Officiellement, la détermination des porte-parole de La Manif pour tous (LMPT) est « intacte ». Le mouvement, qui tient les 14 et 15 septembre sa première université d’été à Vincennes (Val-de-Marne), continue de demander l’abrogation de la loi Taubira autorisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels. Mais, après la promulgation du texte en mai et la célébration de plusieurs centaines d’unions durant l’été, chacun veut bien reconnaître que « ne parler que de cela n’aurait aucun sens ».
Ces deux jours « de réflexion, de formation et d’information » sont donc censés livrer aux « mille volontaires » qui ont fait vivre la contestation à travers le pays les outils intellectuels pour « lancer une nouvelle année d’actions », et enfourcher les nombreux chevaux de bataille de La Manif pour tous : « Refus du concept de genre, de la procréation médicalement assistée, de la gestation pour autrui, de l’homophobie, défense de la filiation, de l’altérité sexuelle ou de l’objection de conscience... »
Il s’agit aussi et surtout de les inciter à poursuivre leur engagement dans le monde associatif, syndical ou politique. Des spécialistes en lobbying ont été conviés, à huis clos, pour livrer leurs recettes. Les responsables du mouvement comptaient bien ne pas laisser en friche « l’énergie, les talents, la culture de la rue » nés lors de ces mois de manifestations dans des milieux largement conservateurs et catholiques, prêts à s’opposer avec force au gouvernement. Des députés UMP – Hervé Mariton, Philippe Gosselin, Xavier Breton ou Jean-Frédéric Poisson – participent d’ailleurs à l’université d’été.
« INFUSER PARTOUT NOS IDÉES »
Mais, malgré la tonalité clairement politique des dernières manifestations, la constitution de listes LMPT lors des élections municipales, un temps envisagée, a été abandonnée par souci d’efficacité. « Nos sympathisants s’engageront sur des listes existantes à titre personnel, mais on a souhaité que notre mouvement reste en dehors des clivages politiques franco-français », fait valoir Ludovine de La Rochère, la présidente du mouvement, devenue sa principale porte-parole depuis la prise de distance de Frigide Barjot avec ses anciens camarades de lutte.
« Le but n’est pas de devenir un parti politique cherchant à gouverner mais de faire entendre notre voix. Et pour cela, M. Hollande peut compter sur nous ! », insiste la jeune femme, par ailleurs chargée de communication de la Fondation Lejeune, une association anti-avortement. Sans craindre la contradiction, LMPT envisage de présenter des listes aux élections européennes de mai 2014.
« L’idée est d’infuser partout nos idées, de proposer et de ne pas être uniquement dans la réaction à tel ou tel projet de loi », analyse de son côté Erwan Le Morhedec, l’un des blogueurs vedettes de la « cathosphère » et intervenant samedi sur le thème de « la Manif 2.0 ». « On fait partie de cette génération de catholiques qui ont compris que les laïques doivent intervenir dans la société. On prend aussi conscience que pendant longtemps les catholiques ont déserté les milieux associatifs, syndicaux et politiques. »
Même stratégie avancée par Tugdual Derville, l’un des porte-parole de LMPT : « Il ne s’agit pas de donner des consignes d’infiltration mais de s’engager sur tous les terrains. » Le responsable d’Alliance Vita, engagé contre l’avortement et l’euthanasie, reconnaît toutefois que des « graines de leaders » ont été repérées par les partis de droite au fil des manifestations et que « des ambitions politiques gravitent autour du mouvement ».
« CREUSER NOS FONDAMENTAUX »
Sur le fond, les militants de LMPT demeurent persuadés qu’un « changement de civilisation et de culture » est à l’œuvre, que les valeurs du christianisme sont en passe d’être effacées et que leur combat s’inscrit dans la durée. « C’est à nous de changer la société, de creuser nos fondamentaux », avance M. Derville. Les militants de LMPT sont convaincus que les atermoiements du gouvernement sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples homosexuels sont une conséquence directe de leur opposition, mais ne se font guère d’illusions. « Si on rentre chez nous, on aura la PMA dans quelques mois », prédit Mme de La Rochère.
Dans ce contexte, leurs « inquiétudes » se focalisent sur le « concept de genre » et « sa diffusion subtile » dans la société, selon la présidente de LMPT. Depuis des semaines, ils se saisissent de la moindre déclaration ministérielle sur l’égalité homme-femme pour dénoncer cette « idéologie déplacée qui veut réécrire la nature de l’homme », selon M. Le Morhedec. « OK pour chasser les stéréotypes, mais il ne faut pas aller jusqu’à nier la différentiation sexuelle. Or, cette culture minoritaire s’exprime aujourd’hui avec force pour formater les enfants à qui on dit que l’on choisit son genre », s’emporte M. Derville.
Les responsables s’inquiètent aussi de dérives liées à l’adoption par les couples homosexuels et évoquent « des rumeurs sur des quotas d’enfants » réservés à ces familles ou « la fermeture » de plusieurs pays à l’adoption internationale. Mais selon les spécialistes, cette tendance, réelle, est totalement déconnectée des débats sur le mariage gay.
Stéphanie Le Bars , journaliste au Monde