Depuis l’explosion de la bulle de la finance et du crédit en 2008-2009, les classes dominantes ont basculé dans une logique de guerre sociale à outrance. Pour empêcher l’effondrement du système à court terme, les gouvernements européens ont pris en charge la dette bancaire. Depuis, ils s’appuient sur la mise en exergue de la crise pour imposer deux idéaux/dogmes pourtant mortifères : la « recherche de compétitivité » exacerbée et la réduction rapide de la dette publique des États. Dans les faits, ils amplifient la récession économique, le saccage social et écologique, et tendent à jeter les peuples les uns contre les autres.
Ainsi, sous l’égide de la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et FMI) mandatée pour la réduction des dettes publiques, on a vu depuis trois ans en Grèce, en Irlande, au Portugal ou en Espagne, une destruction sociale sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Licenciements massifs et baisse de 10 à 40 % des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraite ; montée rapide du chômage au-delà de 20 % ; liquidation de services sociaux et sanitaires essentiels ; privatisations sauvages de pans entiers du secteur public… Mais les économies étant étouffées par la récession, les dettes publiques continuent de monter, et dans tous les autres pays, membres de l’Euro ou pas, les plans gouvernementaux ont monté de plusieurs crans dans l’austérité.
Renouveau des mouvements de masse
Face à un tel saccage social, les réactions d’un mouvement syndical traditionnel et routinier ont été largement insuffisantes. Des mouvements de désespoir sont apparus dans les populations sous pression, marqués par des suicides comme en Grèce, en Bulgarie et même en France. Une extrême droite nationaliste et raciste, protéiforme mais partout péril mortel, surfe sur la crise.
Mais à partir de l’exemple des insurrections en Tunisie et en Égypte début 2011, une nouvelle phase d’explosions sociales s’est ouverte. Les grandes vagues d’occupation de la place Syntagma à Athènes, le mouvement des Indignés ou « 15-M » dans l’État espagnol, son équivalent au Portugal, ou les masses qui continuent d’assiéger le parlement en Bulgarie, ont inauguré un nouveau type de mouvements de masse, qui s’est redéployé ailleurs dans le monde.
Il s’agit de mouvements de citoyens exaspérés par la précarisation sociale, écœurés de la vie politique classique, de ses mensonges et de sa corruption, qui demandent ouvertement des comptes au système capitaliste et exigent la démocratie. Ils s’organisent par en bas, à partir de l’occupation permanente et la plus massive possible de la place publique transformée en Agora démocratique, et ont permis la mobilisation de millions de citoyens.
De la radicalité sociale au pouvoir politique
Ces mouvements sont pour l’instant rarement parvenus à la chute immédiate de gouvernements arque-boutés à leur pouvoir, et marqués par la complicité de fond entre les partis de droite et la social-démocratie européenne. Mais ils ont permis à de larges masses de reprendre confiance dans le collectif, fait émerger de nouvelles générations et ont pu ensuite structurer d’autres mouvements, pour le logement et contre les expulsions dans l’État espagnol, pour la santé en Grèce, etc. Une des faiblesses est que jusqu’à présent ces mouvements ne parviennent pas à se structurer sur les lieux de travail. Or, il s’agit bien des lieux décisifs où se joue la marche ou le blocage du système dominant !
Le deuxième enjeu pour que de tels mouvements débouchent sur une alternative progressiste à la crise, c’est le passage de la grande radicalité des revendications, à leur articulation, pour postuler à remplacer l’oligarchie capitaliste au pouvoir par le pouvoir démocratique des masses exploitées mobilisées. Ces réflexions pourtant urgentes n’en sont aujourd’hui qu’à leurs balbutiements là où les explosions sociales sont en cours, en Grèce, dans les Balkans ou dans la péninsule ibérique. Dans l’épine dorsale d’une Union européenne discréditée (Allemagne, France, Benelux, Italie, Grande-Bretagne…), ces réflexions devront aussi s’appuyer sur les nouveaux mouvements sociaux, pour relancer la solidarité internationale des peuples et battre un ennemi commun partout à l’offensive.
Jacques Babel