Egypte, 9 juillet, 16 H : la fin des Frères Musulmans et ses conséquences
Les égyptiens subissent depuis hier une véritable guerre des photos, déclarations et vidéos, entre celles de l’armée et celles des islamistes, pour savoir qui est à l’origine des violences qui ont fait 51 morts et 455 blessés hier matin devant le bâtiment de la Garde Républicaine.
Cependant - ça reste une impression personnelle - mais à part dans les milieux proches des Frères musulmans et leurs alliés, l’opinion qui semble l’emporter n’est pas tant de savoir qui est à l’origine du massacre, car on ne le saura peut-être jamais, tout le monde ment, mais une espèce d’indifférence au sort des Frères musulmans, un lâchage populaire à leur égard, du fait bien sûr de leur soutien à Morsi mais aussi des violences des jours précédents qui ont été clairement perçues par les gens comme étant de leur responsabilité.
22 journalistes d’Al Jazeera viennent de démissionner accusant la chaine TV qatarie de mettre de l’huile sur le feu de la guerre civile et de mentir systématiquement en faveur des islamistes. Les journalistes du grand quotidien Al Ahram ont séquestré leur directeur aux sympathies islamistes en demandant qu’il soit démi... (on attend encore la même chose ici à l’égard des dirigeants de la presse française, mais qui pourraient bien changer de ton dans les jours qui viennent, parce que les USA viennent de prendre un tournant en déclarant qu’ils n’enlèveraient pas leurs subventions à l’armée égyptienne comme ils menaçaient de le faire et en appelant les dirigeants islamistes à la mesure.)
Les appels des Frères musulmans et leurs alliés à la révolte et à la subversion n’ont été finalement guère suivis. Il y en a encore un appel pour ce soir, mais il n’y a guère de raisons qu’il soit plus suivi que les autres. On a l’impression que les Frères musulmans se sont largement déconsidérés aux yeux du peuple, ont définitivement perdu la partie et pas seulement Morsi.
Certes, les Frères musulmans expliquent que ce n’est pas la première fois que leurs dirigeants sont en prison, leur siège fermé, leurs journaux bloqués par l’armée et qu’ils s’en sont toujours relevé. Mais ce qu’il y a de différent cette fois, c’est qu’ils ont perdu le soutien populaire. Le gouvernement de Morsi était totalement déconsidéré et même haï à tel point qu’il a réussi à faire descendre dans la rue contre lui des millions et des millions de personne, comme jamais l’histoire ne l’avait vu. Les résultats électoraux dans les syndicats professionnels avaient montré auparavant une forte érosion de leur électorat voir carrément un effondrement comme chez les étudiants.
L’effondrement des Frères musulmans en Égypte provoqué par un soulèvement populaire, marque peut-être bien le début de la fin de l’islam politique, ce qui aura sûrement des répercussions ailleurs et modifiera l’équilibre géo-stratégique de la région.
Certains des partis salafistes, comme par exemple Al Nour, qui se sont placés sur des positions neutres dans les derniers événements, peuvent espérer tirer les marrons du feu. D’ailleurs l’armée, qui tient à avoir des islamistes à ses côtés, leur fait du gringue comme jamais et Al Nour en profite pour faire de la surenchère. C’est Al Nour qui par exemple a refusé la nomination de Baradei comme Premier Ministre, refusant tout laïc à la tête du gouvernement. Mais au delà de ces effets d’aubaine, c’est tout l’islam politique qui pourrait bien s’en trouver affaibli, salafistes compris. On entend en effet pas mal de gens dire qu’il ne faut plus mélanger religion et politique, bref séparer la religion de l’Etat. Ce n’est pas encore fait ; toutefois les laïcs pourraient bien être parmi les véritables vainqueurs de ces derniers jours. Si cette tendance se confirmait, ce serait un bouleversement très important pour l’Égypte et toute la région.
C’est une différence importante entre la révolution de janvier 2011 et celle d’aujourd’hui. Une différence qui provient aussi du fait que les groupes laïcs, qui avaient été complètement liquidés par les pouvoirs de Sadate et Moubarak ne laissant la place qu’à une opposition religieuse, se sont considérablement renforcés ces deux an et demi passés, et surtout dans la jeunesse.
Mais il n’y a pas que ça. Les vainqueurs ne seront peut-être pas que les laïcs, mais aussi tout ce qui va dans le sens de l’auto-organisation et en particulier des classes populaires
Dans les derniers événements, beaucoup de gens se sont sentis pris en otages entre l’armée et les islamistes - ça a été le titre d’articles de journaux - avec un degré de méfiance élevé à l’égard des deux protagonistes. Ce qui dénote d’un esprit sain, de l’envie de penser par soi-même, d’être autonome.
Si l’islam politique semble avoir pris un sérieux coup dans l’aile, ce n’est pas mieux pour l’armée malgré les apparences du moment. On a vu en effet beaucoup de gens crier « L’armée et le peuple sont une seule main » ou porter dans les manifestations, des affiches/portraits du général Sissi, généreusement distribués par l’armée. Cependant, l’impression dominante n’est pas tant que les gens se faisaient de grosses illusions sur l’armée, mais qu’ils étaient simplement heureux de leur alliance momentanée avec elle pour faire tomber Morsi. Ils préféraient avoir l’armée avec eux plutôt que du côté de Morsi et devoir affronter sa violence. Ces portraits de Sissi et ces « vive l’armée » traduisaient donc un énorme « ouf » de soulagement, plus qu’une adhésion ou des illusions. Contrairement à la période d’après le 25 janvier 2011 où les illusions sur l’armée ne s’étaient effondrées que 8 mois après, en octobre 2011, lors du massacre des coptes à Maspéro, aujourd’hui, le délai va être beaucoup plus court. Et il n’y en aura probablement même pas. Seulement peut-être un moment pour souffler après de telles émotions et digérer de tels événements.
La méfiance a d’ailleurs déjà commencé à s’exprimer clairement.
Le massacre des islamistes hier n’a soulevé aucune compassion à leur égard, mais à fait naître bien des méfiances à l’égard de l’armée. Méfiances confirmées par la déclaration constitutionnelle d’aujourd’hui.
Le Président nommé par l’armée vient en effet de faire une déclaration constitutionnelle provisoire censée régenter l’Égypte jusqu’à la prochaine constitution et les prochaines élections législatives et présidentielles. Il promet de commencer le processus électoral dans 3 à 4 mois, par une constitution soumise à référendum, avec des élections avant fin 2013. Il n’y a rien de bien différent dans cette déclaration constitutionnelle par rapport à tout ce qui a pu être fait auparavant. Un premier point confirmant la Sharia (comme depuis plus de 20 ans), mais plus dans le style qui peut agréer aux salafistes, un Conseil de Défense National autonome responsable du budget de l’armée, une armée qui a droit de veto sur tout ce qui la concerne du point de vue législatif, des tribunaux militaires pour civils dont on ne sait pas bien s’ils sont maintenus ou annulés, bref comme le disent beaucoup une déclaration constitutionnelle pour les militaires, les salafistes et les juges.
Aussitôt, Tamarod, qui jouit d’une écoute certaine depuis le succès de sa campagne de signatures, a rejeté la déclaration constitutionnelle et alerté le peuple sur le vol de la révolution par l’alliance des militaires et des salafistes (en oubliant le FSN, ce qui n’est pas étonnant quand on connait les liens entre Tamarod et le FSN). Ils ont été aussitôt invités par le pouvoir à une rencontre, avec le FSN, pour ajouter leurs propres articles à la déclaration constitutionnelle. Le FSN ira, on verra pour Tamarod.
Quoi qu’il en soit, la méfiance envers l’armée est à fleur de peau et ne demande qu’un incident pour se révéler, après toutefois la fin des actions des Frères Musulmans (le ramadan commençant demain, la fin pourrait très bien commencer à ce moment) pour ne pas se confondre avec elles. Dans ceux qui ont fait corps commun avec l’armée, et qui en subiront les contre coups, il y a Hamdeen Sabbahi, le socialiste nassérien, qui avait le troisième résultat aux présidentielles et pouvait espérer engranger le plus de points dans cette situation. Il a soutenu inconditionnellement l’armée, et même dénoncé les révolutionnaires qui s’étaient opposés à elle quand elle était au pouvoir. Ce qui ne va pas l’aider ni la gauche qu’il incarne le plus en Egypte, a trouvé une confiance profonde du peuple.
Ce qu’il y a d’important, c’est que l’esprit de méfiance, voire de dégout à l’égard des Frères Musulmans comme des militaires, a trouvé une expression organisationnelle populaire non institutionnelle, dans les comités de quartier ou de rue, qui ont surgi les nuits des 5 et 6 juillet pour se protéger des violences des Frères Musulmans, les désarmer et empêcher les affrontements. On a ainsi noté ces comités d’autodéfense à Bulaq, Manial, près de Maspéro, Sayyida Zeinab, Sidi Gaber au Caire et à Alexandrie et certainement bien ailleurs, car la presse ne s’est guère attardé sur cet aspect des choses.
Avec les affrontements violents entre militaires et Frères musulmans, on a quasi oublié en Occident l’immense vague humaine de protestation qui est descendue dans la rue contre Morsi. C’était le but. Mais pas en Égypte, pour ceux qui y ont participé, c’est -à-dire quasi tout le monde.
Or les problèmes sociaux et économiques ont été à la base de cette manifestation massive, de cette deuxième révolution. Ils ne sont pas oubliés. Par contre, pour y trouver une solution, le peuple égyptien vient de se débarrasser sur son chemin vers l’émancipation, d’un de ses principaux adversaires, les Frères musulmans et de fragiliser le second, l’armée.
Les comités que le peuple a créé, comme ceux qu’il avait créé pour la campagne de signatures Tamarod et l’organisation des immenses manifestations du 30 juin au 3 juillet, sont une marche de plus vers l’auto-organisation. Les révoltes sociales et économiques qui n’ont pas cessé depuis 2 ans et tout particulièrement ce printemps où elles ont atteint des sommets historiques sauront probablement utiliser cette expérience dans la période qui vient mais cette fois-ci, pour elles, pour les exploités et pas contre ou en faveur du moins pire de ses adversaires du moment.
Egypte, 7 juillet, 22 h : Les anti Morsi en foule dans la rue, les pro Morsi démoralisés
Ce soir il y a à nouveau des foules énormes anti Morsi rassemblées au Caire place Tahrir et devant le palais présidentiel Ittahidya comme dans les principales villes d’Egypte (et peut-être partout). L’ambiance est toujours à la fête, la célébration de la chute de Morsi. On voit beaucoup de photos de Sissi (le général qui a renversé Morsi) - distribués par l’armée ? - mais l’ambiance est aussi d’abord à dire « c’est une révolution, pas un coup d’Etat ». Bref, c’est le peuple dans la rue qui a fait tomber Morsi. Il y a pas mal de photos, affiches, banderoles ou discussions dans ce sens contre les prises de position d’Obama et des autres puissances occidentales (et leurs médias) contre le coup d’Etat, et soutenant la « légitimité » électorale des Frères musulmans. Une personne dit que CNN dans sa propagande présente la foule place Tahrir comme étant des Pro Morsi. La télé française n’est pas loin d’être tombée aussi bas, tous ses derniers jours. Je me suis demandé à un moment si I Télé n’avait pas fait la même chose que CNN.
Du côté des Pro Morsi, il n’y avait qu’un appel à une seule manifestation nationale au Caire en trois endroits. Et bien qu’il n’y ait qu’une manif nationale, et qu’ils aient beaucoup plus de raison d’être là, ils sont certes nombreux, mais infiniment, infiniment moins que les anti Morsi. L’impression de quelques dizaines de milliers chez les pro Morsi e contre plusieurs centaines de milliers pour les Anti Morsi, et seulement au Caire, alors que pour les uns c’est une manif nationale et les autres, locale. Un véritable échec pour les islamistes. De plus si l’ambiance est euphorique chez les anti Morsi, chez les pro, c’est un mélange de colère certes, mais aussi de fatalisme et aussi de ... soulagement. Comme s’ils étaient heureux que ce soit fini, plutôt que subir une mort lente sans fin, comme probablement ils la subissaient tous les mois derniers où ils étaient la cible de toutes les colères populaires. Il y avait aussi un courant chez les Frères musulman hostile à la politique, qui ne voulait faire que du religieux. Ceux-là peut-être respirent.
Il y aurait ce soir des résidents du quartier Monial du Caire qui sont descendus dans la rue pour bloquer une manif de pro Morsi excités qui voulaient rejoindre la place Tahrir afin d’y provoquer des affrontements. Dépités, les islamistes ont tiré sur eux.
Déjà hier soir, on avait vu ce genre de choses, alors que l’armée n’intervenait pas pour arrêter les affrontements, des habitants descendant de leur immeubles pour bloquer et désarmer tout ce qui pouvait ressembler à des islamistes. Il y a eu les résidents des quartier Boulak, ceux à côté de Maspéro, ceux de Manial au Caire et ceux de Smouha à Alexandrie qui se sont constitué en milice, peut être encore ailleurs, mais significatifs d’une tendance.
On peut se demander pourquoi l’armée n’est pas intervenue hier, ou seulement trois heures après le début des affrontements, alors qu’ils étaient présents partout.
Il faut se dire d’abord, que si l’armée à renversé Morsi, c’est pour couper l’herbe sous le pied à la révolution, c’est-à-dire que l’armée, malgré ses rivalités avec les Frères musulmans, est au fond plus proche d’eux que de la révolution. Leur premier ennemi est la révolution et même s’ils arrêtent des dirigeants et cadres des Frères (mais bizarrement hier, ils en ont relâché quelques-uns qui en ont profité pour exciter leurs troupes), ils n’ont peut-être pas tant envie que ça de détruire tout l’appareil des Frères. Sadate, Moubarak avaient donné aux Frères la responsabilité du social, pendant que eux se réservaient le politique et le militaire. Ils se partageaient le boulot, avec des tensions, mais collaboraient étroitement.
Le coup d’Etat militaire a certes fait tomber Morsi mais a sauvé les Frères musulmans d’un effondrement plus grand encore. En effet si Morsi avait continué à s’accrocher au pouvoir comme il le faisait, c’est peut-être le peuple qui l’aurait jeté, encore plus profondément, avec tous ses affidés. Les Frères Musulmans auraient disparu. Au moment où les militaires sont intervenus, la révolution voulait la chute de Morsi pas parce qu’il est religieux mais parce qu’il menait une politique pour les riches, les gens en avaient donc contre Morsi, mais moins probablement contre les Frères musulmans, dont ils en côtoient un grand nombre dans leurs quartiers. Par contre si le peuple avait eu à renverser Morsi il aurait dû franchir encore une étape et aurait alors balayé les frères Musulmans. Là, comme c’est l’armée qui a fait le dernier geste, les Frères pouvaient dire qu’ils étaient victimes d’un coup d’Etat, pas d’une révolution, avoir le soutien des occidentaux, préserver quelque chose.
Ceci dit leur politique violente de tous ces derniers jours a dû monter bien des gens contre eux, et pas seulement contre Morsi.
Pour en revenir à hier soir, je me suis même demandé si l’armée n’est pas intervenue au moment où elle a senti que les frères musulmans pouvaient être balayés par le peuple qui descendait de ses immeubles, et les Ultra qui commençaient à intervenir à Tahrir parce que Tahrir et la révolution pouvaient paraître menacés. Bref que l’armée est intervenue plus pour protéger les Frères musulmans que pour protéger les anti Morsi.
Bien sûr, sur le fond, l’armée a aussi besoin de jouer ce rôle d’équilibre entre anti et pro Morsi, en Bonaparte, pour justifier toutes les mesures d’Etat, type couvre feu, mesures d’urgence, etc... pour éviter le « bain de sang » et ne pas être trop sous la pression de la seule révolution. S’il n’y a qu’un camp, elle aura plus de mal. Enfin l’armée a un problème, c’est qu’elle a des soldats et officiers Frères musulmans comme des anti Morsi, la position d’équilibre est plus facile. Enfin... elle n’est pas nécessairement obéie, pour tout et n’importe quoi. J’ai vu sur des vidéos des officiers et soldats fraterniser avec les islamistes et l’inverse, un blindé couvert d’une grappe de jeunes anti Morsi, foncer vers une manif pro Morsi, qui s’est sauvée. Est-ce parce que le char avait été pris par les anti Morsi, ou parce que le pilote, paumé, ne savait plus quoi faire... Bref, ils n’avaient pas trop envie d’un contact prolongé de soldats avec le peuple, surtout tant qu’il n’y avait pas d’affrontements clairs et de positions claires.
Egypte, 6 juillet, 20 h : ça donne le moral
Regardez cet vidéo-interview d’un enfant égyptien. C’est incroyable. Et
ils sont des centaines de milliers comme ça après deux ans de révolution
permanente. De quoi donner le moral pour l’avenir
https://www.youtube.com/embed/QeDm2PrNV1I
C’est pour ça que les Frères musulmans jettent des adolescents dans le vide
http://www.youtube.com/watch?v=Hs2stxn-WEQ
Egypte, 5 juillet, 20 h 00 : ce que dit Gilbert Sinoué
Ci-dessous, ce que dit aujourd’hui, Gilbert Sinoué, écrivain français né au Caire
Billet de très mauvaise humeur..
Voilà que, depuis quelques jours, la Presse Internationale, nous bassine avec l’expression « coup d’État ». Quarante-huit heures, que les diplomates (dont on connaît l’esprit visionnaire), poussent des cris d’orfraies en évoquant la déposition de M. Morsi « président élu démocratiquement ».
« Coup d’État ! » crie la planète. « Coup d’État ! »
La Turquie de Monsieur Erdogan condamne. Y aurait-il un lien avec les événements récents de la place Taksim ? Non bien sûr. La Russie « appelle à la retenue », l’UE « désapprouve l’intervention militaire », l’Allemagne la considère « dangereuse » M. Obama, de plus en plus amnésique depuis son brillant discours du Caire du 4 juin 2009, se dit très « préoccupé ». Le Quai d’Orsay, s’est contenté de « prendre acte ». Le ministres des Affaires étrangères britannique, qui a oublié que le ridicule tue, nous dit : « Le Royaume-Uni ne voit pas dans les interventions militaires un moyen de régler des conflits dans un système démocratique. » Bien sûr, la douce Angleterre n’a jamais usé d’un processus aussi brutal, ni aux Malouines, ni en Palestine, ni en Inde, ni en Égypte, ni en Irak, et sûrement pas en Afrique du Sud, quand elle massacrait allègrement les Boers et les Zoulous, ni ailleurs dans le monde.
Bref… je pose une question : de qui se moque-t-on ? À quoi jouent nos chers « démocrates » ? Ont-ils jamais appris la véritable définition du coup d’État ? Elle est pourtant claire et sans équivoque : « Prise du pouvoir de façon violente et illégale » ou encore « renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale et brutale. »
Est-ce donc ce qui s’est passé en Égypte le 3 juillet 2013 ? N’a-t-on pas vu un peuple en marche comme jamais dans l’histoire, exiger le départ d’un dirigeant qu’il jugeait d’une incompétence nobélisable, doublé d’un pyromane ? N’a-t-on pas vu que c’était le peuple et lui seul qui faisait son « coup d’État », et non les chefs militaires, ces derniers n’ayant agi que pour empêcher un bain de sang.
Mais où donc va le monde ? Hier, sur RMC dans l’émission d’Éric Brunet, (formidable journaliste au demeurant) j’ai dû livrer combat pendant une heure pour tenter de tordre le cou à cette réaction internationale aussi stupide que dangereuse : « coup d’État. » Lorsque Moubarak fut destitué à quelque chose près dans les mêmes circonstances, a-t-on entendu cette expression, une fois, une seule ? Jamais. Bizarre non ?
Peu importe. Je veux conclure par ceci : Si seulement en 40 le peuple allemand avait eu les c… s du peuple égyptien en destituant un homme « démocratiquement élu », cela nous aurait évité des millions de morts et la Shoah. Mais cet argument, l’Occident ne l’entend sûrement pas. Il ne veut pas l’entendre
Gilbert Sinoué
Egypte, 5 juillet, 17 H 30 : vers un long vendredi
Après la destitution de Morsi par l’armée, celle-ci a destitué le procureur général, arrêter un certain nombre des dirigeants des Frères musulmans, lancé 300 mandats d’arrêts contre leurs cadres et bloqué trois de leurs télévisions (en plus, Al Jazeera dont le directeur a été arrêté momentanément, ne marche plus vraiment, il n’y a plus de son et les images sont figées), dissout le Sénat (élu pour 2/3 qu’avec une participation électorale de 7%, c’est dire leur légitimité démocratique, et 1/3 nommé) qui assurait le pouvoir législatif, annulé la constitution islamiste, les anti Morsi sont rentrés chez eux, sauf un petit nombre qui est resté place Tahrir.
Par contre les Frères musulmans et leurs alliés appellent aujourd’hui, à un vendredi de manifestations contre ce qu’ils nomment le coup d’Etat militaire qui a renversé un président légitime. L’armée a autorisé la manifestation mais l’a assorti d’un certain nombre de restrictions dont tout le monde sent bien qu’elles ne visent pas que les Frères musulmans mais bien tout le monde, en particulier le monde du travail. Qu’on en juge, entre autres : interdiction du blocage des routes, de s’en prendre à des bâtiments officiels, interdiction de tout ce qui peut menacer la paix sociale, la sécurité et l’économie...
Pendant que les dirigeants des Frères musulmans appellent à une manifestation pacifique, tout le monde sait qu’il n’en sera rien étant donné le désarroi actuel de la confrérie, de ses dirigeant et cadres comme de ses troupes, leurs choix de résistance par tous les moyens devant le raz de marée populaire qui voulaient dégager Morsi, comme face au coup d’état militaire, leur crainte de tout perdre et enfin leurs habitudes de violence dont celles de leurs alliés islamistes les plus radicaux. Bien des cadres ou simples militants ne se gênent d’ailleurs pas pour appeler clairement dans les médias à la vengeance violente, au terrorisme pas seulement contre l’armée mais voire au massacre de tous ceux qui voudraient s’opposer à eux.
D’un autre côté, la politique des militaires, qui contrôlent directement ou pèse indirectement sur bien des médias est aussi de présenter les Frères Musulmans comme des « violents » pour justifier sa politique répressive et la mise en place d’un éventuel état d’urgence qu’elle pourrait imposer à tous, et pas qu’aux Frères Musulmans, au nom de la sécurité, de la protection de la paix, contre le chaos, etc.... Il est difficile donc de se rendre compte de ce qui peut être propagande ou réalité dans ce domaine, à un moment où la presse est particulièrement clivée.
Déjà, ce matin les alliés les plus radicaux des Frères musulmans ont attaqué « pacifiquement » à la roquette et au fusil mitrailleur un poste de police à Rafah et ont tué « pacifiquement » un militaire dans le Sinaï. Ce qui a permis à l’armée de décréter l’État d’urgence dans le Sud Sinaï et à Suez qui pourra servir demain contre les grèves et les protestation sociales en tous genres. Toutefois, pour le moment, mais ça peut changer à tout instant, l’armée semble vouloir toujours caresser dans le sens du poil les anti Morsi.
Il y a eu ce matin au Caire, des survols de la ville par des hélicoptères militaires portant le drapeau national et des avions aux panaches de fumée des mêmes couleurs, comme un clin d’œil au rappel des journées qui ont précédé la chute de Morsi où s’était forgé une alliance du peuple et de l’armée. Peut-être fait-elle cela parce qu’elle ne se sent pas très sûre de ses troupes y compris ses officiers qui sont nombreux à appartenir aux Frères musulmans, peut-être aussi parce qu’elle espère faire descendre dans les rues les anti Morsi pour se protéger, ou qu’elle prend des mesures pour eux, peut-être encore parce qu’elle espère d’un affrontement éventuel entre anti et pro Morsi qu’elle puisse intervenir alors en argumentant qu’elle veut éviter le chaos et le bain de sang. Peut-être enfin pour s’adresser aux puissances occidentale sa légitimité nationale et donc démocratique. Ou les quatre en même temps.
Pour le moment les manifestations Pro Morsi rassemblent beaucoup de monde. Infiniment moins que les manifestations anti Morsi des jours précédents, mais beaucoup de monde toutefois. C’est difficile à savoir pour le moment car les Frères musulmans gonflent considérablement les chiffres et leurs adversaires les minorent énormément, mais certainement des centaines de milliers dans le pays. Pas des millions.
De plus, au niveau des impressions du moment, c’est que malgré le monde (mais les Frères musulmans revendiquent 2 millions de membres) on a le sentiment qu’on assiste à un affrontement entre deux appareils plus qu’à l’affrontement d’un peuple qui se soulève contre des institutions. Il ne s’agit pas tant là d’un peuple qui se soulèverait pour défendre la légitimité du bulletin de vote, ou celle de l’islam, même s’il doit y en avoir bien sûr, mais plutôt des partisans, nombreux certes, qui défendent seulement le pouvoir perdu d’un appareil, celui des Frères Musulmans et de ses alliés. Exactement comme ce qui était reproché à Morsi de ne gouverner que pour son camp, pas tout le peuple, les manifestants ne s’adressent pas au peuple égyptien pour le convaincre de descendre dans la rue, mais mènent une bagarre interne, entre eux et l’armée. On voit ici ou là quelques tentatives timides des manifestants de s’adresser à la population, ainsi il y a eu des services d’ordre de Frères pour protéger des églises lorsque les manifestants passaient devant, des femmes en cheveux libres exposées largement pour montrer leur souci des autres et une ou deux déclarations s’adressant à leurs frères coptes. Mais on a l’impression que c’est pour le communiqué et justifier le soutien des puissances occidentales. Globalement, on voit bien que ce n’est pas leur souci réel.
Bien évidemment ces manifestations ont très vite dégénéré dans la violence. A l’heure où j’écris on parle déjà de 4 à 7 morts pour le Caire et de centaines de blessés. Les informations sont confuses, les uns accusant les autres, la police militaire aurait riposté par endroit à balles réelles, bien qu’elle prétende ne l’avoir pas fait, seulement tiré en l’air, n’utilisant que des gaz lacrymogènes. Mais comme l’armée et les frères Musulmans mentent autant les uns que les autres... Les violences ont eu lieu en particulier vers le bâtiment de la garde présidentielle, où la rumeur dit que Morsi serait retenu, et que la foule voudrait libérer. Il y aurait également des affrontements à Alexandrie, Suez, Damanhour, Zagazig, Assiut et surtout à Luxor où suite à la mort d’un Frère musulman tué par la police, ces derniers ont brûlé 23 maisons de coptes.
Quoi qu’il en soit, l’impression qui ressort actuellement de la situation, c’est que si le coup d’Etat d’avant hier ne pesait que parce qu’il s’inscrivait dans une énorme révolution populaire, aujourd’hui et pour le moment, car tout est en pleine évolution, il prend la forme au travers de l’affrontement de l’armée et des Frères musulmans, sans la présence réelle du peuple, la forme d’un coup d’Etat militaire classique, s’imposant à tous par la force, restreignant toutes les libertés. Par exemple, des rumeurs disent que l’armée pourrait mettre en place un couvre feu qui s’imposerait à tous pour ce soir. En fait l’action des Frères musulmans est en train de renforcer le poids de l’armée dans la situation, le pays, les institutions.
Ceci dit l’armée n’est pas sortie d’affaire et loin de pouvoir imposer sa loi, étant donné l’immensité de la mobilisation anti Morsi qu’on a vu les 4 jours précédents et peut-être ne fait-elle que s’affaiblir chaque jour un peu plus. Y compris en s’affrontant aux Frères musulmans.
Vers 15 h00, le FSN a appelé .également ses partisans à descendre dans la rue pour défendre la révolution qui serait en danger. Et on a vu effectivement des gens commencer à y descendre pour aller s’en prendre aux Pro Morsi. Iront-ils nombreux ou pas ? Peut-être pas ayant le sentiment d’avoir gagné et guère l’envie non plus de se ranger aux côtés de l’armée qui restreint les libertés. On verra. Il y aurait eu pour le moment que les habitants de la rue Moharram Bek à Alexandrie qui seraient descendus dans la rue pour attaquer une manifestation de pro Morsi et l’auraient dispersé. Un cas isolé ou une situation qui va se développer ?
A l’étranger, l’Union Africaine a dénoncé le coup d’Etat, en défense de la démocratie, ce qui a fait pas mal rire quand on pense qu’au moins la moité d’entre eux sont arrivés au pouvoir par un coup d’Etat. La TV turque s’est mise au service des Frères musulmans et transmet les images des manifestations pro Morsi pendant que l’AKP et le gouvernement turc qui ont dénoncé le coup d’Etat organisent des manifestations de soutien aux Frères musulmans égyptiens. Quand aux régimes occidentaux ou François Hollande qui s’inquiète de l’interruption du processus démocratique en Egypte, bien des Egyptiens attendent d’eux qu’avant de se faire les juges de la vertu démocratique, ils renoncent à être les amis du Qatar, de l’Arabie Saoudite, du Bahrain, des émirats et de tellement d’autres dont on connait les grands vertus démocratiques. Par contre ce soutien occidental a des effets désastreux parce qu’il légitime aux yeux de certains islamistes radicaux leur combat actuel. Et c’est aussi en regardant l’occident que les Frères musulmans poussent leurs troupes dans la rue. Comme disent certains, c’est par ce soutien, que les islamistes continueront à battre les femmes, assassiner les coptes et bruler leurs églises, tuer toutes les libertés.
Jacques Chastaing