Il y a un moment dans un débat où il faut enregistrer l’état des positions et des arguments et attendre qu’il mûrisse. La réponse de mon camarade François Sabado [1] à ma propre réaction [2] vis à vis d’un texte publié dans TEAN La Revue [3] n’aborde pas toutes les interrogations que je soumettais. On ne va pas y revenir, chacun-e peut se référer aux textes et se faire son opinion. Mesurer les points d’accord, nombreux, et ceux qui restent en discussion. En revanche, Sabado aborde des questions qui dépassent le cadre précis de départ, celui de l’analyse de la République et de son histoire, en France en particulier.
Sur le débat initial toutefois, une interrogation encore. Mon camarade affirme que « le maniement de propositions institutionnelles doit être précautionneux ». On peut le suivre sans difficulté. Mais est-ce au point de les remiser systématiquement dans le cocon des résolutions de congrès ? Le dernier congrès du NPA a vu s’affronter les tendances sur le mot d’ordre de « gouvernement anti-austérité », une majorité se déclarant finalement en sa faveur. Mais pourquoi faire au final ? Le NPA n’a pas jugé bon de le défendre dans la rue le 5 mai dernier, devant des dizaines de milliers de manifestants. Ni lors du débat initié par le PCF le 16 juin dernier qui avait pourtant pour sujet la construction d’une alternative, débat auquel le NPA participait. Si les « précautions » vont jusque là, à quoi sert-il de voter une telle proposition, comme s’il fallait la cacher dès qu’elle pourrait être mise en discussion ?
François Sabado revient encore longuement sur les positions de Mélenchon. Il affirme : « … une divergence fondamentale avec Mélenchon pour qui la République « tout court » est une référence, au-delà de son contenu social. La république est, pour lui, une forme politique qui transcende la lutte de classe, ce qui le conduit à la mythifier ». A faire de la République l’axe majeur (voire unique) des positionnements, le risque existe en effet de fétichiser le concept, nous l’avons dit tous les deux. Mais là encore il faut, pour un débat au fond, s’en tenir à des choses bien connues. Le député européen fut fondateur d’un courant interne au PS dont le nom même contredit cette affirmation un peu trop assurée, « Pour la République sociale ». Courant pour lequel Jaurès était la référence majeure, ce qu’elle est demeurée au PG si l’on en croit ses publications. Et non Clémenceau…
Nul ne doute qu’un débat avec les positions de Mélenchon et du PG soit utile et indispensable, je l’ai moi-même amorcé dans plusieurs textes (parfois en co-auteur). Mais – ça fait partie de nos traditions communes je crois – sans user de déformations excessives. Les désaccords patents se suffisent bien en eux-mêmes pour une discussion approfondie.
Sabado engage en réalité d’autres débats avec sa réponse, tous importants, et qui nécessiteraient des développements propres et spécifiques. Qu’il faudra trouver les moyens de reprendre au fil des échanges.
Une partie majeure de l’argumentation tient en sa défense de ceci que « les divergences stratégiques entre réformistes (même de gauche) et révolutionnaires gardent une fonctionnalité politique. Que ces divergences ont des conséquences pratiques, aujourd’hui et pas seulement à l’avenir ». C’est aussi ce que je pense. Mais en revanche je ne suis pas sûr de ce qu’est « le réformisme » et aussi de plus, de ce que sont « les révolutionnaires ». En l’occurrence le nominalisme, même s’il revient en état de grâce, est quand même une impasse philosophique. Ou, si l’on veut être moins polémique, la séparation sur le seul critère déclaratif de la nécessité (ou pas) de détruire l’Etat bourgeois est loin, très loin de suffire. Par exemple les Indignés de l’Etat Espagnol sont-il « révolutionnaires » sur ce critère ? Et les altermondialistes, même « de gauche » ? Celles et ceux qui estiment, comme Hardt et Negri, qu’en ignorant l’Etat il va se dissoudre tout seul si ce n’est déjà fait ? Ceux d’Occupy Wall Street ? Et s’ils ne sont pas « révolutionnaires » (et sur le seul critère nominal utilisé par Sabado, ils ne le sont définitivement pas), sont ils « réformistes » ? Pas plus si on suit ce que dit mon camarade comme quoi : « (les réformistes » veulent continuer à essayer de transformer les choses de « l’intérieur » et donc s’opposent à toute transformation « externe », à toute transformation révolutionnaire ». Et les « révolutionnaires », est-ce si simple ? Où placer par exemple des partis qui protègent des dirigeants, partisans incontestables de la destruction de l’Etat bourgeois, mais condamnés pour viol et, au contraire, excluent les groupes qui s’en offusquent ? En une formule ramassée j’avancerai la proposition suivante : la distinction entre réforme et révolution est toujours active et productive. Mais là aussi les cartes sont rebattues et ce n’est pas la même partie qui se rejoue à l’infini.
Cela dit, si ces questions sont fondamentales, d’autres sont immédiatement importantes. Quelles conséquences tirer de la configuration globale créée par la mutation social-libérale de la social démocratie et par la profonde et durable ligne de fracture sur les politiques d’austérité ? Mon camarade reprend l’argument entendu déjà à plusieurs reprises, qui dit que la situation française à gauche de la gauche n’est pas celle de la Grèce avec Syriza. Oui. Qui n’est pas plus la même qu’en Belgique où pourtant un regroupement du même type que le FG se met en place. Pas plus qu’en Angleterre où, avec l’appui de Ken Loach se discute un regroupement qu’on aurait du mal à placer sur l’axe « réformiste/révolutionnaire ». Pas plus qu’au Portugal, avec la progression du Bloco. Et même si c’est incontestablement plus loin, encore moins qu’en Tunisie avec le Front Populaire. Ou même qu’en Allemagne avec Die Linke. C’est certes à chaque fois particulier. Mais c’est sans comparaison avec la situation désastreuse de l’Italie où une telle perspective de regroupement en rupture avec le PS n’existe pas. Sabado dit : « la politique révolutionnaire ne se réduit pas à la position tactique vis à vis du gouvernement ». Peut-être. Il n’empêche que pendant des années nous avons de concert considéré que c’était bien cette question (et aucune autre) qui conditionnait la possibilité d’une alliance durable. Peut-être n’est-ce là que le souvenir que j’en ai personnellement, et que déjà c’était pour d’autres plus compliqué que ça. Mais le problème demeure : au lieu de répéter l’évidence que « eux c’est eux et nous c’est nous » et de pister toutes les différences entre pays, il faudrait dire à quelles conditions exactement ceci peut s’envisager en France. Par exemple pourquoi ne pas considérer au moins la possibilité d’un accord électoral aux élections européennes sur la base de la déclaration adoptée par près de deux cent organisations à l’Altersummit d’Athènes, laquelle déclaration garantit qu’il n’y aurait pour une liste sur ces bases aucun risque de « souverainisme » ? Je crains que le refus de le faire ne prélude à un enfermement sans fin prévisible.
Je termine par là où mon camarade débute sa réponse. Saluant la qualité du débat entre révolutionnaires il est conduit « à s’interroger sur le bien fondé de (ma) rupture avec le NPA, ou en tout cas avec certains de (mes) anciens camarades dans le NPA… ». Je saisis le reproche transparent et je partage le regret. Mais le choix de s’allier avec les secteurs les plus rétrogrades du NPA signaient deux évolutions inévitables. Il rendait impossible la nécessaire mise en pratique d’une alliance de la gauche radicale une fois remplies des conditions posées de très longue date. Il empêchait d’évidence la poursuite d’un processus de regroupement dans une même formation politique des anticapitalistes autogestionnaires (en bonne voie désormais). Et plombait même toute possibilité de discussions de fond empêtrées qu’elles sont dès lors dans un fatras dogmatique et passéiste. Le départ du NPA de toute une partie porteuse de la tradition du courant marxiste révolutionnaire est-il la conséquence de ces évolutions en cours ou les a-t-il rendues inévitables ? Laissons l’histoire en juger. Et poursuivons d’une autre manière des débats, confrontations, polémiques mêmes, qu’on sait fructueuses et même indispensables quand elles sont menées dans un esprit de respect, constructif et, disons le, amical.
Samy Johsua