Elle s’appelait Nidhi. Elle a été lynchée puis brûlée. Elle avait 20 ans. Lui s’appelait Dharmendra. Il a eu les os brisés puis il a été décapité, sa tête jetée sur le pas de sa porte. Il avait 23 ans. Les deux jeunes s’aimaient, ils étudiaient dans la même université. Ils voulaient mêler leurs destins.
Mais dans le village de Gharnavati, situé dans l’Etat de l’Haryana – bastion ultraconservateur de l’Inde du Nord –, ce ne sont pas les amoureux qui décident de s’unir. Il revient aux khap panchayat, ces assemblées villageoises gardiennes de la tradition, de valider ou de proscrire les mariages. Et en cas de veto, il leur appartient de châtier les récalcitrants par la mort.
Nidhi et Dharmendra ont payé de leur vie, mercredi 18 septembre, leur entêtement à défier le diktat du khap panchayat de Gharnavati. La famille de la jeune fille a perpétré de sang-froid le crime. Quatre membres du clan, dont les deux parents, ont été arrêtés le lendemain par la police de l’Haryana.
En Inde, ce genre d’exécution porte un nom : « crime d’honneur ». On estime à environ un millier le nombre de tués chaque année – surtout en Inde du Nord – pour l’« honneur ». Dans une société toujours régentée par un système de castes très rigide, les amours intercastes fournissent le gros contingent – 75 % selon les statistiques – de ces cas de « déshonneur » à laver dans le sang.
Il y a aussi – plus rares – les idylles interreligieuses (notamment entre hindous et musulmans). Mais il y a aussi une troisième catégorie d’amours interdites, plus singulière : les unions au sein de la même gotra. Une telle prohibition est particulièrement enracinée dans le groupe hindou des jats de l’Haryana, une caste d’agriculteurs enrichie par la révolution agraire des années 1960.
Chez les jats, une gotra est une filiation – matrilinéaire ou patrilinéaire – remontant dans un très lointain passé à un ancêtre commun, souvent mythologique. La gotra est une « famille » aux yeux de ses membres, et tout amour entre un garçon et une fille issus de la même gotra est donc considéré comme incestueux.
Peu importe qu’une gotra comprenne souvent plusieurs centaines de milliers de membres. L’affaire est purement symbolique. Ainsi Nidhi et Dharmendra se sont-ils rendus coupables d’un amour tenu pour incestueux, susceptible de miner – croit-on – la santé génétique du groupe. Il fallait les liquider au nom de l’intérêt général.
« Talibans indiens »
Dans l’Haryana, les khap panchayat aux sentences mortifères opèrent comme une justice parallèle. Dans les milieux libéraux, on les appelle les « talibans indiens ». La terreur villageoise qu’ils font régner alimente la controverse depuis des années.
La Cour suprême elle-même a qualifié en avril 2011 d’« illégales » leurs pratiques, dénoncées comme « barbares » et « féodales ». La Cour a ordonné aux Etats fédérés de l’Union indienne de les traiter avec la plus grande sévérité. Mais les vertueuses mises en garde ont échoué à arrêter les sanglantes battues aux amours bannies. Car les khap panchayat sont très influents, ils disposent d’un poids électoral pouvant faire et défaire certains gouvernements locaux.
Silence... On tue les jeunes amants de l’Haryana.
Frédéric Bobin (New Delhi, correspondant régional)