aussi dans cette logique que l’Union syndicale Solidaires a récemment accueilli en France une conférence internationale (où, malheureusement, l’Asie était fort peu représentée).
Il faut des drames comme celui du Rana Plaza pour que ces questions soient véritablement prises en compte. Il tient à nous que les victimes ne soient pas mortes pour rien.
Pierre Rousset
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