En cette fin août, vous êtes accablés de réunions ? Pour peu que ces dernières se tiennent en un lieu propice – comme Port Leucate, non loin de Perpignan –, libérez donc quelques heures pour une échappée naturaliste.
Si vous traversez en cette saison la France via le Massif central, même le voyage vaut le coup ; vous êtes notamment assurés de croiser de grands rapaces sur votre route. Cette année, tout a commencé pour moi de façon assez inhabituelle : par un busard des roseaux suivi, aux environs d’Orléans, d’un premier circaète Jean-le-blanc. Puis de nombreuses buses variables de-ci et quelques bondrées apivores de-là ; un milan noir à Issoire et deux milans royaux au Viaduc de Gabarit ; le vautour fauve dans les Causses et, au retour, la finale avec une chouette hulotte houspillée par des pies, dérangée dans son repos diurne.
N’est-il pas dangereux de lever le nez tout en conduisant ? Un ami, il est vrai, a un jour embouti un poteau téléphonique en cherchant à identifier un rapace en vol – qui s’est avéré être une buse fort commune. Je ne recommande pas de fixer le ciel par circulation dense. Mais quand tout est relaxe, l’attente de l’Oiseau maintient en alerte, en particulier quand on roule seul, que les passagers dorment comme des loirs ou restent muets comme des carpes.
Leucate
Leucate et ses environs sont un haut lieu ornithologique, même si la dernière semaine d’août n’est pas le moment le plus propice. La belle falaise qui surplombe la mer est un « spot » réputé pour l’observation de la migration, mais essentiellement au printemps. Quant aux estivants méditerranéens si typiques de cette région, ils sont en partance ou se font discrets.
Tout reste cependant possible. Un copain lui aussi versé dans l’ornithologie a eu l’impudence de noter, au-dessus de la plage de Port Leucate, le passage de martinets à ventre blanc que je n’ais pas su voir ; de même, un traquet oreillard s’est laissé photographier sous toutes les coutures lors d’une visite matinale sur plateau rocheux qui domine le village de Leucate.
Son allure et sa posture ainsi que le dessin de la queue très visible en vol (un T noir inversé plus ou moins complet sur fond blanc) indiquent qu’il s’agit d’un traquet, mais ce type de plumage automnal ne facilite pas au premier abord l’identification de l’espèce. Les tons dans l’ensemble relativement uniformes, peu marqués, la poitrine fauve soutenue et délimitée, le sourcil pas ou peu clair permettent néanmoins de conclure : un Oreillard.
Traquet oreillard, Oenanthe hispanica, le plateau, Leucate (Aude) le 28 août 2013. Clichés Pierre Rousset.
Ce migrateur vient nicher sur le pourtour méditerranéen. Il n’y a que là que l’on peut l’observer en France.
Une autre espèce méridionale, résidente cette fois (c’est-à-dire présente toute l’année), campe bien en vue sur la plage de Port-Leucate, arborant des airs de propriétaire sûr de ses droits : le goéland leucophée.
Goéland leucophée, Larus michahellis, adulte, Port-Leucate (Aude) le 24 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Le Leucophée ressemble beaucoup au goéland argenté, une espèce plus nordique habituée des côtes bretonnes et de la Manche. Chez l’adulte (ci-dessus) le gris du dos et du dessus des ailes est un peu plus sombre, les pattes sont jaunes (et non chairs comme chez l’argenté).
L’identification des goélands immatures (qui n’ont pas encore leur plumage adulte) peut aisément tourner au casse-tête. Il doit s’agir ici d’un juvénile, né cette année, qui a commencé sa mue vers son plumage « premier hiver » qui se complétera en septembre.
Goéland leucophée, Larus michahellis, juvénile en début de mue « premier hiver », Port-Leucate (Aude) le 24 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
En bordure de plage, la végétation clairsemée abrite le cochevis huppé – il ressemble à une alouette. Pendant tout le séjour, j’ai espéré le photographier ; en vain : cette espèce à la fois familière et fuyante côtoie souvent les humain, mais s’en garde aussi.
La fin août est favorable à l’observation des libellules, ici des sympétrums, petites libellules à l’abdomen rouge ou rougeâtre pour les mâles (à une exception près), les femelles tirant généralement sur les jaunes.
Comme son nom l’indique, le sympétrum méridional occupe le sud de l’Europe, ce qui comprend en l’occurrence le centre de la France. Les marques noires sur son corps sont très peu étendues.
Sympétrum méridional, Libellula meridionalis, mâle, les coussoules, Leucate & La Franqui (Aude) le 24 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
L’aire de répartition du sympétrum à nervures rouges (ou sympétrum de Fonscolomb) est assez proche de celle du « Méridional » – avec des poussées migratoires nordiques qui le conduisent jusqu’au Danemark. Petit piège : d’autres espèces peuvent à l’occasion présenter des nervures rouges sur les ailes. Le Fonscolomb est surtout caractérisé par le bleu de la partie inférieure des yeux ; le mâle mature présentant une face rouge vif bordée de blanchâtre.
Sympétrum à nervures rouges, Libellula fonscolombii, mâle mature, les coussoules, Leucate & La Franqui (Aude), le 24 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
La plupart des papillons rencontrés gardent, posés, leurs ailes fermées, voire repliées, ce qui leur permet souvent de se confondre avec le terrain. C’est par exemple le cas de ce individu appartenant à la famille des Hipparchia. Les Hipparchia appartiennent à la sous-famille des Satyrinae (de la famille des Nymphalidae. On ne peut déterminer l’espèce sur photo (trois sont ici possible). En effet, elles ne se distinguent vraiment qu’au moyen de l’examen des organes de Jullien [1].
Hipparchia, le plateau, 25 août 2013Leucate (Aude). Clichés Pierre Rousset.
Le papillon ci-dessous porte deux noms : l’un pour la femelle, l’autre pour le mâle ; soit un couple formé du satyre et de la mégère ! Madame (photographie) offre des coloris un peu plus chaud que son conjoint masculin, même au verso (le dessus de cette espèce est fauve-orangé) :
Mégère, Lasiommata megera, le plateau, Leucate (Aude) le 28 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Le Larzac
Je garde une affection particulière pour le causse du Larzac, ses paysages et ses combats historiques. Lors du trajet de retour à travers le Massif central, des haltes-promenades ont fourni l’occasion de saluer deux des plus grands rapaces visibles en France – le vautour fauve et le circaète Jean-Leblanc :
Vautour fauve, Gyps fulvus, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Imposant, le vautour fauve déploie majestueusement ses ailes en vol, mais garde le coup rétracté : vu de loin, il semble parfois n’avoir pas de tête.
Le circaète arbore une allure nonchalante, une grosse tête de chouette, une silhouette massive, de longues et larges ailes, des parties inférieures très blanches. La tête, la gorge et le haut de la poitrine sont généralement sombres.
Ciracète Jean-Leblanc, Circaetus gallicus, Larzac le 29 août 2013 le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Si le vautour fauve est un charognard dont la survie dépend de la présence d’animaux morts, le circaète se nourrit de lézards et serpents. Il migre donc vers le sud quand, en France, ses proies hibernent durant la mauvaise saison.
Perchées sur un pylône, deux craves à bec rouge donnent vigoureusement de la voix. Tout de noir vêtue, la crave ressemble à une corneille, mais son cri nasal et métallique ainsi que son bec long, courbe et rouge dissipent toute confusion. Quelle qu’en soit l’altitude, l’espèce affectionne les grandes parois rocheuses, trouées de refuges. Les Causses leur offrent ses gorges et ses cirques.
Crave à bec rouge, Pyrrhocorax pyrrhocorax, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Autre rencontre, une cohorte de traquets tariers (tarier des prés) – ils étaient au moins huit –, peut-être des migrateurs faisant halte pour se nourrir. Bien dressés sur les tas de paille, commode poste de surveillance, ils profitent d’un champ fraichement fauché pour chasser les insectes à la volée ou à terre.
Traquet tarier (Tarier des prés), Saxicola rubetra, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Le plus gros échec de mes échappées naturalistes, à Leucate comme au Larzac, concerne les criquets – un domaine où je commence tout juste à m’aventurer (il n’y a pas d’âge pour apprendre). Nombre de « criquets colorés » ont été photographiés posés : immobiles, ils présentent une tenue de camouflage très efficace. Cependant, ce n’est qu’en vol qu’ils laissent apparaître la couleur de leurs ailes. Ces couleurs, je n’en ai pas pris note, ce qui rend impossible l’identification certaine des espèces sur la seule foi des photos : les ailes sont bleues chez Oedipoda caerulescens et rouges chez Oedipoda germanica.
Qui qu’il en soit, ce criquet offre un bel exemple de camouflage :
Oedipoda, probable caerulescens, Larzac le 29 août 2013. Clichés Pierre Rousset.
En forte régression, l’hermite n’est plus fréquent en France que dans la région méditerranéenne (inclus une partie du Massif central), du fait de la destruction ou disparition des milieux naturels dont il dépend (pelouses sèches rases ou écorchées). Plus petit que le silène, il présente sur le dessus un agencement de coloris similaire : brun foncé traversé d’une bande blanche, indécise cependant. Posé, ailes fermées, il se fait aussi plus délicatement discret :
Hermite, Chazara briseis, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Cet azuré (ci-dessous) apporte enfin de la couleur ! C’est peut-être un azuré de la bugrane (ou azuré bleu), abondant et répandu.
Possible Azuré de la bugrane (Azuré bleu), Polyommatus icarus, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
La phalène de la millefeuille apprécie la végétation des sols calcaires. C’est un hétérocère – ou « papillons de nuit » (en fait beaucoup d’espèces sont visibles le jour). De la famille des géomètres, il se montre souvent en journée posé sur les herbes dans les sites chauds, exposés au soleil.
Phalène de la millefeuille, Aspitates gilvaria, Larzac le 29 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Avant de dire au revoir au Larzac, j’ai croqué un sandwich à la terrasse d’un café, dans le village de la Cavalerie (là où se trouve le camp militaire) pour découvrir, ravi, au-dessus de ma tête un nid d’hirondelle de fenêtre avec au moins trois petits activement alimentés par les parents. Cette nichée tardive vise peut-être à compenser un printemps pourri qui a rendu la vie bien difficile aux hirondelles ; elles qui dépendent pour se nourrir de l’abondance d’insectes en vol.
Le nid.
Deux petits attentifs
Trois petits voraces
La becquée
Hirondelles de fenêtre, Delichon urbicum, Larzac le 29 août 2013. Clichés Pierre Rousset.
On souhaite que le temps en septembre soit clément afin de permettre aux jeunes de bien prendre des forces avec leur grand périple migratoire…
Moineau domestique, Passer domesticus, adulte mâle, Issoire le 30 août 2013. Cliché Pierre Rousset.
Après une nuit passée à Issoire, un moineau domestique a tenu à me souhaiter bonne route… C’était gentil de sa part.
Pierre Rousset
Je remercie pour l’aide qu’ils m’ont apporté dans l’identification des espèces André Lantz (pour les papillons) et Laurent Spanneut (pour les criquets, libellules et le traquet).
Retour sur le criquet mimétique cryptique
Voici un brève note envoyée par Yves Dachy concernant la première photo (reprise ici pour appuyer le commentaire) de criquet prise sur le Larzac :
J’apprécie particulièrement la photo du criquet mimétique cryptique :
Notons les bandes blanches qui marquent les fémurs et qui correspondent à une tache blanche sur le dessus de l’animal. Elles forment une ligne dite disruptive (qui rompt visuellement la continuité du corps de l’animal). C’est particulièrement net ici. Le criquet semble être en deux morceaux et le profil « criquet », dont la mémoire du prédateur a besoin s’il veut capturer cette proie, est brisé par cette ligne disruptive. Les sépales séchés de plantes annuelles qui ponctuent le substrat complètent le jeu mimétique du criquet. C’est une photo d’anthologie.
Ces criquets ont mis au point une tactique innée qui trouble encore plus un éventuel poursuivant. S’ils se posent après une fuite devant un danger, ils font un brusque demi tour et se posent aussitôt. Le temps que le prédateur ajuste sa vue pour s’adapter à une brusque modification de la trajectoire du criquet et ainsi retrouver la proie, celle-ci s’est intégrée dans l’environnement et il arrive qu’on ne le retrouve pas. Cela me rappelle une vieille formule : « Le génie du diable, c’est de faire croire qu’il n’existe pas ».