A Qousseir ce sont désormais les forces spéciales de Bachar el-Assad et les combattants du Hezbollah [le Parti de Dieu] libanais qui se trouvent à la tête des opérations. Pour les forces qui luttent contre la dictature des Assad, la perte de Qousseir serait une défaite importante. Cette ville de 25’000 habitants se trouve sur le principal point de passage entre les zones tenues par les forces rebelles et le Liban. Pour la dictature des Assad, au contraire, la reconquête de Qousseir constituerait une victoire sur le plan militaire, mais aussi politique. Elle pourrait confirmer que, sur le terrain, le rapport de forces est en train de basculer en faveur de Bachar el-Assad ; ce qui ouvrirait plus grande la porte aux négociations que veulent les Etats-Unis et la Russie, négociations portant déjà le nom de « Genève 2 ».
Le Hezbollah est une armée disciplinée, une milice armée au sein d’un pays, le Liban, qui ne possède pas une armée aussi forte et aussi bien équipée en tant qu’Etat. Cette milice est liée, de diverses façons, à la direction politico-militaire de l’Iran, même si elle s’inscrit dans le terreau libanais depuis quelques décennies. Le Hezbollah nourrit une idéologie aussi réactionnaire que celle d’Ahmadinejad. Les « actions caritatives » et clientélaires au sud du Liban, comme en Iran, ne peuvent masquer ce fait politico-idéologique. D’ailleurs ce système de charité est en déclin en Iran comme dans le sud Liban. Le Hezbollah applique, avec son dirigeant Nasrallah, le principe du Velayat-e faqih (le gouvernement du docte). Il y a là une copie du système de pouvoir théocratique développé par Khomeiny en Iran suite au renversement du shah en 1979. Mais ce principe, hiérarchique, fonctionne aussi comme un facteur idéologique de soumission stratégique au vrai « gouvernement du docte » qui se situe en Iran. Cette subordination est rétribuée en argent, en armes et en « moyens de sécurité » par Téhéran. Cette force milicienne utilise aussi ses armes, sa police et ses menaces pour s’imposer, au Liban, tout en participant au « jeu politique » spécifique du Liban (élections et répartitions communautaires des multiples « influences ») et en tissant des alliances.
En effet, le Hezbollah tire sa force et sa renommée au Liban – et auprès de certains ignorants qui s’affirment anti-impérialistes dans les pays « occidentaux » – de la résistance face à Israël depuis 1982, jusqu’au retrait d’Israël en 2000. Sa « légitimité », il la tire aussi, partiellement, de sa « résistance » lors de la guerre de 2006 contre l’Etat sioniste. Une sorte de victoire que personne ne voudrait obtenir une deuxième fois, tant les résultats matériels furent désastreux. Les liens du Hezbollah avec le général Aoun – qui possède une certaine base populaire chrétienne – élargissent son positionnement politique institutionnel. Le Hezbollah utilise, aujourd’hui, un discours de combat contre les « salafistes » – présents de plus en plus au Liban et dans toute la région – afin d’obtenir un soutien auprès des chrétiens libanais (Aoun). Dans les prêches et discours politiques de Nasrallah, il se montre de la sorte comme un opposant aux salafistes dont les déclarations antichrétiennes (et antisémites) effrayent la communauté chrétienne du Liban.
La toute récente déclaration de l’Europe (Union européenne) qualifiant le Hezbollah de « terroriste » implique le refus de négociations politiques avec lui. Or, les retournements politico-diplomatiques dans ce domaine son nombreux. Ainsi, le Hamas de Gaza était placé sur la liste des organisations terroristes. Il est aujourd’hui un interlocuteur important – depuis sa base du Caire et son pouvoir à Gaza – des négociations internationales de ladite question palestinienne. Ce qui n’empêche pas le Hamas d’avoir une politique fort répressive à Gaza même, comme le décrit un excellent article du quotidien catholique français La Croix, ce mardi 28 mai 2013.
La volonté de certains milieux diplomatiques français de séparer la dimension militaire et celle politique du Hezbollah relève de la farce. Le Hezbollah ne fait qu’un : l’aile dite militaire et l’aile politique sont plus unies que les cinq doigts d’une main. Qualifier, au plan diplomatique, le Hezbollah de « terroriste » – même si ses miliciens en Syrie appliquent une politique de terreur, mais aussi certains groupes d’Al-Nosra qui combattent Assad et dont les actes sont dénoncés par l’Armée syrienne libre (ASL) – lui permet de jouer la carte de la martyrologie. Un hymne que la direction Nasrallah entonne avec un savoir-faire extrême. Ce d’autant plus que ce terme – « terroriste » – a été utilisé depuis longtemps, de Reagan à G. W. Bush, par l’administration états-unienne et le gouvernement israélien pour toutes les forces de la région, chaque fois que cela correspondait à leurs intérêts et à leur campagne de propagande.
Toutes ces considérations n’empêchent pas le Hezbollah – selon les déclarations fracassantes de Nasrallah – d’être derrière les chars et les avions de Bachar el-Assad, d’envoyer des miliciens tuer des Syriens et Syriennes qui se révoltent contre une dictature. Cette fois, les miliciens du Hezbollah ne luttent pas contre les chars et les avions israéliens !
Cet engagement auprès d’Assad pourrait bien, suivant les évolutions en Syrie, affaiblir fortement les positions du Hezbollah. Tout le cérémonial mis en valeur pour l’enterrement, au Liban, de ses « martyrs tombés » en Syrie indique, a contrario, que parmi ses milices doivent exister certaines réticences. Une chose est de combattre les attaques militaires de l’Etat sioniste, une autre est de massacrer des habitant·e·s de la Syrie voisine. Le Hezbollah risque de perdre encore plus d’audience politique, au moment où le régime d’Assad et le clan au pouvoir en Iran l’entraînent de plus en plus ouvertement et de manière revendicative dans le « conflit syrien », auquel il participe, en réalité, depuis plus de 18 mois.
Le 25 mai 2013, George Sabra, dirigeant par intérim de l’opposition syrienne, a lancé, depuis Istanbul, l’appel suivant : « Nous lançons un appel à toutes les forces de la rébellion et à l’Armée syrienne libre, nous leur demandons de se mobiliser pour venir en aide, avec les armes et les hommes, à leurs frères qui combattent à Daraya, Maadamia, Wadi Barada, à l’est de Ghouta et dans notre capitale Damas et à Qousseir et Homs ». Il a qualifié le Hezbollah « d’envahisseurs » : « Un certain nombre de Libanais sont envoyés en Syrie en tant qu’envahisseurs, ils reviennent à leur pays morts, dans des cercueils couverts de honte. Aujourd’hui la communauté internationale a mis le parti des envahisseurs sur la liste du terrorisme ; le peuple syrien l’a mis, lui, sur la liste des envahisseurs et des traîtres. » Un juste constat. Il ne doit pas, toutefois, camoufler les difficultés de la « direction extérieure » du soulèvement et du combat contre la dictature de Bachar el-Assad.
Hassan Nasrallah, à l’occasion d’une cérémonie opportune marquant l’anniversaire – le treizième – du retrait de l’armée de l’Etat sioniste du Liban, a déclaré lui : « Comme je vous ai toujours promis la victoire, je vous en promets une nouvelle. » Il s’adressait « aux gens honorables, aux moudjahidines, aux héros », qui combattent en Syrie.
Rédaction A l’Encontre
Demain à Genève 2, les deux… ?
La décision de l’UE, du 27 mai 2013, de lever l’embargo sur les livraisons d’armes à l’ASL renvoie aux types de décisions propres à l’UE. Il n’y aura aucune livraison d’armes – sans préciser d’ailleurs le type d’armes, ce qui est décisif – avant deux mois. Il ne faut pas déranger la possible conférence de « Genève 2 » en juin 2013, c’est-à-dire la négociation entre la Russie de Poutine et l’administration d’Obama (les discussions entre Kerry et Lavrov sont engagées) ; cela afin d’aboutir à un accord qui permettra d’intégrer une partie importante de l’appareil sécuritaire du clan Assad et des forces de la rébellion afin d’éviter une situation analogue à l’Irak.
Une situation qui représente une défaite historique pour les Etats-Unis, ses stratèges et ses sociétés pétrolières, aujourd’hui actives dans le gaz de schiste. La Syrie doit être un pays stabilisé, donc avec un gouvernement fort et dès lors avec des éléments de continuité avec le système actuel. Ce d’autant plus que cette négociation ne se fera pas à deux – Etats-Unis et Russie – mais devra rassembler les pièces d’un puzzle au dessin (et desseins) complexe.
Reculer la date de la livraison d’armes permettra de mettre plus en relief la présence de forces salafistes comme Al-Nosra et, dès lors, de renforcer les « raisons raisonnables » d’un compris pour un moindre mal…
Face à un pays détruit, dont on a assisté la destruction avec compassion ou en y participant de manière active, comme Poutine.
Rédaction A l’Encontre